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Sa vie ne changea pas vraiment. Tout s’était fait dans une continuité qui atténuait la chute.

Il reprit ses petites activités et croisait un des frères de temps en temps. Quand l’un venait le saluer, il savait qu’il venait quémander une aide. Dès leur installation, ces demandes avaient commencé : un cousin malade, Djiby qui avait un nouvel enfant, un bakchich à payer… l’imagination était toujours au rendez-vous. Il payait, se saignant, sachant que s’il ne donnait pas, il ne les verrait plus. Voir leur beau visage était le seul plaisir qui lui restait, même dégarni de la moindre aménité.

Plus tard, en discutant avec une vieille Blanche, il apprendra comment son « petit-fils » se débrouillait. Il y vit immédiatement l’expérience de l’aîné, n’arrivant pas à déterminer si cette complicité était néfaste. Le puiné s’était fait tailler une tenue mettant en valeur la jeunesse de son corps, mais laissant un flou sur son âge possible, lycéen, étudiant, jeune homme. Un débardeur permettrait de voir ses bras forts. Son visage, trait pour trait à celui de son frère, avait le même charme qu’il savait décupler avec un sourire irrésistible. Gilles l’avait toujours connu ainsi.

Le dimanche, après l’installation des touristes, lors de leur première sortie, il repérait une proie. Il possédait le même don que son frère pour détecter celles qui allaient céder. Il bousculait malencontreusement la dame, l’aidait à ramasser ses affaires, se confondant dans de telles excuses bafouillantes qu’il se faisait consoler par un verre, bien sûr sans alcool. La conversation s’établissait, le calmant. Plus à l’aise soudain, il laissait deviner ses attributs, renforcés par une habile coupe du vêtement. Il devenait câlin, caressant le bras, osant une discrète flatterie en rougissant. Il proposait ensuite simplement de suivre la dame, curieux des chambres de cet hôtel, lui, le petit Africain vivant dans une case. À peine le seuil franchi, il sautait alors au cou de la dame pour l’embrasser, puis rejouait le confus, emporté par un désir fou devant les charmes de cette femme, faisant mine de quitter la chambre. Une main compassionnelle et déjà conquise le retenait. Il se laissait guider, ignorant qu’il était de la chose, sans s’embarrasser, dans sa naïveté, à parler de protection si le sujet n’était pas abordé.

Un nouveau problème surgissait rapidement : les noirs n’étaient pas tolérés dans les couloirs, ils devaient se quitter. Heureusement, un ami, en ville, avait accès à une villa… Affolée par l’exacerbation de ses hormones, la vieille obtempérait. La semaine passait en folies, la demanderesse ne comprenant pas comment elle avait pu avoir cette heureuse chance qu’elle bénissait.

Cette histoire rappelait trop à Gilles son arrivée et l’accueil de Macodou. La fin différait légèrement. La veille du départ, dans le chagrin de la séparation, Samsidine disait son anxiété. Il avait séché le collège pour vivre cette merveilleuse et inoubliable aventure qui resterait à jamais gravée dans son esprit. Il devait rentrer chez lui, expliquer sa fugue. Il se ferait battre à mort, certainement : on ne disparait pas à quatorze ans sans se faire punir ! L’annonce de son âge, habilement esquivé pendant la semaine, mêlée à son désarroi, portait le coup de grâce. Les fibres maternelles et coupables à vif, la blanche cherchait un moyen désespéré pour effacer ces jours d’égarement. D’autant que ce jeune avait montré autant de vigueur que de cajoleries. La seule solution, peut-être, était de faire un cadeau à ses parents, à son père surtout, qui était irascible. Malgré les sommes impensables proposées, le jeune étalon ne se calmait pas.

La conteuse était une vieille habituée qui venait passer ici les trois mois d’hiver. Elle précisa à Gilles qu’elle en avait consolé quatre, mélangeant sans doute leurs histoires. Aucune n’en voulait à Léo, puisque Samsidine se faisait appeler ainsi. Chacune lui vouait une dévotion admirative, même si elles n’étaient pas dupes, et affirmant que l’année suivante, elle reviendrait.

Gilles était partagé, entre une admiration pour le numéro de Samsidine et le dégout qu’il le paie de son corps. Fondamentalement, cette histoire le bouleversait. Ce qu’avaient vécu ces femmes était tellement identique à la sienne, déclenchant la question douloureuse : Macodou avait-il été sincère avec lui ? Le scénario s’était déroulé de la même façon, mais Codou était resté avec lui un certain temps. Était-ce le temps de devenir propriétaire du studio et de la maison ? Gilles ne voulait pas connaitre la réponse, se raccrochant aux moments où Macodou exprimait du bonheur en sa compagnie. Mais alors, la même rengaine revenait : pourquoi lui ? Qu’est-ce qu’il avait apporté à Macodou pour obtenir tout ça ?

Ne pouvant plus donner, il ne croisa plus les deux frères. Un jour, il se rendit compte de la durée de cette absence. Il alla au studio, sur le devant duquel se tenait une fort jolie fille qui lui offrit ses services. Elle ignorait à qui appartenait cette chambre qu’elle sous-louait. Il poussa jusqu’à la maison, occupée par des Européens qui rentraient chez eux quand il arriva. Le gardien lui confirma que c’était les nouveaux propriétaires. Le lendemain, il partit au village de la famille. Le logement était occupé par une famille qui ne comprenait pas le français.

Depuis, il a rejoint ceux qui diluent dans l’alcool leur rêve déçu. Né à soixante-deux ans, il avait vécu quelques années les plus heureuses de sa vie, avant de redevenir rien. Sa reconnaissance envers Codou restait infinie.

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