Chapitre 3 : L'amour platonique est le temps qui sépare la première rencontre du premier baiser
~Alexis Johnson & Tom Ella~
— Putain Tom, j’suis désolé mec ! J’suis à la bourre, j’sais. J’étais à fond sur ma couleur et j’ai pas vu le temps passer… J’ai fait au plus vite ! La preuve, j’suis sorti en ayant les cheveux encore mouillés, si ça c’est pas de l’amour ! Bon, j’avoue que j’étais tellement pressé que j’ai pas remarqué au début… Mais on s’en fout, j’suis prêt à choper la crève si c’est pour purger ma peine d’être en retard et de t’avoir fait attendre.
À bout de souffle, Alexis se laissa tomber lourdement sur la banquette en face de Tom, qui le scrutait en silence. Attendant vainement une réponse de la part de ce dernier, les sourcils d’Alexis se froncèrent et ses yeux marron s’assombrirent, lui donnant un air plus sévère. Sa langue claqua contre son palais pour signaler son désagrément.
— Hey mec, m’matte pas comme ça ! J’me suis excusé… T’es quand même pas en colère à ce point ? Et puis, t’as attendu quoi, cinq minutes à tout péter ?
Il fit mine de chasser l’air avec sa main. Alexis n’était pas de ceux qui admettaient facilement être en tort ou même de s’excuser pour ça, d’autant plus qu’avouer avoir une quinzaine de minutes de retard était contre son habitude d’éternelle mauvaise foi. À la place, il préférait plutôt minimiser la situation ou carrément ignorer le problème. Ainsi, la solution était toute trouvée.
Toujours sans articuler le moindre mot, Tom se leva en prenant appui sur la table et s’avança vers Alexis qui ne broncha même pas. Il saisit une de ses boucles entre ses doigts et la détailla minutieusement pendant de longues secondes. Ses cheveux étaient aussi soyeux que souples et exhalaient un exquis mélange de noix de coco et de karité. Par ailleurs, ils avaient changé de couleur pour la énième fois en l’espace de quelques semaines seulement. Alexis était comme ça : incapable de garder la même coupe ou teinture trop longtemps, ressentant constamment ce besoin de changer de tête pour on ne savait quelle raison.
— Non, c’est pas ça… J’aime bien ce violet, ça te va bien. T’en as juste un peu partout sur le cou, la nuque et vers les oreilles.
La voix de Tom était légère, presque timide, comme s’il avait peur de parler trop fort et de se faire remarquer par le peu de clients présents dans le restaurant. Furtivement, ses doigts se dirigèrent jusque sur la joue d’Alexis, effleurant sa peau imberbe qu’il se plaisait tant à caresser.
— Tss… et t’en as même sur la joue. T’as fait ça n’importe comment.
Alexis ne releva même pas cette remarque. Ce contact, délicat et innocent, réchauffa le cœur des deux hommes dont la respiration se ralentit peu à peu jusqu’à s’éteindre totalement. Les orbes émeraudes de Tom fixèrent cette petite tâche violette à moitié effacée qui l’obnubilait. Puis, son pouce glissa avec délectation jusqu’à la lèvre inférieure d’Alexis, jouant lascivement avec l’anneau de son piercing.
L’atmosphère s’électrifia. Avec un petit sourire en coin, Alexis ouvrit légèrement la bouche pour faire courir sa langue sur ce doigt intrusif mais loin de le déranger. Les dents de Tom s’enfoncèrent alors discrètement dans le creux de sa joue et son regard remonta lentement jusqu’à croiser celui de son vis-à-vis qui brillait d’une lueur malicieuse. Ce petit jeu, prêt à dérailler à tout instant, perdura encore un moment, sans qu’aucun des deux, captivés l’un par l’autre, daigne détourner son attention.
