Chapitre 38 : Hôpital

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Ma bouche est sèche. De l’eau. C’est la première idée, la première envie qui vient. C’est omniprésent, entêtant, la sensation est tellement désagréable. A cette pensée s’ajoute des odeurs. Aseptisées d’abord, une vague odeur de médicaments, un parfum peu cher , le genre que l’on trouve chez un pharmacien, à la portée de toutes les bourses qui décide de dépenser quelques piécettes pour ce genre d’artifice. Je connais ce parfum, je le sens presque tous les jours. Maintenant un autre s’approche de mes narines. Un parfum de femme, plutôt de jeune de fille. Un autre parfum encore, plus mature, plus chère mais discret. Je ne le connais pas.Et encore un autre, floral, timide. Alys. C’est le parfum qu’utilise ma petite sœur. Je dois la retrouver, m’assurer qu’elle va bien. Pourquoi irait-elle mal ? Que s’est-il passé ? Pour que je sois dans le noir encore. Le toucher s’ajoute. Je suis couchée sur un matelas, les draps sont râpeux, ils font presque mal. Où suis-je ? Pas chez mon père. Pas chez Antona. Ce ne sont pas les bonnes odeurs, les mêmes sensations. Les souvenirs me reviennent par vague. Le carnaval, les costumes, la glace. Le professeur. Sa femme. Alys. Le mouvement de foule. Je dois retrouver Alys, c’est mon rôle, maintenant et jusqu’à ce que la Dame du Destin en décide autrement. Une fois qu’elle sera en sécurité, je pourrais courir après les fantômes. Mes fantômes. Ils peuvent attendre, quand bien même c’est douloureux à mon cœur. Les ombres du passé semblent décidée à me torturer un peu plus encore, alors que je m’étais presque débarrassée d’elle après deux ans de lamentation. On pleure. J’entends maintenant. Pourquoi me pleurer ? Je n’en vaux pas la peine. Qui peut bien me pleurer après tout ce que j’ai fais et je n’ai pas fais. Je ne suis pas si importante mais je crois qu’on a encore besoin de moi, un peu, rien qu’un peu. Il faudrait que j’ouvre les yeux, que je me réveille . Il faut du courage pour ça. Après, je ne pourrais plus faire demi-tour. Juste un instant. Un peu de superstition. Je suis donc arrivée bien bas. Qu’importe, il n’y a que moi qui sait, qui entend. Dame du Destin, entends ma prière. Aide moi. S’il te plaît.

Les yeux de Cerridwen clignent rapidement et laisse passer une lumière brute et aveuglante. Les ampoules au dessus d’elle grésillent dans une mélodie entêtante. C’est désagréable, presque autant que sa bouche pâteuse qu’elle tente d’ouvrir pour parler . “Où” miment ses lèvres. On ne l’entend pas. Mais on la voit.

“Cerridwen !”

Elle se détend d’un coup. Alys est là, elle va bien, suffisamment pour se trouver à ses côté, suffisamment pour se jeter sur elle et fondre en larme une fois dans ses bras. Autour d’elle, on s’agite. Elle n’est pas seule. C’est bien.

“Je vais bien” tente d’articuler Cerridwen qui essaie de redresser en position assise mais une main ferme l’en empêche. Cadi l’observe, le visage grave dans sa robe en noir et blancs, des traces de maquillage éparses lui reste sur ses pomettes.

“Vous êtes tombée, mademoiselle. Par la volonté de la Dame du Destin, vous avez été capable de donner votre nom à la dame qui vous a aidé. C’ comme ça que j’ai su et que je suis venue. Le docteur qui vous a examiné est pas très très content, vous savez. Enfin, pour votre cheville, vous y êtes pour rien. Mais il est d’accord avec Mamzelle Alys et moi pour vous savez quoi”

Long soupirs de Cerridwen. Complot pour lui faire prendre du poids il y avait bien entre sa sœur et sa dame de compagnie. Qui plus est, elle vient de survivre à un mouvement de foule, faut il vraiment qu’on la sermonne là dessus maintenant. Lentement, elle passe son bras dans le dos d’Alys et le frotte avec tout ce qu’elle peut donner comme tendresse.

