Défi 1 : Les dalles de désolation

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Défi : décrire une ruelle dans laquelle le personnage est obligé de passer avec le champ lexical de l'horreur.

Je n'étais encore arrivé devant la ruelle que les odeurs s’en dégageant me firent ralentir le pas.

Les poubelles.

Ça puait les poubelles oubliées depuis plusieurs jours. Ou peut-être plusieurs semaines ? Mais je devais m’y rendre. J'y étais obligé. Dans une grimace, je franchis l’entrée et fut pris de nausées. Le mélange d’urine, de défécations enveloppées de pourri me remplit violemment le nez. Je soupesais mon ventre, me forçant à respirer par la bouche.

Lorsque je me redressais, mon regard s’écarquilla d’effroi. Une marée noire de détritus jonchait chaque recoin de ma vue, cachant certaines devantures des commerces abandonnés. Des sacs gisaient depuis tellement longtemps qu’ils avaient fondu, fusionnant leurs saletés noirâtres à la moisissure ambiante. Telle une mousse verdâtre, elle s’éjectait des restes sauvagement jetés, conquérant cette décharge en décomposition.

Je vomis, apportant ma touche artistique à la carcasse d’oiseau pullulant d’asticots et d’insectes écœurants.

C’était trop.

Mais je ne pouvais plus faire marche arrière. Le pas que j'avançais me demanda un effort démesuré. Le deuxième encore plus.

Je sursautai.

Chacune de mes avancées gerbait des mélodies diaboliques d’os brisés, de flaques graisseuses et d’insectes écrasés. Malgré mes bottes épaisses, la froideur de la marée grimpante, léchait mes pieds de plus en plus haut.

Je frissonnai.

Les bruits incessants des insectes rampants, des petits animaux cavalant sous cet amas ténébreux ; et les grincements rouillés des restes des boutiques irritèrent mes tympans. Allais-je réussir à traverser cette ruelle sans faillir à néant ?

Après des mètres interminables, les odeurs en putréfaction s’accouplèrent à celles du sang dans mes narines. Plusieurs bouts de chair coulaient des hauteurs des murs agressés, telles des cascades défuntes, pour épouser lentement la marée d’immondices. Des bouts d'œuvres d’art ensanglantées gisaient sur des rochers de désolation que rejetait cette mer de monstres. Etaient-ce des animaux ? Des humains ? Une cage thoracique éclatée s'érigea sous mon pas comme pour me répondre. Je déglutis avec difficulté, retenant de nouveau un haut le cœur. Puis un autre. Jusqu'à ce que les amas de déchéance se fissent plus rare. La marée commença à se retirer.

Pas les odeurs.

La mort.

Cela ne sentait plus que la mort. L’air alourdi devint sec et tranchant. L’obscurité se fit plus dense. Je ne discernais plus les fenêtres crasses et violentées des devantures. Les amas de sacs avaient tout englouti. Le sol n’était plus que ténèbres. Seule la lumière au bout de la ruelle me servait de boussole.

Je tremblai.

Les insectes avaient disparu et le froid me glaçait le dos. Quelque chose subsistait dans ce vide silencieux. Une conscience, un esprit, l’Obscurité même. J'étais terrifié, désemparé. Le mal-être griffait le reste de courage que je portais. Aspirant mon peu d’espoir, ce vide subtil émiettait mes convictions et mes doutes. Pourquoi devrais-je encore avancer ? Qu'allais-je y gagner ? Les Profondeurs grignotèrent dans mon esprit avec une telle avidité que je suffoquais de désespoir.

Non !

Je n’étais pas arrivé jusqu’ici pour tout laisser tomber. Je ne pouvais m’y résoudre, je devais avancer. Braquant mon regard sur la seule lumière d’espoir, je déglaçais mes pieds avec le regain de force que je m’octroyais et m'élevai. D'un pas, puis une lente respiration, puis d'un autre. La chaleur revint et avec elle, les prémisses d'un premier jour. Une nouvelle aspiration. Mon ombre s'étiola dans ce nouveau noir. Même si je continuais de perdre mon essence, à travers un temps qui n'était plus, je continuerai de me relever. Car il le fallait.

Pour moi.

Pour elle.

Pour nous tous.

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