18- Alka : le combat
Alka avait dormi d’un sommeil lourd pourtant, elle se sentait épuisée. Abattue, elle entra dans le salon. Noway était déjà là. Son air peu amène découragea la jeune femme de toute tentative de communication. Sans un mot, elle s’installa à la table pour le petit-déjeuner. Elle tâcha d’ignorer sa présence furieuse pendant qu’elle mnageait puis, fila se préparer. Il lui restait peu de temps avant son rdv avec les entraineurs : un combat était prévu aujourd’hui, elle avait demandé à y assister.
À leur arrivée dans les tribunes, une nouvelle mauvaise surprise l’attendait. Ils avaient convié un de leurs collègues.
Contrariée, elle s’avança pour les saluer. L’inconnu captura son attention d'un regard : des yeux d'un noir profond et brillant qui reflètaient son sens de l’observation et sa sagacité. D’une stature imposante, il présentait un port altier. Ses tempes grisonnantes et quelques rides indiquaient qu’il avait atteint l’âge de l’expérience. En quelques secondes, il emplit l'espace de sa présence.
L’homme prit acte de la présence de Noway d’un hochement de tête puis la gratifia d’un petit sourire courtois tout en lui serrant la main.
- Bonjour, Alka Prime, je suis Edan, le directeur en charge des Bulles-Ter rattachées à B2. Vous m’avez écrit hier alors j’ai jugé bon que nous nous rencontrions. Ravi de faire votre connaissance, conclut-t-il avec une drôle de lueur dans le regard.
- Bonjour, contente de vous rencontrer également, répondit-elle platement en lui rendant sa poignée de main.
Sans plus de protocole, il les invita à prendre place auprès de lui tandis qu’il envoyait ses deux subalternes préparer le début des combats. La fébrilité gagna Alka. Elle mit ce stress sur le compte de la fatigue et de l’appréhension quant à la réaction de Noway.
- Toutes mes excuses pour l’incident d’hier, dit Edan en se tournant vers elle. Soyez assurée que j’ai pris les mesures qui s’imposent.
- Merci beaucoup réussit-elle à formuler sur un ton tranquille alors que l’irritation la gagnait à nouveau, au souvenir de cet incident.
Sans paraître percevoir sa tension, Il hocha la tête en souriant.
- Avouez que c’est cocasse que vous deviez prendre sa défense alors qu'il est votre garde du corps… Il vous a été attribué pour cette mission ?
- Non, je l'ai emprunté à une amie parce qu'il a une stature imposante mais il n’est pas formé pour faire face à des combattants aguerris.
- Pourtant mes hommes m’ont dit…
- Peu importe ! répliqua-t-elle d’une voix un peu trop forte.
Edan ne manifesta pourtant pas de surprise.
- Mmm… En effet. Cependant, vous qui êtes une habituée du Dernier Cercle, vous savez ?
- Quoi ?
- Eh bien, que tôt ou tard il finira par affronter des combattants aguerris, comme vous dites.
- Pourquoi dites-vous cela ? demanda-t-elle, étonnée.
- Eh bien, cette amie dont vous parlez, elle se débarrasse des HC dont elle ne veut plus en les revendant au Dernier Cercle, non ?
Alka resta silencieuse un instant.
- Vous avez mené une enquête sur moi ?
Une colère étonnante d’intensité, était née en elle qui s’intensifia quand elle énonça cette question. Elle connaissait la réponse. Pourquoi était-elle choquée ?
- Bien sûr. Croyez-vous que je laisse entrer qui que ce soit sous mes Bulles sans rien savoir, rétorqua-t-il en riant.
C’était logique. Malgré cela, son irritation s’amplifia.
- Que savez-vous d’autre ? questionna-t-elle d’une voix plus sèche qu’elle l’aurait voulu.
Lui, paraissait s'amuser beaucoup. Il sourit, se pencha vers elle et répondit sur le ton de la confidence :
- Je sais que vous êtes un as de la bio-humano-ingénierie, que jusqu’ici vos créations ont toujours été un succès. Je sais aussi que vous faites partie de ceux à qui on fait appel lorsqu’un de vos petits camarades a, passez-moi l’expression, merdé - son sourire s'élargit encore et il fait mine de se creuser la tête - Ah et je sais aussi que vous êtes une étoile montante parmi les Stratèges du Dernier Cercle… bien qu’on vous reproche de manquer de sens du spectacle. Vos détracteurs vous disent ... hum…trop sensible aux sorts de vos Pions.
Il rit doucement.
- C’est charmant, conclut-t-il comme s’il parlait à une enfant.
Un désarroi immense s’empara d’Alka. Les yeux fixés sur ses poings serrés qui reposaient sur ses genoux, elle ne comprenait pas pourquoi elle était, une nouvelle fois, débordée par des propos si anodins.
Le directeur soupira ostensiblement. Sa grande main vint envelopper les poignets de la jeune femme.
