Désirer, c'est aimer
Marion m’attendait déjà, nue. Impatiente comme toutes mes élèves. Si l’art et son expression m’ont bien appris quelque chose, c’est que nous n’avons rien à envier à la jeunesse. Bien au contraire c’est elle qui nous envie. Il en va de même pour la sexualité. Et c’est ainsi pour la simple et juste raison que le sexe, tout comme l’art, est une expression de notre être. Profond j’entends bien. Mais encore faut-il pouvoir le comprendre. Il est vrai que la perversion décadente nous invite bien souvent à se délecter de chair toujours plus fraîche. Sans un pli, sans une impureté, jugées disgracieuses parce que nous, la société l’avons décidé ainsi. De la même façon que notre société, en ces temps décadents pour ce que représente l’Homme, à choisi de dénigrer, d’enlaidir certains d’entre nous. Toujours sur ce principe que l’on gomme nos imperfections, nous nous en débarrassons. Les nazis produisent leurs « idées cosmétiques », les agents de la Gestapo les vendent, les collabos les consomment, les silencieux se questionnent. Les résistants ? Des artistes. Mis à part les communistes, des concurrents. Rien ne diffère. Je me demande si Marion saurait distinguer la beauté, de la perversion. C’est pourquoi je l’ai invitée à mon appartement, avec la complicité de Thomas, mon gardien.
- Bonsoir Monsieur dit-elle tout en interrompant mes pensées.
- Appelle-moi simplement Gabriel.
Elle préfère m’appeler Monsieur, je le sais déjà.
- Commençons.
Dés les premières touches, son corps trahit la perversité. Regrettable, pensai-je à ce moment. Pas surprenant, toutefois. Tout le monde ne peut s’entendre. Ce qui m’a toujours provoqué du scrupule à exercer mon métier de professeur. On n’enseigne pas l’art. C’est lui qui nous enseigne pourvu qu’on puisse le comprendre, se comprendre.
A mesure que le pinceau fuit sur ses courbes aux teints halés, les poils s’hérissent. Les siens.
- As-tu froid ? lui demandai-je.
- Non… Gabriel.
Elle s’embarrasse à prononcer mon prénom. Il n’est pas de ma nature d’apprécier l’emprise que j’ai sur elle. Ni d’en jouir. Claire le sait bien, elle.
- Je n’aime pas que l’on me mente, Marion.
Je la recouvre de la même blouse, empruntée ce matin par Claire. Lui cédant une part de la perversion qu’elle désire. Ici, la cruauté sadienne. L’odeur de Claire y est marquée. Pour seule réponse, Marion mord ses lèvres supérieures tandis que celles du bas se mirent à pleurer. L’admiration du professeur, son fantasme et péché, vomit sur mon œuvre. Je suis en colère. J’entends alors :
- Hélène.
Qui était-ce ? Lily ? Non. C’est moi. Mon sang se fige un instant, comme tout ce qui m’entoure. Tant que je peux travailler, sur les toiles sans âmes, j’oublie mes rêves incessants, mes tourments. Une des raisons de mon succès et de mes pauses interdites sans aucun doute.
- Gabriel ?
Marion hésite. Elle se questionne. Elle sait que mes pensées vont vers une autre. Elle le sent, tout comme elle sent l’odeur de Claire sur son dos. Elle finit par sangloter. C'en est trop pour elle et son jeune âge.
- Pardon Marion, lui dis-je.
Je suis sincère à ce moment. Je remercie une dernière fois Claire de m’avoir enseigné comment se trahir et s’excuser. Avant d’en oublier son existence. Et le prénom d’Hélène.
Je sèche aussitôt ses larmes. Je ne l’ignore pas, admirer, c’est aussi désirer. D’une mauvaise façon certes.
- Désirer, c’est aimer, lui soupirai-je.
Juste avant de lui offrir tout ce qu’elle souhaite. Une nuit.
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