Bourdonnements

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2 Novembre -L'Univers -

L'épouvante à nos portes

Depuis une huitaine , un assassin sans visage sévit dans la capitale.

Selon les experts en criminologie de l'AECC, dont la compétence n'est plus à démontrer, un copycat s'attaquant à des homonymes de personnalités célèbres et rappelant des assassinats non moins notoires est une première dans l'histoire de la délinquance. Après Trotsky : Jacqueline Bouvier-Kennedy. Qui sera la prochaine victime ? Parmi les habitants de la métropole des dizaines de milliers portent un matronyme identique à celui d'un people. Doivent-ils craindre pour leur sécurité ? Faut-il s'inquiéter si l'on s'appelle Sadate, Fossey ou Falcone ?

Les enquêteurs n'ont pas souhaité répondre à nos questions, ce qui, à notre sens, relève d'une coupable nonchalance. Les citoyens ont le droit d'être informés quand des faits aussi graves frappent la capitale, qu'une menace rôde. Liberté de la presse et droit à l'information : deux notions qui ne semblent pas tourmenter les autorités, lesquelles, non contentes de se cantonner dans une omerta fort mal à propos, mettent des bâtons dans les roues à nos équipes. Gageons que le bon sens finira par s'imposer pour une protection optimale des administrés.

Glenda Farrell

Le détail de nos investigations en page 4.

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Perle et ses collègues, qui aimeraient faire abstraction de ces piques, produites par des mouches à merde, selon la terminologie élégante et précise de Double A, travaillent d'arrache-pied. Ils ne peuvent toutefois reléguer où elles le mériteraient ces nouvelles, lesquelles, pour ne rien gâter, se dupliquent sans analyse sur les réseaux d'information : dans les poubelles de la démago fangeuse. Telles des Érynies (1), elles volettent autour de nos enquêteurs, accompagnant leur ronde malodorante d'un vrombissement parfaitement désobligeant. Quel est l'anglicisme, déjà ? Le buzz, non ?

Exploitation du mécontentement des gens à fin d'audience, cornette de l'angoisse agitée en tous sens sur le mode "notre ville n'est pas sûre". Rien de nouveau sur la planète médiatique. Le couple peur-indignation, plus que jamais fleuron du populisme. L'édition numérique a rallié des centaines de milliers de vues.

Édito signé de la pétulante Glenda Farrell, naturellement, de sa plume trempée dans l'acide prussique. Jusqu'où la gratte-papier ira-t-elle pour augmenter les ventes de la feuille de chou où elle émarge ? La décolorée s'est spécialisée dans le torchon talentueux, carbure au sang et au fiel. La combinaison fonctionne du feu de Dieu. Le plus intrigant demeurant qu'elle ne se départ jamais d'une contagieuse bonne humeur, aussi spectaculaire que ses fréquents retournements de veste.

La contacter pour lui souffler dans les bronches ? Ça ne servirait à rien. Elle ne demande que ça... elle s'est déjà pointée à la PJ trois fois, vu qu'elle rêve d'obtenir une interview exclusive du commandant Deaumère , figure devenue éminente depuis la résolution de l'affaire Omphale, et, par là-même, vendeuse.

Parmi les nouveautés mentionnées par le brûlot de la Farrell, le sigle ne laisse pas d'intriguer Perle, John et Andrew. La cheffe manifeste son ignorance.

— L'AECC ? Qu'est-ce que c'est encore que cette farce ? Des amateurs éclairés qui se prennent pour nous ?

Comme souvent, Coco et ses connaissances encyclopédiques se collent à l'explication.

— L'Association d'Étude des Crimes Célèbres, un phalanstère de farfelus qui se piquent de réviser l'histoire . Vous noterez l'utilisation du terme 'étude'. On ne donne pas dans le loisir. C'est du sérieux. Il se trouve de plus en plus de gens pour adhérer à leurs thèses.

— Un phalanstère ? Ils habitent ensemble ?

— C'est juste une expression, Perle. Je voulais simplement dire par là qu'ils se livrent à leur marotte individuellement tout en appartenant à une collectivité. Et la marotte en question, c'est de revenir sur la crédibilité des assassinats de personnages illustres . Anomalies dans le déroulement, doutes sur l'identité du coupable, et tutti quanti...

— Mmmm, pas exactement des complotistes, mais le style... et l'affaire que nous avons sur les bras va les mettre au centre de l'actualité.

