Chapitre 44

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   Faut-il donc être fou pour se vouer ainsi à la folie ? Je ne le pense pas. En pénétrant dans ces lieux inconnus et relégués dans les oubliettes de notre Culture, mis à part quelques poètes comme Gérard de Nerval, quelques écrivains comme Dostoïevski, quelques cinéastes comme Ken Loach ou Hitchcock, je réalisai que le fou était un être humain à part entière, considérai les psychiatres comme des médecins à part entière, quoi qu'aient pu en dire et en penser mes maîtres des autres disciplines. La folie n'est rien d'autre que ce monstre qui sommeille en chacun de nous, que l'on enchaîne à vie aux tréfonds de notre âme. Et que certains dictateurs n'ont pas hésité à réveiller, à libérer, en eux et chez des milliers de leurs concitoyens. Hitler en est un exemple ô combien ! illustratif.

La psychiatrie nous permet de regarder le monstre droit dans les yeux, de l'écouter, l'observer, l'analyser. Elle a mis des noms sur ses particularités, névrose, psychose et perversion. Spinoza prétendait que ce qui lui procurait la joie, c'était la compréhension. En effet, comprendre la folie, la rendre intelligible, m'a rempli d'une joie indescriptible. Accorder au fou le statut de malade, au sens noble du terme, afin de lui permettre de recouvrer une dignité que la société lui refusait, devint dès lors mon objectif prioritaire. Frappé par cette révélation, ma vie allait prendre un tout autre sens, s'orienter dans une tout autre direction, que mon entourage, au début, eut bien du mal à comprendre.


Un nouvel espace, à la fois culturel et scientifique, obscur, impénétrable, ignoré du grand public à cette époque, et encore beaucoup trop de nos jours, s'offrait à mon esprit curieux, candide et attaché aux valeurs humaines. Je me suis efforcé, tout au long de ma vie, de mieux le connaître et de mieux le comprendre. Mon regard sur le monde, la société, les hommes, a radicalement changé, m'ouvrant une voie inattendue vers la maturité et l'autonomie. Si l'écriture est la science des ânes, la psychiatrie est la science des âmes.


Les malades atteints de pathologies lourdes et chroniques étaient installés dans des bâtiments anciens, imposants, à trois étages. Fermés, on y pénétrait avec un trousseau de clés digne de celui des serruriers. Des dortoirs de trente lits y perduraient, mais cela était appelé à changer. Il n'empêche que l'on désignait cyniquement ces lieux fermés sous le nom de « pavillons de défectologie ».


Depuis quelques années, de petits immeubles de plein pied, agréables, éclairés et spacieux, ne comprenant que des chambres individuelles, avaient été créés pour l'accueil de malades moins sévèrement touchés, capables de s'intégrer dans la société. Dans ces pavillons ouverts, les patients venaient de leur plein gré, sur le mode de l'hospitalisation libre, ils pouvaient en sortir dès qu'ils en exprimaient le souhait.


Les lieux fermés se trouvaient aux fins fonds du parc, les lieux ouverts non loin de l'entrée et des bâtiments administratifs. Il nous fallait parfois utiliser notre voiture pour les relier.


L'interne qui m'a reçu, qui allait m'initier à ce nouvel art, était un ami que j'avais suivi au cours de nos premiers engagements dans la contestation de mai 68. Effectuant son « stage interné » (le mot est savoureux), dans le service du docteur Boursailleau, il me fit visiter les locaux de son vaste territoire d'intervention, me présenta aux malades et aux personnels constitués exclusivement d'infirmiers en psychiatrie. Honnêtement, je ne me souviens pas d'y avoir rencontré des psychologues.


En m'assurant de son aide et de sa disponibilité pour répondre à toutes les questions qui me viendraient en tête, il me proposa d'assister avec lui à quelques entretiens, avant de sélectionner un petit nombre de malades à me confier.


C'est avec hâte et fébrilité que je me lançai dans cette aventure. Or, dès mes premiers pas, je mis une pagaille telle, dans cette partie ronronnante et bien huilée du service de ce bon docteur Boursailleau, qu'elle lui tourneboulera manifestement les esprits, l'entendement et les sens, sans pour autant qu'il m'en tînt rigueur ni qu'il m'en retirât sa sympathie.

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