“Plus tard, Cadi. Désolée d’avoir déranger ton jour de congés avec des broutilles

- C’est pas des broutilles, mademoiselle. J’aurai du être avec vous. La milice veut rien dire mais il parait qu’il y a des gens qui ont été écrasés, vous vous rendez compte ?! En plus, on sait même pas ce qui s’est passé exactement. Si ça se trouve, ça recommence comme il y a deux ans. Ou alors, c’est un coup des Saggitari, ça ressemble bien à un complot de mafieux tout ça, vous croyez pas ? T’façon, comme d’habitude, on saura jamais la vérité à tout ce bazar et …”

Cerridwen fronce un peu les sourcils à l’adresse de Cadi qui comprend assez vite le message et change immédiatement de sujet. Par chance, Alys semble plutôt amusée par l’idée d’imaginer Cadi protéger Cerridwen de la foule de son corps frêle et ne semble pas avoir porté d’attention à la suite.

“La dame qui était avec Mamzelle Alys a proposé qu’elle reste avec elle le temps que vous alliez mieux. Comme Madame votre mère est toujours à la campagne pour sa santé et Monsieur … enfin voilà”

Cerri hoche lentement la tête, arrive enfin à se mettre assise, enfin. Quoi qu’elles en disent et en pensent, c’est nettement plus confortable.

“Cela te conviendrait, Alys ?” demande Cerridwen “Je pense que ce serait mieux pour toi. Tu serais dans des conditions idéales pour finir paisiblement le lycée et préparer ton entrée à l’université. Ça ne serait que temporaire. Je suis persuadée qu’il ne serait pas très compliqué d’avoir l’accord de Père pour ça …

- Mon accord pour quoi ?!”

Cerridwen loupe un souffle et déglutit. Alys s’est accrochée à son bras , tremblante et n’ose pas se retourner. Un coup d’œil rapide à Cadi lui permet de constater que contrairement à elles deux, elle a su anticiper la menace : l’arrivée de Bedwyn Tyluanos tout d’uniforme vétu, suivi de sa cohorte d’assistant et de garde de corps. Elle s’est postée dans un coin, bien droite, ses yeux fixés sur le bout de ses bottines reluisantes, prête à courber l’échine si on s’appercoit de son existence, en parfaite petite domestique. Elle n’a juste pas eu le temps de les prévenir. Cerridwen déglutit, invite d’un geste calme Alys à se détacher pour qu’elle puisse s’installer sur un tabouret à côté d’elle. Il faut qu’elle ait le champ libre pour l’affronter lui, sa colère et ses sermons. L’avantage, c’est qu’il ne fera pas plus en présence d’un tel public. Tout chef de la milice qu’il est , il est plus simple, elle le sait, de ne pas déclencher un scandale plutôt que d’avoir à l’étouffer. Et puis, ses mots sont suffisamment assassins pour qu’il ait besoin d’exprimer son mécontentement autrement. Mais qui sait, les vieilles habitudes ont la vie dure. Cerri se doit de l’affronter, malgré son état. C’est d’autant plus important maintenant. Ses mains tremblent comme des feuilles, elle les caches sous les draps. Elle se force à ne pas le quitter des yeux, surveille chacun de ses gestes et de ses rictus pour anticiper. Il la foudroie du regard, glacial. Cela fait tellement longtemps qu’elle ne l’a pas vu . En même temps, depuis l’épisode du bureau, elle fait tout pour l’éviter.