Tom avait rapproché son visage de celui d’Alexis, de sorte à pratiquement se vautrer sur la table qui les séparait. Leur proximité était telle qu’il pouvait sentir son souffle chaud lui caresser la peau et se mélanger délicatement au sien. Il distingua également une odeur de cigarette – sans doute fumée en chemin – émaner de sa faible expiration.
Il jeta un coup d’œil un peu plus loin afin de s’assurer que personne autour n’avait remarqué la tension qui s’était installée entre eux. Fort heureusement, il avait choisi une place en retrait et à l’abri des regards indiscrets, leur évitant ainsi d’être dérangés ou épiés, juste parfaite pour leur rendez-vous en toute intimité.
Ses yeux se recentrèrent sur l’objet de sa convoitise : l’irrésistible bouche d’Alexis. D’un rose pastel, ni trop fines, ni trop pulpeuses, ses lèvres lui rappelaient la douceur et la gourmandise. L’anneau ornant le côté inférieur droit rendait le tout encore plus alléchant. À comparer, les siennes étaient plutôt sèches et gercées, parfois fendues à cause des coups de poings qu’il ramassait pour des raisons qu’il préférait taire. Elles étaient loin d’être aussi attirantes ou même provocantes, en somme.
Tom déplaça ses doigts sur le front d’Alexis afin de dégager une mèche de cheveux rebelle qui avait attiré sa curiosité. Sitôt fait, il les reporta sur sa joue pour la caresser gracieusement, dessinant de petits cercles concis. Son cœur s’emballait, sa respiration se saccadait et son esprit divaguait, mais il ne dévoila rien de tout ça. Il se contenta simplement d’esquisser un sourire décent, appréciant l’emprise qu’il avait sur Alexis.
Alexis détestait ne pas avoir le contrôle. D’autant plus quand c’était Tom qui l’avait et qu’il s’en délectait déraisonnablement. Il trouvait ça injuste, ça le rendait fou et ça l’énervait intérieurement. C’était lui le plus vieux, lui le plus audacieux, lui qui d’habitude imposait sa présence, contrairement à Tom qui était bien plus discret, voire effacé. Dans la logique des choses, c’était lui qui devait être sur cette table à jouer avec les nerfs de son petit ami jusqu’à le mettre hors de lui, pas l’inverse.
Il ravala difficilement sa salive, en même temps que son ego, attendant impatiemment la suite des évènements. Pour la deuxième fois, il sentit le pouce de Tom le long de sa lèvre inférieure et des frissons lui parcourir l’échine jusqu’à lui picoter cette zone qu’il valait peut-être mieux ne pas réveiller pour l’instant. Il aurait voulu prendre son menton entre ses doigts longs et fins, le regarder ardemment et lui dire d’une manière aussi brutale que suave d’aller droit au but au lieu de l’exaspérer. Alexis n’était pas patient, surtout pas pour ce genre de choses.
Pour calmer ses pulsions, il se focalisa sur les prunelles de Tom. Ses yeux, bordel de merde, comment se faisait-il qu’ils soient d’une couleur aussi vive, exceptionnelle et hypnotisante ? Est-ce que cet imbécile savait que ça lui donnait des airs incroyablement sexy ? Non, bien sûr que non. Tom ne se doutait pas à quel point il était attirant et ignorait même comment user de ses charmes. Et putain, c’était ça qui le rendait aussi séduisant : l’inconscience de sa beauté sans pareille.
N’y tenant plus, Alexis plaqua sa main derrière la tête de Tom, empoignant sauvagement ses cheveux, et l’attira contre lui, réduisant drastiquement les quelques centimètres qui les éloignaient l’un de l’autre.
Leurs bouches se heurtèrent, leurs dents s’entrechoquèrent et leurs langues se cherchèrent avant de se lancer dans une bataille acharnée. Parmi les nombreux points qui les opposaient, il y avait surtout leur façon de faire : tandis que l’un était plutôt brusque dans ce qu’il entreprenait, l’autre préférait y aller avec délicatesse et patience. Malgré tout, c’était cette complémentarité que chacun appréciait chez l’autre.
