Chapitre 3.2 - La banque
March rouvrit les yeux et les miliciens avaient disparu de son champ de vision. A la place, se trouvait maintenant une rue bien plus large et fréquentée. Sa vision était… étrange, comme si un filtre sépia lui couvrait les yeux. Il portait quelque chose sur le visage qui couvrait une partie de sa vision… un masque. Il baissa les yeux et découvrit des boucles de cheveux noirs tombant sur ses épaules. Il portait aussi des habits bien trop extravagants à son gout. Non, ce n’était pas simplement des habits, c’était un costume ! Sa tête tourna sans qu’il ne puisse l’arrêter et il vit une des tours de la banque Holstein et Sienna au loin. Il était encore à Drachima et son accoutrement ne pouvait signifier qu’une chose : c’était jour de carnaval !
Le carnaval était l’évènement le plus important de la ville et attirait des invités prestigieux des quatre coins d’Aviz. Pour l’occasion, la sécurité de la Ville-Haute était redoublée et la milice interdisait le port des armes en effectuant une fouille de tous les visiteurs dès leur arrivée.
Pendant une journée, la Ville-Haute devenait un lieu de dépravation à en faire rougir la Ville-Basse, mais le tout dans l’anonymat des masques dissimulant l’identité des visiteurs. Il n’était pas rare d’y croiser des princes sans même s’en rendre compte.
Mais le Carnaval ne devait avoir lieu que dans plusieurs mois ! L’esprit de March lui jouait des tours. Pourtant, ce corps ne lui semblait pas étranger, c’était le sien… Il voyait son passé, c’était la seule explication possible.
Cela expliquait aussi pourquoi il connaissait si bien la ville de Drachima : il l’avait déjà visitée. Et ce n’était pas une visite anodine, il avait la sensation d’avoir passé des semaines à étudier les moindres recoins de la cité, mais… pourquoi ? Qu’est-ce qu’il faisait ici ?
Son corps se mut de lui-même, sans qu’il ne puisse rien n’y faire. Il continuait de voir à travers ses propres yeux, mais ne pouvait contrôler ses mouvements. C’était une vision et il ne faisait que revivre une expérience déjà vécue.
Il emprunta une ruelle et marcha pendant un moment. Sur son chemin, il croisa de nombreux fêtards portant des masques des plus loufoques. March s’arrêta à un croisement et jeta un œil dans la rue suivante. Ce quartier était moins fréquenté et les passants devenaient de plus en plus rares. Son regard se posa sur deux hommes marchant bras dessus, bras dessous. Le premier était un vieux empâté, le second un jeune chétif. Ils continuèrent vers une petite allée étroite finissant en cul-de-sac. March les suivit, mais s’arrêta à l’entrée de la rue pour les observer de loin. Les deux hommes rejoignirent le bout de l’allée et commencèrent à s’enlacer. Ils s’adonnèrent rapidement à des plaisirs qui leur auraient valu un séjour au cachot s’ils n’avaient été au carnaval de Drachima. Rien n’était interdit en ce jour spécial et personne ne leur aurait causé tort en les découvrant ainsi.
March jeta un œil autour de lui pour s’assurer qu’il était seul face aux deux hommes puis il s’approcha d’eux, lentement, comme un prédateur chassant une proie acculée.
Le plus gros des deux le vit arriver, mais ne s’arrêta pas pour autant. Le soir du carnaval, les fantasmes rejoignaient la réalité.
— Alors mon coquin, tu viens nous rejoindre ? lui dit le gros.
March ne répondit rien et continua de s’approcher silencieusement. Il s’arrêta juste devant les deux hommes suants de leurs ébats.
Comme tous les autres visiteurs, March avait été fouillé et ne portait aucune arme. Pourtant lorsqu’il porta ses mains à son dos, il sentit deux manches solides dans ses palmes. Il ne frappa qu’une fois et le sang des deux hommes à moitié nus coula dans la rue déserte. La tête de l’obèse roula jusqu’à ses pieds, son visage maintenant démasqué portant une expression d’horreur. March fit demi-tour et sortit de la ruelle en laissant les deux corps encore chauds au sol. Il se réjouissait, sa mission était achevée.
La vision se brouilla et March retrouva ses esprits. Il était allongé au sol, entouré des miliciens. Une forte nausée lui noua la gorge et il dut vomir son maigre repas sur le pavé. Son crâne le faisait atrocement souffrir. Il toucha l’arrière de sa tête et ses doigts entrèrent en contact avec un liquide chaud… du sang. Les miliciens l’avaient attaqué pendant qu’il délirait.
— Alors mon vieux, on dirait que tu fais moins le malin que dans l’auberge ?
