Chapitre 67

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    Aksel... Quelle histoire ! Quelle aventure ! Très vite nous sommes devenus inséparables. Et bien oui, le coup de foudre existe également en amitié. Au sein de cette petite communauté assez fermée, je crois bien que je représentais l'aimant parfait sur lequel il pouvait se fixer. Il allait m'offrir tous les ingrédients nécessaires au renforcement de la confiance en soi, de l'estime de soi. Il excellait dans les domaines où je ramais et j'excellais dans les domaines où il ramait. Notre relation demeurait affectivement équilibrée en dépit de nos différences fondamentales et criantes, portant moins sur le fond que sur la forme, relatives à l'utilisation de la culture, de la séduction, et du comment profiter de la vie. Nous avions en commun l'idéologie socio-politique, la même attirance pour la marginalité, l'indiscipline, et la recherche du plaisir sans attendre qu'il soit, ou non, accompagné du bonheur.


Ce bel adonis avait déjà un parcours existentiel fascinant et original. Issu de la haute bourgeoisie provinciale, il était monté à Paris pour faire ses études et rentabiliser son crédit physique et intellectuel auprès des seigneurs de la capitale. Marié à la fille d'un médecin-chef, il divorça au bout d'un an pour s'amouracher d'une jolie peintre déjantée qui commençait à être connue. Avec laquelle il s'expatria dans une petite ville ouvrière et craignos de ma région, où ils achetèrent un bistrot qu'ils transformèrent en une maison des jeunes fort saugrenue en cet endroit, genre intello anarcho-gauchiste, avec des posters du Che Guevara, de Trostky et de Jean Jaurès... sur les murs, des disques de Brel, Brassens et Ferré, des succès pop rock et folk... dans le juke box, et le canard enchaîné, Hara Kiri, Charlie Hebdo, l'écho des savanes, Pilote... sur les tables. Ils ambitionnaient d'injecter du culturel émancipateur aux jeunes racailles des quartiers défavorisés. Mais comme on pouvait s'y attendre, ça n'a pas marché. Un an après ils se séparèrent et Aksel débarquait à Seglas.


Son accommodation à la vie de l'internat fut rapide. Ici les hommes, les femmes et les chiens, vivaient en bonne intelligence. Toutefois lui, s'y montrait courtois tout en gardant ses distances. D'autorité, en quelques mots bien placés, il a vite mis un terme à cette manie des collègues de rafler les vivres déposées pour le dîner. Son fidèle compagnon, un énorme berger briard, tout blanc à poils longs, qui se nommait « Phallo », ne le quittait jamais. Par contre, ma chienne « Kita », une bâtarde mêlée labrador et dogue allemand, au poil noir et luisant, vivait sa vie en toute liberté, avec ses congénères. Un jour, elle était allé fouiner dans l'appartement d'un interne, ouvrit la porte du four où séjournait un poulet rôti froid, qu'elle a ingurgité sans autre forme de procès. Cela m'a beaucoup amusé, qu'elle punisse ainsi l'un de ceux qui me chouravaient chaque jour mon dîner.


Peu de temps après son installation dans la villa, Aksel me dit :

- J'ai une copine qui travaille à Air France, je vais me faire livrer par elle un waterbed des U.S.A.

- Un quoi ?

- Un waterbed... un matelas rempli d'eau. J'en rêvais depuis longtemps. Et je te raconte pas comment faire l'amour là-dessus c'est un putain de pied !

- Je veux bien te croire.


Une semaine après la housse grand format, en plastique dur, capable de supporter facilement trois personnes, se retrouvait dans sa chambre. Un menuisier avait fabriqué un cadre en bois solide pour la contenir sur ses bords, il a fallu pas loin d'une demi-journée pour la remplir de mille cinq cents litres de flotte. L'essai fut indéniablement concluant. Oh combien ! Mais le bougre n'avait juste pas prévu qu'il allait cailler, la nuit, sur son matelas anti-escarres clapotant. Il dut le recouvrir d'un épais tapis de mousse synthétique, sur lequel il ajouta une ou deux couvertures. Seulement alors, en effet, on pouvait y prendre son pied. Je l'ai utilisé souvent avec mes « fiancées », c'est ainsi qu'Aksel les désignait, et elles en redemandaient. Sauf qu'il valait mieux éviter de s'y balancer lorsque nous avions un peu trop abusé de la dive bouteille, on peut deviner aisément pourquoi.


