Vertikal[4][1] { Mute departure }
<S4R> Du bout de son pied nu, elle frappe deux fois, quatre fois, puis s’élance. Rythmée par les battements de l’éther, elle tourne et se jette au grès du mouvement. Complexe et simple se mêlent pour ne devenir qu’un chaos gracieux. J’essaie de repérer une forme, une logique derrière ses pas, mais à chaque fois que je m’approche d’une conclusion celle-ci me fuit à coup d’imprévisibilité. Ajustant sa partition au fur et à mesure, elle étend les écarts et peint les croches comme elle l’entend, les fausses notes perdent leurs fautes. Elle danse. Et avec elle entraîne les torrents d’éther dans son sillage, menant ses cavaliers immatériels, elle les guide à coup de volonté et de gestes bien placés. Le rouge de sa chevelure se mêle au bleu brillant de l’éther qui tournoie furieusement autour d’elle. Jusqu’au moment, ou d’un geste brusque, elle jette un bras en avant. Son poing semble si petit par rapport au large torse de la créature ! Elle ne semble que le toucher, l’effleurer à peine. Puis tout à coup un claquement de tonnerre retentit dans la pièce. Des éclairs naissants de la main de Retori sont projetés de tous côtés alors qu’une onde de choc fait voler le sable aux alentours.
La créature est violemment projetée contre le mur qui se fissure sous l’impact. Elle glisse lentement au sol, recroquevillée sur elle-même. Du liquide rouge s’écoule de son long museau difforme, mais ça ne suffit pas. Le monstre s’est mis à genou, un grognement gonfle et résonne avec son corps massif. Quand le son sort de son museau, il s’est transformé en un rugissement féroce. Il se frappe violemment le poing d’une main, et de l’autre agite sa lame dentée aussi noire que le reste de ses habits. Maintenant redressé de toute sa hauteur, il domine son adversaire de plusieurs têtes et doit faire au moins deux fois sa largeur. Il respire par à-coups lents, aspire l’air avec difficulté et le recrache bruyamment.
Le nez presque collé sur l’écran, les poings serrés, je ne suis qu’un simple spectatrice. Quand la créature se jette en avant, j’en fais de même. Ouvrant d’un coup d’épaule la porte de la salle, je me précipite dans les couloirs et laisse derrière moi le node, sans lui accorder un dernier regard. Qu’il se perde dans l’incertain de l’étherne(l)t si ça le chante. Toute la rage qui m’habitait tout à l’heure est redirigée vers le monstre qui se bat contre Retori.
Elle n’est pas si loin, la grande pièce circulaire où le combat se déroule est facilement reconnaissable sur les plans. Encore un escalier, les cercleux sont devenus rares, j’hésite quelques instants avant de finalement passer sur la droite. Les plafonds effondrés et les barricades me forcent à emprunter d’autres chemins. Mais je finis par entendre les bruits de la bataille. Dérapant sur le sable, je me retiens de justesse de tomber à l’étage en dessous, et enfin je les vois.
Un peu plus bas, les deux adversaires sont engagés dans un ballet à mort. La lame siffle en mordant l’air, Retori s’enroule autour du bras, et envoie son pied dans la mâchoire de la créature. Déstabilisée sans vraiment être blessée, elle titube en arrière tout en balançant sans trop viser son arme devant elle. À l’aide de pirouettes et autres acrobaties Retori esquive et contre-attaque dans un même mouvement, elle danse et mord, ses crocs frappent, vifs et inattendu. Pendant un moment, je m’autorise à souffler, elle n’aura pas besoin de moi finalement. Puis j’aperçois de fines entailles rouges sur la peau blanche de Retori. Sans son armure en cuir pour la protéger, elle est à la merci des morsures de la lame. Un grognement presque animal sort d’entre ses dents serrées, elle n’a jamais été patiente, et là, elle ne s’amuse plus. Elle se lance à nouveau à l’assaut, je remarque immédiatement ses lignes trop droites. Elle va viser la tête.
— Pas la tête ! C’est trop évident, idiote !