Ce dont Tom prit conscience en cet instant fougueux était qu’il l’avait cherché : il avait poussé Alexis à bout et c’était là sa façon à lui de manifester sa frustration après ces insupportables minutes à se dévorer du regard sans passer le cap. Alors, il s’abandonna complètement. Tom laissa Alexis mener la danse, appréciant l’enivrement de ses baisers enflammés lui brûler les lèvres puis l’entièreté de son corps. Il sentit comme des milliers de papillons prendre leur envol dans son ventre pour se transformer en délicieux vertiges. Un sourire se dessina sur son visage lorsqu’il songea à la première fois où ils s’étaient embrassés ainsi.
Tout naturellement, c’était Alexis qui avait pris les devants. Il n’avait pas pu résister à la tentation de goûter à cet appel, de pouvoir enfin éclairer ce côté encore brumeux qui lui faisait se poser mille et une question. Sans grande surprise, le résultat avait été le même que lorsqu’il embrassait des filles, rien de bien divergeant. Quant à Tom, il y avait longtemps qu’il ne faisait plus aucune différence et il se fichait bien de savoir qui il embrassait, peu lui importait le genre.
Leur baiser passionné prit fin trop rapidement, au grand dam d’Alexis.
— A-Alexis, a-arrête… Le but c’est pas de fourrer ta langue au fond de ma gorge pour m’étouffer !
Tout en s’essuyant le menton recouvert d’un peu de bave, Tom, rieur, s’écarta et reprit sa place initiale sous le regard meurtrier de son petit ami qui claqua une nouvelle fois sa langue contre son palais.
— Quoi ? T’aurais voulu que j’te smack p’t’être ? On a plus douze ans, j’te signale…
— Bah, on aurait dit ! T’embrasses comme tu fais ta couleur : n’importe comment. Même Moxy bave pas autant.
— Attends, quoi ? Moxy ?! Tu m’compares à ton clebs ? Tom, j’te jure que-
— Alexis, je plaisante. T’emporte pas comme ça.
La voix de Tom recouvra un ton apaisant et, pour accompagner ses paroles, il posa sa main sur celle d’Alexis, entremêlant timidement leurs doigts, sans même oser le regarder droit dans les yeux. Il se sentait un peu honteux de son comportement, de l’avoir provoqué ainsi pour finalement se rétracter, gêné par son audace. Il n’y avait que lui pour passer d’une personnalité à une autre, pour transformer le majestueux tigre qu’il avait au fond de lui en un adorable chaton, et d’agir comme si de rien n’était. C’était si absurde, mais Alexis le trouvait toujours aussi surprenant et il l’aimait pour ça.
Il y avait tant de raisons pour lesquelles Alexis aimait Tom, et autant qui faisaient que Tom l’aimait en retour, qu’il leur était parfois difficile de les expliquer avec des mots. L’un n’était pas le plus doué pour exprimer ses sentiments ou même de comprendre ceux des autres, en particulier ceux de son petit ami, qui lui, préférait tout enfouir au fond de lui et en exprimer le moins possible, par peur de se montrer vulnérable. Il y avait alors parfois des malentendus et des non-dits, engendrant beaucoup de maladresse entre eux. À défaut de se confesser, Tom et Alexis avaient trouvé le parfait compromis : démontrer l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre non pas par des mots, mais par de simples gestes.
Ainsi, une fois l’atmosphère revenue à la normale et leurs ardeurs calmées, Alexis serra la main de Tom plus fort dans la sienne, comme pour s'assurer qu’il ne s’en irait jamais et le garder auprès de lui.
— Bon, tu voulais m’dire quelque chose, non ?
Désemparé, Tom se détacha aussitôt de l’emprise d’Alexis, affichant une grimace qui déforma son visage, d’habitude impassible.
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