Une demi-heure plus tôt.

On voit l'arrière d'une tête dépasser d'un fauteuil Voltaire, de dimensions inhabituelles, tourné vers la fenêtre.

Tout est bientôt terminé. L'avenir s'annonce doré à la feuille. Envisager un exil ? Oui, mais pas tout de suite, pas trop tôt, pour ne pas éveiller les soupçons. Un an et demi, deux ans... juste assez pour que l'affaire se tasse.

Des pensées aimables accompagnent la femme vers un eden de cartes postales. Les songes errent — c'est leur raison d'être —, invitent au voyage*, heurtent d'incroyables florides*2, rebondissent, se cognent à la réalité, reviennent sur du concret : la conne Laymge ne connaît pas sa véritable identité, Les instructions lui ont été envoyées par une messagerie issue du darknet, ou même par voie postale, en compagnie de régulières liasses d'argent liquide, fines et fréquentes. Elle ne se sera pas fait suer pendant des années à sortir chaque semaine des petites coupures des distributeurs. Elle ne se sera pas non plus cassé la tête en vain pour diversifier les bureaux de postes, les horaires et les boîtes aux lettres au moment des envois.

La tueuse ne peut pas remonter jusqu'à elle, sauf coup de malchance extraordinaire. Et il vaut mieux, car il n'est pas exclu que la Laymge laisse imprudemment des traces et finisse par se faire pincer. Quand on se souvient de l'incroyable négligence qu'elle a commise le soir du meurtre de Jacqueline Bouvier...

Franchement, l'esprit criminel ne s'improvise pas. Cette psychopathe misandre n'en a pas l'étoffe. Elle n'est qu'une exécutrice. Un bras, certainement pas une tête.

On sonne à la porte, la femme va ouvrir, sans appréhension aucune. Deux hommes en uniforme la dévisagent sévèrement.

Pour l'accession aux îles paradisiaques , ça sera peut-être plus long que prévu.

* https://www.poetica.fr/poeme-447/charles-baudelaire-invitation-au-voyage/

*2 https://www.poetica.fr/poeme-1906/arthur-rimbaud-le-bateau-ivre/