Elle vise la tête. Genou en avant, elle bondit sur son adversaire. L’autre ne rate pas l’occasion. Il se décale subitement sur le côté, et contre-attaque aussitôt. Sans l’habituelle protection des longues cuissardes en cuir, la lame traverse facilement le tissu pour mordre directement la chair en dessous. L’acier caresse longuement la peau nue qui lui est offerte. Sous le tracé de son fil, une coulée rouge écarlate contraste avec le blanc pâle de la cuisse. Emportée par son élan, Retori s’écroule lourdement au sol et roule sur quelques mètres. Elle n’a pas encore réalisé, plusieurs fois, elle tente de se lever, et à chaque fois sa jambe blessée se dérobe sous elle. Quand finalement la douleur la rattrape, elle laisse échapper un feulement presque animal. À genou parmi les débris, elle a sa main plaquée sur la plaie, tentant vainement d’endiguer le sang qui coule sans vouloir s’arrêter. Encouragée par la vue du liquide carmin, la créature pousse un hurlement et bondit, le couteau en avant. Retori ne peut que regarder la mort arriver sur elle. Moi je peux la sauver. Je bondis sans réfléchir à la suite, ma seule préoccupation est d’éloigner le monstre, donner du temps à Retori. Je choisis une tournure agressive, compresse les mots, les accentues à coup d’éther et les jette en avant. Je ne vois même pas l’effet produit, trop occupé à rouler dans la poussière.
<R3T> L’espace devant la créature commence à tournoyer à toute vitesse, se déforment à vue d’œil. Je reconnais la réthérorique de Sara, je sens aussitôt mon cœur faire un bond dans la poitrine. Elle a survécu, elle est là. Puis l’air compressé est relâché d’un seul coup avec une détonation sourde, l’explosion soulève un épais nuage de poussière, puissant, mais pas suffisant. L’humanoïde n’a pas trop morflé, un genou à terre, il agite le bras devant lui. C’est à moi de le démonter.
— Crève !
<S4R> Je me relève en toussant, les jambes meurtrit, il me faut quelques instants pour reprendre aplomb. Je cherche frénétiquement Retori du regard. Elle se tient droite, malgré l’estafilade sur sa jambe. D’un geste sec de la main, elle trace une ligne d’éther horizontale qui se transforme aussitôt en arc électrique crépitant. Le trait de foudre flotte devant elle, supporté par une multitude de piliers d'électricités. L’éther semble accélérer encore son mouvement et se met à cracher des éclairs dans toutes les directions. Brusquement, elle ajoute un tracé, vertical cette fois. Au croisement des deux lignes, l’éther claque avec de plus en plus de violence, accélère encore et encore.
À travers les craquements des éclairs, j’entends un rire dément. Le visage déformé par un affreux sourire, Retori se tord au bruit de la violence, se délecte de la puissance qu’elle tient à bout de main. Mais ça ne dure pas longtemps. Elle a plongé ses mains dans la foudre et lâché la destruction. Le rayon lumineux s’est jeté en avant, emporte dans son sillage la moitié de la salle, réduit en poussière l’autre moitié.
Le souffle me jette de nouveau à terre. Il me jette au visage une pluie de débris et de verre brisé. Par un réflexe stupide, je crie, et aussitôt une poignée de sable en profite pour se jeter dans ma gorge. Suffocants et les larmes aux yeux, je ne peux que me recroqueviller sur moi-même, et prier pour que la tempête passe.
Elle n’a pourtant duré que quelques secondes. Quelques secondes suffisantes pour ravager davantage les lieux. Au sol, un profond sillon trace une cicatrice dans le sol de béton, dans les airs, une épaisse couche de poussière flotte encore, emportée par les courants d’air qui s’infiltrent à travers les vitres brisées.
Au milieu de la salle, Retori est toujours debout. Elle a une mine affreuse, mais elle est encore vivante. La douleur qui me martèle les membres n’a soudainement plus d'importance, Retori est vivante. Oscillant dangereusement de gauche à droite, elle semble sur le point de s’écrouler. Son regard est toujours fixé sur son adversaire. L’affreuse créature est tombée à genou, fumante, un trou au milieu du torse. La foudre l’a transpercé.
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