Éclat déclin, ton souffle
Le claquement de la portière souffle l’éclat de ta bise sur ma joue, qui se perd dans mes mèches affolées. Le calme plombant du ciel bleu lointain écrase la carlingue qui t’enserre, t’arrache à mes bras. Ta silhouette salée s’évanouit derrière cette vitre teintée, ton souffle s’éparpille dans l’espace clos des quelques mètres qui nous séparent, comme une cruelle torture ton pouls s’estompe, s’extirpe de ma poitrine – le moteur s’enclenche – crevée, tu me laisses crevée sur ces graviers secs, sans toit, sans toi, prends-moi, gît là. Comment te dire – et tes yeux – et que dire ? – ce vœu pieux qui se vautre sur ma peau et glisse et coule et dérape entre mes doigts démunis, dépités ; de ta douce odeur délassée, j’entrevois la fin – reste – que je me répète en psaumes rétifs. J’enrage. Que tu ne brises pas cette vitre, que tu ne reviennes pas en courant, que tu ne te retournes pas, que tu ne taises pas le bruit des roues, que tu me déchires, que tu m’arraches ces larmes fantômes, que tu ne m’enfermes pas avec toi, que tu ne t’abandonnes pas avec moi, que tu disparaisses à ma vue, que tu me laisses seule, que tu me laisses seule, et dans toute cette nature, morte.
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Tu as laissé le vide dans le gouffre mordant de mes paumes. La fêlure se répète, encore et encore, en des gestes disgracieux ; tes pas fantômes agonisent sur le perron. Lorsque tu… lorsque tue, lorsqu’échus les trois temps fanés, qu’errent sur mes joues délavées des damnés les airs dévalants, que je brûle de tes yeux absents et que de toi mes larmes ne Tombe des toits et fissure la terre qui s’échouent contre ma peau avide. Car tout est Tu n’est plus, sèche et aride et morne et vide et morte, évidée par la plaie béante dont tu coules et tombes des Toits sur cette masse gloutonne qui t’avale et t’avale et t’enlève à mes paumes mutilées. Et l’horreur de ces cieux si profonds qui s’enfoncent dans ma gorge et me tuent car tout est dit et il n’y a plus rien à dire et tout est mort dans ces paumes qui ne t’ont pas retenue
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Ce qu’il reste à faire, c’est jeter ce miroir. Pour le jeter le garder sous les yeux, là, les contours. Toujours penser au reflet des bords, celui qui double, celui qui rate le rendu du réel. Ce qu’il reste à faire c’est rester au bord. Ces marques sur les bras – qui restent – qui restent comme au fer quand il n’y avait plus rien à donner ; les fêlures sont sur les bras. Apportées toujours, toujours par le regard tranchant sur le monde, toujours sous la main le miroir fendu. Toujours sous ces yeux et en reflet, partout – partout parce qu’il doit être partout – et en tous lieux parce qu’il est leur, et qu’il ne faut pas s’y tromper, on me le retirera. Ce qu’il me reste c’est le choix de mourir, et pour cela il faut que je voie ce miroir d’où tu n’es plus, il faut que je voie ce miroir qui est toi et le monde, de ce regard en coin qui veut dire que tout est fini.
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Ôde à ma peau dont le sifflement seul sur mes draps seule, m’éveille en songes coule de tes lèvres. Qui sont les miennes, charnues dans l’espace fin qui les sépare de mon souffle, qui est tien.
Pulsation d’une chair tiède de soleil sur un tempo tentateur, t’enivres-tu de tout cette tension ? Que j’enlève et à même le monde qui colle à mes gestes, têtue, qui pendule à ton ombre, que tu attrapes en un temps.
Chanterelle froissée de ma voix déraillée d’ébats, belle endormie sous les coups de tes baisers, dont l’écho s’écoule hors de ce cocon. Crissement cruel ; coda laide.
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…
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Le calme de la nuit apaise mon angoisse et mes cris et mes larmes qui coulaient alors qu’elle ne le voulaient peut-être plus, puis je suis épuisée de t’avoir perdue sous ce même ciel qui me promettait que tu existais là, quelque part. Or c’était ça déjà, puisque tu étais arrivée par éclat, le coup de tonnerre impromptu dans l’air lourd de l’été, puisque c’était ce même souffle qui m’avait bousculée, mise à genoux, et les yeux suppliants de la dévote, il fallait que je souffre ton supplice pour connaître tes contours. Pour que tu ne sois plus silhouette dans cet instant tragique du départ, et que dans le creux qui se dessinait en moi je puisse voir la place douce que tu avais prise.
Il n’y a rien de plus à dire puisque tu m’offres une renaissance. Puisqu’il fallait la grâce des martyrs pour comprendre que cela n’avait pas d’autre sens que toi, et que de toute cette nature, tu es la vie.
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