- Vous êtes en manque d’Optimem, c’est évident… Pourquoi ne demandez-vous pas une séance d’urgence ? murmura-t-il, sur ce ton toujours aussi horripilant.
L’idée de subir une séance d’Optimem d’urgence ne fit qu’accentuer le mal -être d’Alka.
- Je dois garder en mémoire toutes les informations susceptibles de m’être utiles pour accomplir ma mission, bafouilla-t-elle.
- C’est tout à votre honneur… Mais êtes-vous sûre que ces « seconde ceinture » vaillent la peine de la torture que vous vous infligez ?
La tempête sous le crâne d’Alka prit de l’ampleur. Cet homme exagérait, elle était un peu perdue mais de là à parler de torture.
- Je suis un peu tendue mais je vais bien... Et puis, ce serait une séance basique, non personnalisée, je n'aime pas ça. Je pourrais perdre des informations. Cela pourrait être préjudiciable aux individus de B15.
Une ride horizontale s’accentua sur le front d’Edan avant qu’il ne détourne les yeux, l’air soucieux. Ce bref moment de réflexion ajouta encore au stress d’Alka. Enfin, il posa, à nouveau, son regard pénétrant sur moi.
- D'où vous vient cette obsession de vouloir sauver tout le monde ? Alka, permettez-moi de vous avertir du haut de mon grand âge : vous n’y arriverez pas, vous ne sauverez peut-être pas la population de Bulle15. Et au bout du compte, lui non plus vous ne pourrez pas le sauver, précisa-t-il en jetant un bref coup d’œil à Noway.
Il appuya alors, son index sur le front de la jeune femme figée.
- Enfoncez-vous ça bien profond dans le crâne et acceptez-le ou vous finirez par perdre la raison !
Il prétendait la connaître pourtant, elle avait impression qu’il parlait d’une étrangère. Elle n’avait jamais prétendu vouloir sauver qui que ce soit même si elle rechignait à provoquer des morts qu’elle jugeait inutiles.
- Cela dit, ma jeune amie, reprit-il la faisant sursauter. Au vu des évènements que vous avez traversés, vous faites preuve d’une grande solidité. Je voyage beaucoup, j’ai donc affronté comme vous des diètes d’Optimem. Je connais quelques techniques qui permettent de les affronter plus sereinement. Je vous les montrerai.
Il imposa d’ailleurs qu’ils commencent tout de suite de peur, selon lui, qu’elle se mette à hurler comme une hystérique au spectacle du combat. Sans attendre, Il héla les coachs, leur ordonnant de retarder le combat d’une dizaine de minutes. Ils n’eurent pas l’air ravis. Alka se surprit à espérer qu’ils prennent quelques coups en faisant patienter leurs brutes.
il lui ordonna ensuite de fermer les yeux, de se concentrer sur sa respiration en disant un truc idiot du genre « J’inspire/j’expire ». Alka s’exécuta sans grande conviction. Elle espérait juste qu’il la laisse en paix le plus vite possible.
Elle n’attendait rien de ce petit jeu absurde. Elle ne voyait rien de bien compliqué ou de miraculeux à se focaliser sur sa respiration.
Hélas, un cycle respiratoire après l’autre, cela vira à la catastrophe. La conversation précédente lui revenait par bribes qui se tamponnaient et se mélangaient à l’altercation du soir précédent. Le rythme de sa respiration s’accélèra jusqu’à ce qu’elle manque de suffoquer.
Alors qu’elle perdait pied, elle sentit un contact appuyé sur son épaule. La chaleur qui en émanait se diffusa à sa peau qu’elle découvrit glacée. La surprise interrompit son début de panique. Elle suivit instinctivement le mouvement, la vague de la respiration de cet homme qui, pourtant, la détestait. Pourquoi Noway l’aidait-t-il ?
S’intimant de cesser de se poser des questions, elle se laissa porter par ce soutien plus que bienvenu.
Quelques minutes après, elle ouvrit les yeux, apaisée. Elle trouva aussitôt les yeux du jeune homme. Perplexe, elle ne parvint pas à décrypter ce qu’ils disaient. Elle allait le lui demander mais, un discret raclement de gorge lui rappela qu’ils n’étaient pas seuls.
- Vous êtes vraiment très étonnante, mademoiselle, dit d’ailleurs Edan en l’observant d’un air pensif.
- Est-ce un compliment ? répliqua-t-elle d’une voix rassérénée.
Il sourit avant d’opiner. Son air se fit plus sérieux tandis qu’il se tournait vers le Ring.
- Bien, Trêve de plaisanterie ! il est temps de passer aux choses sérieuses. Prête ?
Elle acquiesça juste avant qu’il ordonne que le combat commence.