March était complètement déboussolé. Les visiteurs du Carnaval traversaient la rue en passant à travers les murs, tels des spectres du passé. Il se frotta les yeux en espérant faire disparaitre les échos de sa mémoire. Il se releva lentement, presque certain qu’il allait encore une fois vider ses tripes sur le sol. Les trois miliciens l’encerclaient.
— Tu nous as manqué de respect. Il est temps de payer. Grog, occupe-toi de sa chemise.
— Avec plaizir, dit l’homme à la hache.
March sentit ses mains agripper le dos de sa chemise et déchirer le tissu. Le milicien glapit en voyant son dos nu.
— Qu’est ce qui se passe, Grog, il t’excite ? ricana le chef de la bande.
— Euh… zef, il a des tatouazes.
— Hein ? On s’en fout, attrape la clef imbécile !
Se retrouver désarmée face à ces trois truands aurait été synonyme de mort assurée pour n’importe quelle autre personne. Mais la vision de March était arrivée au moment propice. Il savait maintenant qu’il ne serait jamais désarmé, peu importe la situation dans laquelle il se trouvait.
Il se laissa porter par ses réflexes et positionna ses mains dans le bas de son dos, palmes ouvertes vers l’extérieur. Le zozoteur continuait d’admirer les tatouages aux détails envoutants quand March sentit une vague de froid parcourir son dos. Quelque chose de solide se matérialisa dans ses palmes puis il serra ses poings sur deux poignées d’épées.
Le visage de Grog se décomposa lorsque le tatouage couvrant le dos de March devint réel. March ne réfléchissait plus. Il devint une arme libérée de son fourreau.
Il repassa ses mains devant lui pour révéler deux cimeterres à longues lames courbes, les mêmes armes qui, un instant plus tôt, étaient tatouées dans son dos.
Les armes étaient une copie conforme de celles dessinées sur sa peau. Elles avaient une longue lame faite d’un métal noir aux reflets bleutés. Le manche doré était entrelacé d’une sorte de fil de cuivre brun donnant à l’arme un aspect dément. Un cristal émeraude scintillait là où d’autres armes auraient eu une garde. Le manche rencontrait la lame comme une sorte de mâchoire infernale. En somme, des armes sorties tout droit d’une légende !
D’un geste expert, March s’élança dans une fente avant de la main gauche et sa lame pénétra la poitrine du milicien à la dague.
Il fit glisser son pied droit au sol pour se retrouver parallèle au mur de la ruelle étroite. L’arme dans sa main droite fit un arc de cercle dans les airs pour venir terminer sa course en plein dans le front de Grog, qui commençait à peine à lever sa hache. En une respiration, March venait de réduire à néant les deux tiers de ses ennemis.
Son dernier opposant ne comptait pas se laisser avoir si facilement et son entrainement au combat fut prouvé dans l’instant suivant.
Il attaqua March d’un geste vif et le força à bondir en arrière pour l’éviter. En reculant, il emporta ses lames avec lui, laissant s’effondrer au sol les deux hommes qu’il venait de tuer.
Le dernier milicien attaqua de nouveau, mais cette fois March s’y était préparé. Il contra à l’aide de sa lame droite et brisa l’épée du milicien comme s’il ne s’agissait que d’une feuille de parchemin. Il utilisa l’élan du mouvement pour effectuer une pirouette sur lui-même et lorsqu’il revint face à son ennemi, sa lame rencontra la chair de sa gorge.
La tête du milicien roula au sol, comme une réflexion de la vision de March. L’image le fit sortir de sa transe et il se rappela tout à coup où il était. Ses armes disparurent dans un nuage de fumée blanche s’accompagnant d’une vive douleur dans son dos, comme si on le marquait au fer. Il passa une main derrière lui et sentit les détails rugueux de sa peau. Lorsqu’il observa sa main, du sang tachait ses doigts.
Il entendit l’homme à la dague mugir au sol, il n’était pas encore mort.
— Sei… Seigneur, ayez pitié…
March s’approcha de lui.
— Votre Sainteté, aidez-moi… dit l’homme mourant en tendant une main sanglante vers March.
Egas l’avait prévenu, March n’était pas n’importe quel naufragé. L’homme devant lui ne faisait que le confirmer en le nommant ainsi : Sainteté, un titre autrefois réservé aux Mages. Mais ils étaient censés avoir tous disparu en emportant la Magie avec eux.
Le milicien rendit son dernier souffle et March ferma ses paupières. Il se leva pour quitter la ruelle avant qu’on ne le découvre ici. Malgré ses efforts, il ne fut pas tourmenté par les trois corps qu’il laissait derrière lui : c’était un sentiment qu’il connaissait bien.
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