En permanence, nous étions deux larrons en foire. Nous avons écumé tous les restaurants des petites, moyennes et grandes villes des environs. Un samedi soir, je me souviens, nous venions de commander notre menu quand un mariage de franchouillards bien pensants s'est pointé. Quelques minutes après, nous avons entendu des cris, des vociférations, des hurlements de colère, et vu repartir les membres des deux familles, le visage vert de rage et le regard noir, en quittant les lieux d'un pas décidé. La noce était terminée avant même d'avoir attaqué les amuse-gueules.


La sociologie environnementale ne manquait pas de piment.


Tous les soirs, ou presque, nous allions entretenir notre condition physique au bowling de la ville la plus proche, avant de retrouver nos charmantes « fiancées » pour la nuit. Les patrons nous avaient à la bonne et nous offraient souvent un coktail. Aksel me battait à plate couture, il a même pulvérisé le record du bowling, avec un score de deux cent quarante cinq. Il réalisait également des performances incroyables dans d'autres disciplines, comme la natation, qui lui a permis de supporter l'arrêt du tabac, le rodéo en voiture et en moto, la pétanque, le poker. Toutefois, au ping-pong il a trouvé son maître, Haddy, notre collègue libanais, qui le rossait régulièrement.


Mais pour le plaisir d'aimer à partager avec les nanas, les éclairages en psy, l'humour sarcastique, les jeux de mots et l'écriture, je remportais le challenge. Toute modestie mise à part.


Ah les filles ! Ah les filles ! Quelle jouerie ! Comme disait mon père. On ne les comptait plus. Il m'arrivait d'en recevoir trois dans la même journée. Aujourd'hui je pense qu'il n'y a pas quoi en être fier... enfin, quand je suis foncièrement honnête et juste envers moi-même. Je conserve en souvenir leur jeunesse, leur beauté et leur tendresse. Vraiment, je les ai aimées. Il est vrai qu'en ce temps là j'identifiais chaque flirt au grand Amour. Notre voisin, Louis R. les voyait défiler chez nous avec, probablement, un air quelque peu envieux. Il fut mort de rire quand nous lui avons raconté l'aventure de cette adorable pin-up parisienne, grande blonde, jolie et sexy, frayant avec les célébrités d'antenne 2, qui, en débarquant chez nous en pleine nuit, s'est trompé de villa, a sorti le directeur de son lit, lequel ne nous en pas voulu et a, ma foi, bien réagi à la confusion de la belle.


Aussi, je rends grâce à Aksel de m'avoir fait découvrir tout un panel d'activités récréatives, enrichissantes et déniaisantes. Nos soirées n'engendraient pas la mélancolie. Les anecdotes croustillantes s'accumulaient, dont j'ai oublié la plupart, sauf celle où l'une de ses fiancées, élève infirmière de vingt ans, nous comptait les exploits sexuels hors normes de son nouvel amant, un vieux toubib deux fois et demie plus âgé qu'elle :

- Avant de se mettre au lit, il avale une pilule qu'il sort d'une boîte de médicaments et je peux vous dire qu'ensuite il assure un max !

- C'est quoi cette pilule ?

- Ben... je sais pas.

- Tu vas bien regarder et tu nous diras... ok ?

- Ok !
Quelques jours plus tard :

- Alors tu as vu ?

- Oui..

- Et c'est quoi qu'il prend... ?

- Sur la boîte j'ai vu mépro...je sais plus trop.

- Mépronizine ?

- Oui c'est ça !

Et nous en sommes restés comme deux ronds de flan... un somnifère ! Ça alors ! Il doit y avoir sûrement un effet paradoxal.


En tout cas, nous n'avons jamais essayé la mépronizine comme aphrodisiaque, par crainte de nous endormir comme une masse dans les bras de notre partenaire.


Maintenant, il faut que je dise un mot de nos sorties, de nos escapades.

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