Le téléphone-gobelet [Les 7 Dragons de Weylor]
Karel était intrigué par les jeux des autres enfants de leur âge. Tous les enfants du village travaillaient ensemble pour fabriquer un jeu qu’il ne connaissait pas, dans le but étrange d’effectuer un « concours ». Habituellement, il serait resté là, à les observer de loin. Mais ses parents ne cessaient de lui dire qu’il devait, même si c’était difficile pour lui, aller de temps en temps vers les autres. Le jeune garçon les connaissait seulement depuis un an, et même s'il les connaissait encore à peine, ces deux adultes étaient désormais l'un de ses nouveaux repères pour apprendre à vivre normalement.
Alors il essaya. Il prit son courage à deux mains, descendit de son perchoir, et rejoignit le trio le plus proche en affichant une expression enthousiaste. Il jeta un oeil intrigué à leurs créations : entre leurs mains se trouvait plusieurs gobelets de bois percés d'un trou dans le fond, et reliés par paire par une ficelle. L’un des garçons lui lança :
- Désolé, Karel, mais ce jeu n’est pas pour toi. Il faut parler, pour ça !
- Oh…
La déception l'envahit, accompagné de ce désagréable sentiment de malaise devenu coutumier depuis qu'il était ici. Voilà qu’il était encore moqué. Une énième fois, en prenant aussitôt conscience de la situation : ils avaient fait exprès de choisir un jeu auquel il ne pouvait pas participer, pour le ridiculiser devant le plus grand nombre possible. Karel lâcha un soupir à peine audible : il commençait vraiment à se lasser d'essuyer échecs sur échecs, lui faisant presque regretter son ancienne vie.
Alors il détourna le regard, et s’éloigna, refusant de montrer sa déception et sa douleur. Ils avaient déjà suffisamment trouvé de quoi rire de sa personne. Karel avait beau s’être habitué à ce traitement, il ne parvenait toujours pas à l’accepter, et encore moins à l’encaisser et faire comme si de rien n’était. Chaque fois, cela l’affectait. Voilà qu’un an qu’il avait appris la vérité sur sa différence.
- Eh ! Où tu vas ?
Karel tomba nez à nez avec Lya, les poings sur les hanches. Son frère lui signa rapidement la situation, et envisagea de rentrer, mais sa sœur se mit en colère :
- Non, mais tu deviens aussi bête qu’eux, ma parole !
Karel lui jeta un regard agacé :
- C’est bon, je n’ai pas besoin que tu en rajoutes.
Mais sa sœur lui sourit :
- Tu sais souffler, non ? lui rappela-t-elle ; tu sais, par exemple, « chut », tu es capable de le faire, non ? Ce son n’utilise pas les cordes vocales, que je sache. Tu n’as pas idée du nombre de bruit que l’on peut faire rien qu’en soufflant entre ses dents ! Si tu t’entraînais un peu, je suis même certaine que tu serais capable de siffler ! Je peux t’apprendre, si tu veux !
Son frère la regarda avec surprise, et se sentit, en effet, un peu idiot de ne pas y avoir pensé. Gêné, il se gratta nerveusement l’arrière du crâne en détournant le regard. Lya éclata de rire, et lui tendit sa propre version du jeu :
- Oublie ces crétins. Viens, allons jouer ensemble !
Karel se sentait toujours gêné quand elle disait ça. Il avait la désagréable impression de lui faire perdre des relations. Mais Lya n’en eut que faire : elle lui tendit l’un des gobelets en bois, sur lequel il vit avec surprise, une flûte de pan collée sur le rebord.
- Oh, Lya ! s’écria-t-il en pensées, sincèrement touché par sa gentillesse et son dévouement.
- Avec ça, tu pourras me parler comme si tu avais une vraie voix ! lui annonça fièrement Lya ; allez, viens ! Vu comment ils te traitent, je n’ai pas envie de participer à leur concours débile. Puis ma version est bien meilleure que les leurs, parce que l’un des joueurs peut faire de la musique dessus ! Nous allons jouer dans la grange, tu verras, ça sera amusant !
Ceci dit, elle lui saisit sa main et l’entraîna vers leur maison, Karel retrouvant enfin un vrai sourire.
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