— Tout juste, Sherlock. J'ai commencé à m'intéresser à ces joyeux lurons... devine un peu...que crois-tu qu'ils soient en train de potasser ?

— Pas le temps de jouer aux énigmes, Watson !

— Ces boute-en-train bossent sur les meurtres marquants ayant été commis sur le continent nord-américain, et plus particulièrement à Mexico, Dallas... et Washington. Soit Trotsky, Kennedy et...

Perle sursaute.

— Non ? Tu penses que la prochaine victime va s'appeler Lincoln ?

— Ce ne serait pas complètement aberrant.

— Du coup, j'ai bien peur qu'on ne puisse faire l'économie d'une visite au club des guillerets révisionnistes.

— Je le crains aussi.

La concertation abandonne ensuite les rives escarpées de la fantaisie historique pour faire porter son intensité sur des éléments plus tangibles.

Dans un premier temps, une confirmation : les cheveux retrouvés chez Jacqueline Bouvier, les uns sur le canapé, les autres sur le tapis, en plus de ceux de la victime et du mari, appartiennent à deux personnes différentes, lesquelles ne sont pas fichées aux empreintes génétiques.

Et surtout du nouveau : D'abord, Jacques Buyr-Bouvier, le néo-veuf, a fait état, à sa deuxième convocation, d'un oncle à héritage moribond, un tonton-galette sans enfants, dont Jacqueline était la légataire en droite ligne, précédant en cela un cousin éloigné. Selon Jacques, son épouse espérait que la ressource providentielle et surabondante qui devait lui échoir lui permettrait d'abandonner un emploi pour lequel elle se sentait de moins en moins d'affinités. Hélas, il ne sait mettre ni un visage ni un nom sur le futur donateur, Jacqueline n'ayant abordé le sujet que très évasivement.

Ensuite, une visite au notaire de Lionel Bronstein a libéré une information primordiale. La victime n'est pas morte intestat. Son leg se divise en trois parts égales, entre sa fille Vanessa, son fils Alexis et sa maîtresse Anastasia.

Le renseignement croustille d'autant plus que les recherches autour de la fille Laniste indiquent que le micheton de Vanessa ne vogue plus en haute mer. Pire, il est aux abois. La barcasse tangue à qui mieux mieux. Le recours à l'héritage de papa-bienfaiteur revient par conséquent sous les feux de l'actualité. Les poses supérieures dont la pouffette a cru intelligent de submerger Coco relevaient de la comédie la plus éhontée. Ou alors... son compagnon lui a caché la dégringolade...

— John, tu me passes au crible l'emploi du temps de la fille Laniste et celui de l'ex-empereur de la finance. La grognasse revient en force dans la ligne droite. Elle pourrait bien coiffer tout le monde au poteau.

Dès qu'on parle turf, la compréhension du lieutenant Vanson s'aiguise. Aussi obtempère-t-il sans tarder.

— Andrew, tu vas te mettre en quête des ayant droits qui suivent Jacqueline Bouvier sur la liste des héritiers du tonton-pactole, si nous parvenons, du reste, à déterminer l'identité de ce dernier. Buyr accepte de nous laisser farfouiller dans les documents de Jacqueline sans qu'il nous soit nécessaire d'habiller la démarche d'une officialisation quelconque. Il s'est proposé de nous apporter toute la paperasse, ainsi que le PC portable de notre cliente. En revanche, tu veilleras à me faire un rapport circonstancié de tes recherches, et, je l'espère, de tes trouvailles.

— Aye aye (2), cheffe.

— Quant à toi, Coco...

— Je vérifie les alibis d'Alexis Laniste et d'Anastasia Louvonaï au soir du 26 Octobre, complète le capitaine Caïm.

— On ne peut rien te cacher.

Corindon reprend :

— Je suppose que tu vas te payer le luxe d'une exploration à l'AECC...

— Le moyen d'en faire l'économie ? J'ai toujours rêvé de m'immerger dans des cercles d'enquêteurs parallèles. Et puis là, franchement... j'ai beau être fan des coïncidences... deux meurtres calqués sur leurs préoccupations du moment, c'est gros, c'est énorme...

La concertation se clôture sur cette répartition. "Du pain sur la planche, pense Perle, et nous n'en sommes qu'au commencement."

(1) Divinités vindicatives, célèbres pour avoir persécuté Oreste (matricide) ou Œdipe ( parricide et inceste) à la suite de leur forfait.

(2) À vos ordres.

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