Cauchemar

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Le soleil se couchait sur ce petit village de paysans dont le nom sur la pancarte en bois à l'entrée s'était effacé avec le temps. La lumière avait pris des teintes chaudes et rassurantes, colorant les alentours, les gens, les maisons, d'une couleur presque dorée, agrandissant les ombres de chaque relief, créant une sorte de clair-obscur à même la Terre. En plus de ça, les odeurs venant des champs de blés arrivaient dans la petite ville, la parfumant comme chaque soir d'une senteur forestière et boisée, campagnarde aussi, avec l'odeur du foin, de l'herbe, des fleurs...
Il restait donc un peu de temps pour finir ses emplettes, avant que les étalages ne ferment, que le marché ne se vide aussi vite qu'il s'est rempli, que les enfants ne reviennent aux chaumières en courant, riant après une intense journée de jeu. Que les travailleurs ne reviennent trouver leur femme en cuisine alors que le repas se préparait, embaumant les habitation d'effluves douces et alléchantes.
Un bon repas pour commencer une bonne soirée. C'était parfait en ce début d'été où même le soir la fenêtre restait ouverte lors du souper, laissant aux familles le spectacle que la nature offrait, le concert des grillons, la couleur changeante du ciel, les odeurs de fleurs des champs, et la danse des papillons de nuit mêlés aux moucherons et autres petites bêtes de la nuit. Dans le ciel les chauves-souris entamaient leur ballet, dansant dans les airs en disparaissant parfois sous les toits ou dans les arbres .

