Rentrée : l'épreuve des croix

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Inspirer.

Expirer.

Compter jusqu'à trois, et pas plus.

Inspirer.

Expirer.

Compter jusqu'à trois, et pas moins.

Les yeux toujours fermés, ces étapes successives et robotiques me permettent de reprendre mes esprits afin de jauger correctement la situation qui se dresse dangereusement face à moi. Je ne me bats pas, et puis mon gabarit ne me laisse pas d'autres choix que d'utiliser ma réflexion, seule arme à ma disposition. Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, ils se dirigent instantanément vers cette couleur vermillon dans laquelle mes pieds baignent. Ce liquide chaud, loin d'être réconfortant, se répand dans tout le hall comme un cauchemar venant se coucher malicieusement dans nos rêves, et bientôt l'entièreté du sol est recouvert. Du coup, je ne discerne plus les croix sur lesquelles nous sommes censés se positionner avant la fin des soixante secondes qui défilent à toute vitesse. En jugeant le peu de temps qu'il me reste avant la prochaine élimination, je ne me laisse plus submerger par le choc, ni le dégoût qui me donnent un relent de vomis. Je me dirige presque à l'aveuglette vers une croix que je distingue tant bien que mal à travers tout ce flot de rouge en espérant que ma vue ne me joue pas un mauvais tour, car il en va de ma survie. Effectivement, si je n'écoute pas les règles énoncées, je disparais aussi vite que ceux qui ne sont plus que des cadavres tombés tels des pantins à qui on aurait coupé le fil qui les maintenaient en vie. Ils sont les auteurs de cette parfaite rivière vermeille qui ne semble plus vouloir s'arrêter. Ma concentration reste coincée sur ces silhouettes mortes au sol, alors qu'il serait plus judicieux, pour moi comme pour les autres encore en vie, de rester attentif aux prochaines éliminations tout en priant pour s'être placé sur une des bonnes croix. Le décompte est terminé. J'attends. On attend tous la sentence. On attend en se demandant pourquoi le gouvernement nous a-t-il menti ? On attend de comprendre pourquoi il a fallu que ce soit nous ? Pourquoi je n'ai pas pu comme les centaines, et milliers de jours précédents prendre mon café, revêtir mon uniforme et me rendre dans l'usine dans laquelle je travaille, dans laquelle on travaille tous ? Le système de "Rentrée" est un mensonge que l'on ne découvre que trop tard, que l'on apprend après s'être rendu à la capitale dans laquelle réside le chef suprême du gouvernement. "Gloire au gouvernement, maître et décideur de tout", disait-on les esprits remplis d'espoir de voir un jour nos conditions de vie s'améliorer. Aujourd'hui, tout est vain et ce sont nos pauvres compagnons qui, gisant au sol tels des saules pleureurs à l'agonie, nous dévoilent notre propre bêtise d'avoir confié nos rêves à un homme qui clamait haut et fort "Fidèle, tu es, Récompense, tu recevras".

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