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Dès qu’ils furent dans la chambre, ils voulurent conjurer le futur par leur fusion au présent. Gilles réchauffa longuement Codou, pour le consoler. Il le bascula doucement afin de pouvoir le serrer contre lui pendant leur jouissance.

— Codou, tu sais, pour la première fois, je viens de faire l’amour…

Il sentit le chagrin de son jeune amant mouiller sa poitrine. Il berça sa tête d’enfant dans ses nattes jusqu’à ce que son compagnon s’endorme. Il le suivit et fut réveillé par de douces caresses. Il se laissa conduire et explosa dans l’éternité, avant d’être, à son tour, couvert d’une immense tristesse. La chaleur de son bel amant le ramena doucement à la vie.

Ils étaient allongés. Encore une fois, l’intensité de leur rapport les avait transportés hors de ce monde inhospitalier. Pourtant, une nostalgie de l’impossible les enveloppait déjà.

— Tu es beau de partout. Tu es un garçon, un vrai. J’aime ta masculinité. J’aime autant ta féminité. Je voudrais aussi t’aider à être bien en toi. Tu es parfait comme tu es. Ne change rien…

Il poursuivit son discours par un hommage à sa virilité. Abreuvé, il revint.

— Tu es incroyable ! Tu reviens si vite… je peux te poser une question ?

Codou ne répondit pas. Ils s’étaient tant dit.

— Comment cela se fait que tu n’aies pas de poils ? J’ai regardé les autres africains, ils en ont…

— La deuxième année ici, j’avais dix-huit ans, un client a beaucoup parlé avec moi. Je lui ai dit que je voulais rester comme un enfant, tout en étant un homme. Il était médecin, il m’a tout expliqué. Sans que je lui demande, l’année suivante, il est revenu en m’apportant un traitement. Je ne sais pas ce que c’était, mais je lui ai fait confiance. Il m’a dit que cela m’aiderait. Tu te rends compte ? C’était un beau cadeau ! Ma voix est redevenue celle d’un enfant, tous mes poils sont tombés.

— …

— C’est lui aussi qui m’a instruit sur les maladies, les protections.

— C’est important ! Tu es content du résultat du traitement ?

— J’aime ma voix, même si j’ai eu du mal au début. Pour le reste, je ne sais pas… Je plais beaucoup, à beaucoup d’hommes…

— Mais toi, tu te plais ?

— Quand certains me regardent comme tu le fais, je suis content d’être comme je suis.

Donc, d’autres hommes l’avaient déjà regardé avec adoration…

— J’ai un peu peur, car lorsque j’ai arrêté le traitement, ma voix a rebaissé. J’espère que je resterai quand même un peu comme ça…

— Mais cet… ami, il n’est pas revenu ?

— Non ! Sa femme a découvert qu’il couchait avec moi et ils se sont disputés devant moi… Tu vois, je porte les malheurs ! Ceux qui me font du bien en souffrent beaucoup.

— Codou, tu donnes beaucoup aussi aux autres !

— Je sais ! Il y a beaucoup de vieux messieurs qui sont heureux de coucher avec moi, de se faire sucer la bite…

— Codou, ne dis pas ça…

— Mais c’est vrai ! Ce n’est rien ! Moi, quand ils sont gentils, je m’en fiche de leur âge. Tu sais, plus ils sont âgés, plus ils sont contents…

— Moi aussi, je suis vieux…

— Tu es un peu vieux, pas encore beaucoup. Et puis…

— Et puis ?

— Tu tiens longtemps, pour ça, tu es encore jeune et j’aime bien coucher avec toi !

Gilles rougit de cet étrange compliment. C’est vrai qu’il avait un entrainement de sportif, s’adonnant au moins une fois par jour à un exercice devant les vidéos. Si on lui avait dit qu’un jour, quelqu’un en serait satisfait…

— Gilles, c’est dimanche. Il faut que j’aille travailler. Je suis en retard.

Il lui posa un petit baiser, enfila son slip minuscule, un immense t-shirt gris puis il sortit après un petit salut.

Gilles alla manger puis s’installa sur son transat. Il y avait du monde en ce jour d’arrivée. Son plagiste préféré ramassait les feuilles, maniant son épuisette avec grâce, ondulant spécialement devant certains hommes. Rapidement, un quarantenaire l’accosta. Après une brève discussion, Codou posa son outil et suivit l’homme de loin. Gilles n’était pas jaloux, simplement heureux pour son protégé. Il se leva et partit découvrir la plage. L’eau froide et les rouleaux expliquaient le repli sur la piscine. L’immensité de l’océan, les palmiers, le sable, la vue était paradisiaque.

Il revint en même temps que Codou. Il s’allongea quand ce dernier prit sa position debout à côté de lui.

— Gilles…

— Ne dis rien. Je t’aime.

Invisibles des autres clients, il monta sa main entre les cuisses de son adoré, pour caresser et réconforter l’objet du commerce récent. Codou parut apprécier cette sollicitude, avant de se défaire lentement pour aller ranger des transats puis reprendre son nettoyage.

Un autre homme s’approcha. Gilles devina la méchanceté en lui. Codou aussi, sans doute, car il semblait réticent. Ils s’éloignèrent. C’était l’heure du repas. À table, il lui fallut simuler de l’intérêt pour de nouveau des inconnus. Il entendit les mêmes idées toutes prêtes sur le pays et les Noirs ! Les siennes à son arrivée. Il ne supporta pas ce retour d’imbécilités. Il raconta son expérience du marché, de la famille de Codou. Il devint le centre d’intérêt, comme s’il détenait un savoir secret. Sans vraiment de motivation, il mit à bas quelques principes racistes, par lassitude. Il n’appartenait plus à cette communauté.

Codou n’était pas revenu quand il retrouva son matelas, alors qu’il était presque deux heures. Il sut que c’était mauvais en le voyant revenir. Il se leva, le prit par la main et le tira dans sa chambre. Il retira les deux vêtements, le poussa sous la douche et le savonna doucement, longuement, par où il devait avoir souffert. Des marques zébraient sa peau. Codou se laissait manipuler. Gilles sentait de petits soubresauts agiter son corps, sans doute des sanglots. Il continua, longtemps, jusqu’à ce qu’il sente son amant se calmer. Il l’essuya avec tendresse, le rhabilla et le serra dans ses bras.

— Codou, je ne veux plus que tu souffres. Je vais te racheter à ton cousin. Je vais t’aider et aider ta famille…

— Gilles, je ne veux pas. Des fois, c’est très dur. D’habitude, je supporte. Mais comme tu étais là, j’ai craqué. Ce n’est pas bien. Je dois être fort ! Il m’a très bien payé. Il veut recommencer chaque jour. Je dois le faire.

Il se défit et sortit reprendre son travail. Gilles le suivit, se demandant quel était le montant de la passe et comment empêcher le prochain rendez-vous. Il tournait les idées les plus saugrenues dans tous les sens. Dans un moment de vide, un étonnement le saisit, car il s’aperçut que depuis leur visite à sa famille, toutes ses pensées étaient tournées vers Codou. Jamais, auparavant, il ne s’était préoccupé un tant soit peu d’une autre personne, hormis les questions matérielles pour sa mère, même pas de son insignifiante personne.

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