L'appel
27 Octobre
Perle ouvre un œil, tâtonne, ne trouve qu'une couette déformée à ses côtés, tandis qu'une odeur de café lui chahute les narines... La jeune policière se lève et se dirige vers la cuisine, où Loryn, qui lui tourne le dos, enfourne des toasts dans le grille-pain.
La voix de la femme, toute frimousse dehors, se fait câline.
— Bonjour, M. Deaumère (1).
Son époux effectue un demi-tour.
— Ça t’amuse, évidemment.
— Comme une folle. Mais, ne t’inquiète pas, tu vas t’habituer. Une affaire de semaines. Tu n’aimes pas t’appeler Deaumère ? C’est un joli nom, pourtant.
— Il y a encore deux décennies, c’est toi qui te serais appelée Fenl *1.
— Que veux-tu, mon chéri... il faut vivre avec son temps. Je ne te demande pas de m’apporter le petit déj' au lit , ne te plains pas.
— Approche, joli monstre.
Le professeur saisit tendrement son commandant favori et plaque l’attirant corps contre lui.
— Je ne vois guère qu’un moyen pour toi d’obtenir le pardon de tes insolences.
Perle écarquille innocemment ses yeux noisette.
— Te faire tes tartines ?
— J’avais bien une autre sorte d’idée.
— Je vois… il n’y a pas que les tartines qui soient horizontales…
— Tu lis dans mes pensées, mon joyau.
Perle se trémousse onctueusement.
— Écoutez, Monsieur Deaumère, je petit-déjeune , puis j’examine votre requête avec la plus grande bienveillance. Je ne veux pas vous donner de signes trop favorables, mais je pense que vous pouvez vous montrer confiant. Votre projet est à l'étude. Je suis en récup', et la petite dort encore, ce qui nous laissera un répit inespéré pour vérifier si l’adoption d’un matronyme n’a pas eu d’effet fâcheux sur votre virilité. Et puis, à quoi servirait-il d’avoir un époux pour ne pas s’en servir ?
— Tu mériterais que je t’étrangle.
Elle lui claque un bécot et pirouette en riant.
— Ne tarde pas à déjeuner. Imagine que Jade se réveille… Adieu, veau, vache, cochon, couvée…
L’ex-monsieur Fenl s’assoit instantanément.
— Tu sais stimuler les ardeurs, toi ! Tu n’as jamais pensé à faire carrière dans la politique ?
Le rire frais de sa femme dégringole sur le pédagogue.
— Tu perds du temps en blablatant… Selon mes estimations les plus optimistes, la progéniture, dont tu as ardemment souhaité la conception , devrait nous laisser encore une vingtaine de minutes.
— Ose prétendre que tu n’es pas heureuse…
— Je n’ai pas dit ça. Je rappelle juste au papa-gâteau qu’il est à l’initiative du bout de zan qui ronfle dans son lit à barreaux. Et que par conséquent, il serait malvenu de regretter un manque d’intimité relatif à sa présence.
— Tu es encore plus désirable quand tu fais la raisonneuse.
Les yeux de l’épouse pétillent.
— Ouh là ! Mâle dans les starting-blocks. C’est le moment de te soutirer un diamant ou une croisière. Du nougat. Quant à cette idée de me faire apporter le petit déj' au lit, elle redevient finalement d'actualité.
Loryn n’a pas ouvert la bouche pour répliquer que l’horripilante injonction du téléphone diffuse son insistance doucereuse. Il a le temps de se demander si les "drings" à l’ancienne n’étaient pas moins exaspérants que ce sirop sonore. Déjà, Perle s’est précipitée sur l’appareil.
— Allo, allo ?
— …
— Oui, Coco… Que se passe-t-il ?
— …
— Oui, oui, mon portable est coupé… je me levais, là…
— …
— Où ça ? Quand ça ?
— …
— Mais, c’est dans l’arrondissement, ça !
— …
— À ce point-là ?
—…
— Bon, bon, j’arrive, je suis là dans un quart d’heure.
Elle avise son conjoint d’un regard navré, tout en reposant l’odieux combiné sur son socle.
— Faut que j’y aille. Un homicide atroce. Selon , Coco, c’est un carnage.
Elle ne récolte en retour qu’une mine désabusée. Fichu métier !
Elle enfile à la diable son jean, un tee-shirt, son perfecto, chausse une paire de tennis, récupère son arme de service et son mobile, attrape un toast. Pas le loisir ni la peine de se goinfrer. Ce qui l’attend risque fort de lui retourner l’estomac.
Le claquement de la porte d’entrée souligne définitivement les délices manquées d’une matinée prometteuse.
Une ride barre le front soucieux de Loryn. Quelle drôle d'idée d’épouser une fliquette…
(1) Perle Deaumère et Loryn Fenl, voir "Retour de Flamme". Dans cete société du milieu du XXIe siècle, ce sont les maris qui prennent le nom de leur épouse.
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