Ce fut une boucherie, bien sûr. Ces combattants étaientnt de la chair à Ring, des produits humains destinés à cracher de la salive, de la sueur et de l’hémoglobine. Il fallait bien ça pour faire frissonner les Bullites, pour qu’ils sentent chaque pore de leur peau se dilater, pour qu’ils suffoquent, qu'ils entrent en transe en hurlant des invectives aux belligérants … Bref, pour qu’ils se sentent vivants et heureux en sortant du Spectacle.
Alka se rendit soudain compte que ses dents étaient serrées à lui faire mal aux mâchoires et que ses ongles s’enfonçaient douloureusement dans les paumes de ses mains. Noway ou Edan, elle ne put le dire, toussa fortement. Cela finit de la réveiller de sa transe.
Elle contempla l’empreinte laissée par ses doigts sur sa peau, ébahie par ses propres pensées et honteuse de la tension imposée à son propre corps. Elle avait l’impression que quelqu’un d’autre s’était glissé dans son crâne. Ces pensées n’étaient pas dignes de son statut, ni de son éducation.
Après avoir laisser passé quelques minutes, elle occulta cet instant d’égarement pour reporter son attention sur le « combat ».
Les deux combattants étaient des hommes de grande taille au cou de taureau et dont les muscles saillaient de partout. Au sommet de leurs corps disproportionnés, leurs têtes chauves et ridiculement petites, présentaient des traits abimés par la multitude de coups reçus quotidiennement. Leurs arcades sourcilières proéminentes et leurs nez aux angles bizarres cachaient leurs yeux enfoncés, leurs mâchoires trahissaient une tension permanente. L’experte en programmation génétique qu’elle était, reconnut que, compte-tenu de leurs fonctions, leur apparence physique se révélait adéquate.
À la sonnerie, ils s’étaient rués l’un sur l’autre comme des morts de faim, sans réfléchir une seconde. Il était aisé de voir qu’ils étaient tous les deux extrêmement forts, plutôt rapides et qu’ils avaient appris à porter des coups spectaculaires qui déclenchaient des saignements importants, des prises qui provoquaient des chutes théâtrales et très douloureuses et qui occasionnaient des hurlements tout à fait dans le ton.
Ils échangaient ces terribles passes, avec un enthousiasme sans cesse renouvelé, malgré leurs figures et leurs corps de plus en plus amochés et sanguinolents. Ils semblaient n’avoir aucune notion de tactique et de stratégie. Rien dans leur comportement n’indiquait qu’ils avaient repéré des points de faiblesse chez l’autre.
Leurs aptitudes cognitives laissaient manifestement à désirer. Ce combat en devenait même dérangeant. Alka tenta de masquer son dégoût naissant quand elle confirma, en son for intérieur, qu’ils allaient juste se cogner dessus jusqu’à ce qu’un des deux ne se relève pas.
- Quelles sont les règles, aujourd’hui ? Qu’est-ce qui mettra fin à leur affrontement ? s’enquit-elle sur le ton le plus neutre possible.
L’air matois du Directeur l’incita à la vigilance.
- C’est un jour de test. Ces deux combattants, bien que semblant jumeaux, sont issus de deux souches légèrement différentes. Ce combat doit nous permettre de choisir, expliqua-t-il avec un sourire démenti par son regard dur.
- Quels sont les critères ?
- Nous en avons retenu deux : la capacité d’ébaucher une stratégie primaire pour prendre le dessus et la capacité à trouver comment donner le coup de grâce.
Alka retint un soupir. Nul besoin d’être un expert pour constater que c’était mal engagé.
- Que se passera-t-il si aucun des combattants ne satisfait vos exigences ? demandé-je, sans réfléchir.
- Les deux populations seront éliminées, répondit-il avec un regard sans équivoque.
À son insu, le corps de la jeune femme se rebella. Elle tenta de se ressaisir : cette conclusion était logique. Malgré ses efforts pour garder un comportement raisonné, elle dut dissimuler un haut le cœur impromptu derrière une quinte de toux. Elle dut se rendre à l’évidence, elle atteignait un point de rupture.
- J’ai suffisamment d’informations, informa-t-elle Edan. Je vais regagner mes appartements. Cela me permettra de consigner mes notes à chaud.
Elle se leva avec précipitation avant de lui tendre la main.
- Je suis ravi d’avoir fait votre connaissance, Alka Prime, dit-il en la saluant. Je vous propose que nous nous revoyions afin que vous visitiez les lieux. Je pense que vous pourriez en tirer des enseignements utiles pour mener à bien votre mission.
Tâchant de museler le stress qui menaçait de la déborder, elle opina silencieusement.
- Enfin, j’aimerais vous inviter à dîner avant votre départ. Vous pouvez amener Noway, nous le confierons à Victo qui sera ravi de passer un peu de temps avec un de ses congénères, conclut-il sur un ton affable.
C’était le Directeur. Elle ne pouvait qu’accepter, quoiqu’elle en pense. Ils prirent rendez-vous le lendemain matin, pour la visite. Elle disposerait ensuite l’après-midi pour travailler puis ils se rejoindraient pour dîner.
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