“Je t’ai demandé quelque chose” reprend-t-il “Parle

-En l’absence de Mère et dû à mon hospitalisation, je pensais qu’il serait judicieux pour le bien d’Alys et les on-dits qu’elle ne reste pas seule avec les domestiques

- La gouvernante peut très bien s’occuper d’elle, c’est pour ça qu’on la paie d’ailleurs”

Pour ça et pour être vos yeux et vos oreilles en toute circonstances, Père.

“ Ce n’est qu’une gouvernante, Père .” Rétorque Cerridwen. Elle déteste déjà ce propos mais imaginer Alys sous la supervision du sbire favoris de son père qu’est Meriona la dégoûte tout autant. Autant la déclarer coupable dès maintenant de faits imaginaires.

“Vous n’avez pas une très bonne image auprès des universitaires, Père. Cadi me rapportait que l’épouse du professeur Hillifrigel proposait de me rendre ce service. Elle bénéficie d’une excellente réputation, sa famille est irréprochable et son mari proche du Doyen. Ils ne sont certes pas issus de notre caste, mais ils sont au dessus de Meriona en la matière. Alys y trouverait un cadre parfait, je pourrais discuter avec Madame Hillifrigel pour m’assurer que nos attentes sont identiques .

- Cette dame travaille ?

- Elle est musicienne dans l’orchestre. Hauboiste, si je me souviens bien.”

Le dédain pince les lèvres de son père , se change en colère.

“Si tu avais été plus vigilante et ta mère avait assurer son rôle …

- Mère a encore besoin de repos “ s’emporte sans le vouloir Cerridwen “C’est ce que disent les dames de l’institution et ce qu’elle vous répéteront si vous les contactez.”

Bedwyn se tend, sa main amorce un mouvement violent. Cerridwen rentre les épaules et s’interpose entre sa sœur tétanisée et lui. Il s’arrête, elle guette du coin de l’œil la suite. Le coup devrait être pour elle mais la colère le rend aveugle. Il ne l’a jamais frappé, il n’en a jamais eu besoin . Alys non plus. Avant elle croyait que seul Taliesin avait eu à pâtir de sa violence physique. Elle se doute , se rangeant à l’avis d’Alys, que Mère aussi . Il se ravise, Cerridwen s’est retournée pour lui faire face, toujours, son regard toujours accroché au sien. Il ne faut pas faiblir , il ne faut pas faillir mais l’affronter de front n’est pas la meilleurs des idées. Elle ravale la boule qu’elle a au fond de la gorge avant de reprendre d’une voix qu’elle veut posée mais qui se charge de quelques tremolos. Il ne faut pas tenter le dévoreur de Monde.

“Je comprend … Père … que la situation actuelle a tout pour vous déplaire … mais j’aimerai que vous preniez en compte que … ni moi, ni mère , ni Alys n’en sommes responsable. Nous en sommes même victime, raison de ma présence ici. J’ai toujours tout fait pour ma part pour servir vos intérêts et Alys est une brillante représentante de notre famille. C’est pour cela que j’aimerai que vous donniez votre accord .

- Pour ?! Sursaute-t-il presque

- Qu’Alys aille vivre chez le professeur et son épouse le temps que la situation s’améliore et que je me rétablisse. Pour qu’elle puisse continuer à être notre fierté en toute quiétude.”

Le regard de l’homme dévie quelques instants sur sa seconde fille qui n’ose toujours pas croiser son regard. Il pousse un soupir grogné, déranger par un de ses assistants qui toque à la porte et se présente dans l’entrebâillement.

“Si tu estimes cela nécessaire “ finit il par lâche, rangeant définitivement sa man le long de sa taille. “Ni toi ni elle ne m’êtes utile actuellement de toute façon”

Cela devrait sonner comme un reproche voilée mais Cerridwen sent un poids immense quitter ses épaules, là où quelques mois plus tôt il aurait donné lieu à des heures d’autoflagellation. Maintenant ils sont synonymes de liberté et de repos

“Nous restons à votre disposition, Père” répond Cerridwen tandis qu’il quitte la pièce d’un pas lourd.

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