Vertikal[6][8] { In Awe Of }
<n1l> La voix chante dans ma tête, mais n’ose pas sortir de mes lèvres.
Qui sait ce qu’il y a dehors. Derrière moi, là-bas, je n’aime pas. Je n’aime plus. Trop d’immobiles, alors que juste derrière la porte, ils m’attendent. J’ai hâte ! Ils vont se battre, j’espère qu’ils vont se battre, est-ce qu’ils auront peur de moi ? Tant pis. Tant pis.
<CL4> Sortie de nulle part, une chanson commence à danser dans ma tête. À travers le voile noir qui a recouvert mes yeux et coupé mes sens, je peux presque la voir, agiter ses notes devant mon nez, brillante chaleur, qui s’agite sans s'arrêter pour refroidir mon coeur glacé de peur.
J’essaye de tendre mon bras vers elle, pour ne serait-ce que l’effleurer, mais mon corps tout entier semble avoir disparu, ne laissant à la place qu’une forme vague et changeante, un vent lumineux et violet. Je veux retenir mon souffle, de peur de faire disparaître mon corps de nuage, puis réalise que je n’ai plus de bouche non plus. Pourtant, je sens le courant de ma respiration faire danser la brume. Je m’amuse un moment à faire bondir les fils brillants qui me composent, je les envoie loin, comme d’autres paires de mains, plus libres que ma propre chair. C’est si simple ! Plus encore que de bouger pour de vrai. C’est agréable, c’est agréable ! Beaucoup trop pour la situation.
Ce n’est pas normal, j’essaye de me recentrer, revenir vers mon vrai corps. Mais les fils brillants ne veulent pas me laisser, les paisibles brises se transforment en bourrasques mordantes. Je griffe à coup de volonté pour retrouver mon chemin vers mon corps. Il est là, encore douloureux et fatigué, puis les autres sens me reviennent. La main presque brûlante de Hassanne sur ma bouche, le sol dur sous mes jambes, les courants d’air glacé, la peur.
Par hasard, ou bien attirés par le mouvement, mes bras-filaments ont lancé leurs doigts sur les notes qui traînaient encore non loin. Surprise, je n’ai senti au début qu’une légère brûlure. Elle semblait partir de là ou aurait dû être mon cœur dans mon corps venteux, tel un charbon fatigué après une longue nuit, puis elle s’est embrasée. Innocente destruction, les flammes ont enlacé de leurs étincelles mes morceaux de vents, je me suis embrasé et pendant un infime instant, je ne suis plus totalement.
Il y a un souffle, fort. Fort du sang qui coule en dessous de la peau, fort de la peur qui suinte, retenu à grande peine par le courage qui noue les fils dans le devoir. Pourtant, malgré tous ces délicieux mouvements, une autre force plus grande encore empêche le tout de s’exprimer, elle rend l’ensemble fade, humain même. Elle s’appelle Claire. Elle accroche de sa vie le mouvement.
Lent, mou, fini.
Un pistolet appuie contre sa cuisse, une main s’en approche, elle pourrait…
<n1l> … le libérer d’un geste.
Je la sens contre moi, à l'intérieur presque. Ce n’est pas bon, pas bon. Il faut qu’elle arrête, elle brûle, même d’ici les flammes de son corps qui s’agitent enflamment également mon corps, se répandent partout à l'intérieur. Je veux la dévorer elle aussi.
— Non.
Je ne dois pas, ce n’est pas juste, ça ne sonnerait pas bien. Alors d’une pichenette je la jette hors de moi.
Je n’ai plus envie d’être ici, je laisse derrière moi la porte fermée, tant pis. J’en trouverais d’autres.
<CL4> Le bruit de la chaîne s’éloigne dans le couloir. Hassane et Édouard s’échangent un coup d’oeil ravi, mais ne s’autorisent à respirer vraiment qu'après de longues minutes d’attentes. Pour être sûr. Pendant ce temps, je lutte pour remettre mes idées en place.
J’ai l’impression que mon corps est désaccordé, qu’il ne répond plus correctement, trop lent, trop lourd. Je mets ça sur le compte de la douleur, je tente d’oublier le cauchemar de tout à l’heure, parce que le vrai cauchemar commence maintenant.
Les deux hommes se sont lancés dans un échange virulent, que ma petite voix bredouillante n’a pas réussi à rejoindre. Sans pouvoir en placer une, je les ai regardés me condamner.
Finalement, Hassane se tourne vers moi, son demi-visage montrant une expression de gêne à peine dissimulée.
— Écoute, Claire, on… on va partir devant. On fera diversion, toi t’en profite pour filer par derrière, d’accord ?
Son ton est calme et posé, tout en parlant, il me tend sa radio, puis me la fourre dans les bras quand je ne réagis pas.
Les mains posées sur mes épaules, il arrive même à décorer le tout d’un début de sourire en coin. Comme si ça allait adoucir ma condamnation. Je sais qu’il ne reviendra pas sur sa décision, il tient trop à Édouard, et à lui même. Qui peut le blâmer ? Là, j’aimerais vous dire que j’ai rassemblé tout mon courage pour jouer le jeu. Pour ne pas le forcer à se sentir coupable, mais ce n’est pas le cas. Je l’ai supplié de ne pas me laisser, menti que je ne serais pas un poids, que je saurais me rendre utile. Mes mains tremblantes s’accrochent à son bras et je chiale.
Mais il a déjà décidé. D’un geste ferme, il se détache de ma faible poigne et s’éloigne. Ma vision en a profité pour revenir à son état normal. Je le vois, lui et Édouard, très clairement dans l’embrasure de la porte. Ils se serrent la main, se donnent une accolade, et disparaissent dans le couloir. Ils n’ont même pas jeté un regard en arrière. Je pose mon dos contre le mur, à travers la fenêtre, un rayon de lumière bleu pâle illumine l’endroit maintenant vide de monde, mais pas de mouvements.
Autour de mes mains coulent des filaments qui s’agitent, vivants, mouvants.
Lentement, je me perds, envoûtée par ces morceaux de moi filamenteux, qui m’arrachent la douleur, ou plutôt, la transforme en autre chose. Alors, dans cette pièce où seul le vent ose siffler, un ricanement s’élance, discrètement d’abord, puis jusqu’a en atteindre le plafond. Je ne me rends pas compte que ce rire sort de ma bouche.
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