22 novembre, milieu d'après-midi.

Depuis la veille, Perle s'est plongée dans les dossiers dorénavant déverrouillés que son correspondant nocturne lui avait fait parvenir. Elle médite, creuse, extrait, synthétise, déduit. Une ride du lion prématurée se dessine sur son minois froncé. Elle fait alterner l'extraction des données en question avec de nombreux coups de téléphone. Son débit verbal s'accélère. Elle voltige entre les correspondants, enfonce les réticences au bélier. Du pur Deaumère-style.

Compte-tenu de la stagnation relative de leurs investigations, John et Double A ont été réquisionnés temporairement pour les affaires courantes : Des échauffourées, deux fusillades, une attaque de fourgon ayant laissé un transporteur de fonds sur le carreau...

Perle a grogné, arguant à raison que Gisela Bughetti avait beau jeu d'espérer des résultats rapides quant au cas de l'Alpiniste, alors que de l'autre main elle lui enlevait des moyens. Avec cet effectif peau de chagrin, a-t-elle fait valoir à sa supérieure, le ralentissement des recherches était assuré. Or le retentissement de l'enquête en cours justifiait une priorité absolue.

Comme souvent, la brunette a visé juste, et fait vibrer la corde sensible. En effet, la grande cheffe, peu encline à se déjuger, mais épouvantée à la seule évocation de l'agitation médiatique potentielle, a-t-elle consenti qu'Andrew Asdan et John Vanson resteraient affectés à leurs tâches du moment, mais que Perle disposerait de leurs services sur simple sollicitation de sa part. Croquignol et Filochard ont, par conséquent, reçu la consigne d'abandonner leurs occupations courantes dès lors que la jeune policière les contacterait.

Coco, pour sa part, a dédié ses dernières quarante-huit heures au camping internautique. Planté devant son PC, assiettes et couverts sales se superposant paresseusement, un thermos de café à portée de main, il collecte sur Trotsky, Jacqueline Bouvier, Sadi Carnot et Ratchett des montagnes de détails, enrichissant au passage des connaissances déjà considérables. Le petit capitaine procède à des dizaines de recoupements. Aucun ne le convainc, et puis, surtout, la gamme de combinaisons est infinie. Font-ils fausse route ? Étant donné l'intensité qu'il a projetée sur ce chantier, il aimerait autant ne pas avoir à s'en persuader. Ce conglomérat d'éléments historiques doit bien signifier quelque chose !

L'OPJ Deaumère ouvre une page de tableur. En guise d'ordonnées s'affichent plus d'une vingtaine de noms. L'empilement de gauche est complété par plusieurs autres colonnes, formant des rangées au fur et à mesure de leur entassement. Chacune de ces rangées s'attache à un individu précis. Parmi les intitulés des dites colonnes, du classique : mobile potentiel, alibi, caractéristiques psychologiques, surnom ou pseudonyme, origine géographique, sympathies politiques, parcours professionnel, connexions, y compris familiales, avec les autres suspects, antécédents judiciaires, changement éventuel de nom ou de domicile, relations avec les victimes...

Des associations se sont imposées d'elles-mêmes en ce qui concerne les deux premiers meurtres : Bronstein-LouvonaÏ, Bouvier-Palpe...

Beaucoup moins évident pour les deux suivants : le sdf empaqueté dans la défroque républicaine de Carnot n'ayant toujours pas été identifié, et Cassetti, en tant que citoyen américain, sans véritables attaches en France, n'ayant fréquenté que très épisodiquement le territoire national.

Après ce rigoureux passage en revue, Perle retourne aux dossiers. Un élément majeur lui aurait-il échappé ? Elle sent que la clef est là, toute proche, dans ces pièces dont elle a fait défiler les multiples pages. Dans le même temps, elle a ouvert une nombre de fenêtres tout à fait déconcertant. Les onglets s'accumulent, finissant de la noyer dans un désordre généralisé. L'amas d'informations lui brouille l'esprit et les caractères minuscules de la plupart des documents n'aident pas.

Et s'ils avaient fait fausse route depuis le début ?

Au bout de deux heures et demie d'un forage acharné, elle est interpellée par un paragraphe. Elle se rue alors sur le moteur de recherche — Elle n'en est plus à une ouverture de fenêtre près — tape frénétiquement le nom de la personne qu'elle vient d'extirper. Un nombre spectaculaire d'occurences s'offre alors à ses yeux fatigués. Elle clique sur celles de la page une et parcourt les articles avec boulimie. Ceci fait, elle reprend son tableau, avise la première colonne, dirige le pointeur de la souris sur un matronyme.