Puis vint le moment où le soleil disparu complètement à l'horizon, drapant le village d'un ciel presque noir, un bleu nuit si profond que sans la lune, ni les étoiles, personne ne verrait le bout de son nez. On alluma alors les bougies afin de pouvoir se préparer au coucher dans le calme, sans crainte de se prendre le quintus dans le coin d'un meuble qui n'aurait pas été vu, ou de mettre son pyjama à l'envers.
Ici on se réveillait au chant du coq, et on se couchait en même temps que le soleil, alors bientôt, les rues furent complètement vides, le silence en était devenu le maître, les chiens se couchèrent devant la porte d'entrée de leur chez eux, les chats commencèrent leur chasse, et peu à peu les bougies furent soufflées, plongeant le patelin dans le noir avec pour seules gardiennes l'astre lunaire et les étoiles.
Une légère brise s'était levée, faisant bouger les feuilles des arbres, les frottant les unes contre les autres alors qu'un petit sifflement se faisait entendre quand le souffle passait dans des endroits exigus.
Dans une petite maison pourtant, en périphérie du village, les bougies n'étaient pas encore éteintes. Un problème d'insomnie ? Une maladie empêchant de dormir ?
Non, seulement quelqu'un qui ne trouvait pas son bonnet de nuit, cet habit qui semblait si dérisoire mais tout de même important pour que ce jeune manant y prête attention.
La maison fut fouillée de fond en comble, mais le jeune homme ne trouvait pas l'objet tant convoité. Il était pourtant sûr de l'avoir posé sous son oreiller le matin même, une fois levé.
N'y avait-il donc pas de traces , pas d'indice pour l'aider ?
Peut-être bien. Ces poils et cette poussière n'étaient pas sur son lit à la couverture sombre quand il a quitté sa masure pour aller travailler.
Si la poussière avait sûrement été balayée depuis qu'il était rentré, les poils eux s'étaient collés un peu partout, formant comme un chemin secret, où il fallait se pencher, plisser les yeux, et observer pour en voir le trajet. Slalomant entre les meubles, entrant dans certaines pièces bien que la maison n'en compte que peu, le jeune homme fit une sorte de redécouverte de son habitat, avant de s'arrêter.
Il faisait face à une petite commode où il mettait son linge en attendant d'aller au lavoir. Les poils n'allaient pas autre part, et la porte était entrouverte.
Ayant l'habitude de voir passer souris et rats des champs à proximité de la maison, le jeune paysan se disait qu'il n'avait qu'à balancer un sabot dans la gueule aux dents coupantes de l'animal pour le faire fuir, mais il trouva tout autre chose : Une petite chatte à trois couleurs était là, lovée dans le bonnet tant recherché, léchant une à une trois petites têtes. Apparemment, ces chatons étaient nés durant la journée, et dormaient profondément contre leur mère. Un gris tigré, un blanc, et un autre noir et blanc. Trois futurs chasseurs de souris sans aucun doute.
Même s'il tenait à son bonnet, le jeune homme garda un sourire, et laissa les animaux tranquilles. Il allait dormir sans couvre-chef.
Il se redirigea vers son lit, une bougie à la main pour y voir plus clair, et la posa sur le tabouret lui servant de table de chevet. Une fois sous sa couverture l'adolescent pu enfin souffler et plonger dans le noir complet pour y trouver le sommeil.
Mais à peine fut-il dans les bras de Morphée qu'il commença à cauchemarder. Quelle était donc cette ombre qui le pourchassait dans ce champ étrangement... interminable, une ombre très grande, et mince, aux longs bras cadavériques et aux doigts crochus, qui suscitait le cri du jeune homme dans son mauvais rêve, faisant voler des corbeaux noirs comme l'ébène vers un ciel violacé et rougeoyant à la fois, aux nuages déformés en tourbillon.
Le corps trempé de sueur, le jeune homme se réveilla avec pourtant de nombreux frissons. Il avait toujours cette peur qui lui collait à la peau malgré qu'il soit sorti de ce cauchemar affreux. Était-ce là un mauvais présage pour lui ? Un signe de mauvaise récolte ? Ou pire, de mort ? Après tout les corbeaux n'étaient pas anodins...
Le rêveur essaya de se détendre, mais il dû bien constater que quelque chose n'allait pas. Il suait toujours autant, tremblait de sous ses membres et sa paupière droite avait des soubresauts. Peut-être avait-il quelque chose qui pourrait le calmer ?
Il alluma sa bougie et se leva pour aller dans la partie bain de la maisonnette. Aussitôt que la source de lumière éclaira le visage du jeune apeuré, la mal s'en alla, le laissant assez perplexe sur ce qui venait de se passer. Mais il sentait toujours une étrange aura en lui, comme s'il savait qu'il devait s'inquiéter, avoir peur, sans savoir de qui. Ou de quoi.
Que faire ? Tout le monde dormait maintenant, et le médecin aussi sûrement. Et il le prendrait pour un fou. Sentir une peur sans savoir pourquoi, c'était vraiment très étrange.
Le manant se passa une main sur le visage, alors qu'il arrivait sans se rendre compte à la fin de sa précieuse bougie. Plus la flamme faiblissait plus la peur grandissait avec les ténèbres. La panique était omniprésente, faisant trembler de plus en plus le corps du jeune homme. Il se hâta d'en allumer une autre, ne restant qu'une seconde dans l'obscurité. Une seconde qui lui avait donné un aperçu du mal qui errait en lui.
Quand la flamme nouvelle vacilla dans la pièce l'apeuré était assis au sol, les yeux grands ouverts laissant une cascade de larmes salées couler sur ses joues, sa mâchoire, son cou, jusqu'à être absorbées par le tissu du pyjama, se mêlant à la sueur qui trempait l'habit.
Dehors, la brise devenait de plus en plus forte, faisant des sons légers et lugubres à la fois. La chatte elle, sortait ses chatons un par un dehors, le poil hérissé, alors que l'humain qui lui avait accordé le gîte respirait fortement . Son souffle était saccadé, rauque, irrégulier, ses entrailles se tordaient et devenaient douloureuses. Les sueurs froides contrastaient avec la chaleur créée par les bougie et l'agitation dans la maison. Cette fois, ses deux paupières sautaient toutes seules.
- Des bougie... Plus de bougies...
Le contenu de tout les placards et de toutes les commodes fut vidé, et les bougies trouvées allumées. L'adolescent tournait en rond en parlant dans sa barbe, essayant de penser à autre chose. Le vent était devenu violent, et créait des courants d'air dans l'habitation, manquant d'éteindre certaines bougies. Quand une petite flamme bougeait un peu trop, le jeune homme se figeait en fixant la précieuse petite source orange, avant de se remettre à s'agiter comme un lion en cage.
Le temps lui paraissait si long... Et il l'était, comme si la planète avait cessé de tourner, et pendant ce temps les bougies s'éteignaient une à une, comme un compte à rebours vers une issue inévitable et inconnue, et à mesure que l'obscurité gagnait en grandeur, le petit paysan sentait la peur le figer de plus en plus, le poussant peu a peu vers un mur, le vent soufflait avec rage comme une tempête, la chatte feulait, cachée avec ses bébés dans un tonneau vide près d'une maison voisine, et les chiens hurlaient et aboyaient dans la nuit comme si un monstre les apeurait.
Le pauvre garçon pensait être pris de folie alors qu'il fixait, le visage trempé, l'unique point de lumière encore visible sur la table au centre de la pièce. Il était recroquevillé contre le mur, sur le sol, tremblant tellement que le mur suivait sûrement ses mouvement.

Puis... Noir total. La flamme de la dernière bougie s'était éteinte.

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