Chapitre 6.1 - Cauchemar

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On entendait la tempête gronder au loin, menacer de sa présence. Le vent se durcissait déjà, amenant avec lui une houle de plus en plus forte. Léon se rassura, un navire de cette taille résisterait facilement à quelques turbulences.

Il n’avait jamais mis les pieds sur un si grand bateau. Et à vrai dire, cela lui convenait, car il détestait la mer. S’il osait se l’avouer, il dirait même qu’il en avait une peur bleue. Mais montrer le moindre signe de peur était une erreur fatale dans sa profession.

Il s’esclaffa intérieurement, il avait fini par s’identifier lui-même à Léon de Tassigny, bien que ce ne fut pas son vrai nom. Il ne connaissait pas son vrai nom de toute façon, seulement le nom que le maitre lui avait donné : Tempête.

Léon n’aimait pas ce nom. Il lui rappelait qu’il n’était qu’un outil pour le maitre, une arme dont il pouvait disposer comme bon lui semblait… La migraine le reprit. C’était une douleur intense, une douleur inhumaine qui le perforait de milles aiguille à chaque pensée déloyale.

La mission… il devait se concentrer sur la mission et la douleur se dissiperait. Pourquoi était-il sur ce navire ? Ah ! Pour le roi.

Le souverain d’Algrava était à l’étage, dans la suite royale. Son fils avait été mis au lit par les servantes dans une chambre juxtaposant celle du roi. Léon les avait observés toute la journée, déguisé en matelot portant le nom d’Oracio — encore un de ses nombreux noms d’emprunt.

Le prince adorait la mer. Il n’avait que dix ans, mais il connaissait déjà bien les secrets de la navigation. Son père — lui-même un féru de la mer — aimait tester ses connaissances.

— Et ça, qu’est ce que c’est ? lui avait-il demandé en montrant une longue corde.

— C’est la drisse, avait répondu le prince sans hésitation, elle permet de hisser la grand-voile.

Le roi lui avait souri et continua le petit jeu des questions pendant un moment, avant qu’ils ne se dirigent vers le capitaine pour que le prince puisse prendre la barre (à l’aide d’un marchepied, bien entendu).

Léon les avait d’abord observés dans le but de remplir sa mission, mais après un certain temps, il ne pouvait plus décrocher les yeux du père et de son fils. Il éprouvait même une pointe de jalousie pour le prince, inconscient de la chance qu’il avait d’avoir un père si bienveillant.

Ça ne durerait pas. Léon était là pour assassiner le roi et il n’avait jamais échoué à l’une de ses missions. Il attendrait la nuit pour frapper et prendrait la fuite sur l’une des barques accrochées à la coque.

C’était en tout cas le plan d’origine. La tempête en approche compliquait sa fuite, mais il n’aurait pas d’autre occasion comme celle-là. Et le maitre était pressé. Le roi était sur le point de signer un accord de paix historique avec Urraca et il ne voulait en aucun cas que cela se produise.

Le roi n’avait pas voulu entendre raison, alors le maitre avait envoyé l’un de ses assassins. Et comme Léon — ou plutôt Tempête — était le meilleur, il l’avait naturellement choisi pour cette tache.

Léon monta à l’étage alors que les vagues ballotaient de plus en plus l’imposant navire. Deux gardes protégeaient l’entrée de la suite royale. Ils faisaient partie de l’élite, la garde royale, et portaient une armure lourde, un bouclier et une épée à une main. C’était de très bons combattants… mais pas aussi bon que lui.

Il s’approcha d’eux, faisant mine de tituber comme un ivrogne ruminant dans sa barbe.

— Hé matelot, retourne donc d’où tu viens, lui dit le garde de gauche.

Léon continua sa comédie, s’approchant de plus en plus près. Leur méfiance était au plus bas.

— Tu m’entends ivrogne ?

Encore quelques pas… voilà comme ça, il était maintenant tout prêt. Le garde le prit par l’épaule.

— Écoute mon gars, soit tu redescends décuver dans la cale, soit c’est moi qui…

Il n’eut jamais l’occasion de finir sa phrase. Léon lui planta la longue lame d’un cimeterre — apparu de nulle part — en plein dans la gorge. D’un bon, il se détourna vers le second garde, encore en train d’essayer de comprendre son erreur. Il lui trancha la gorge d’un geste familier.

Léon laissa les deux gardes se vider de leur sang et entra dans la chambre du roi en prenant soin de ne pas faire un bruit. Un nouveau coup de tonnerre retentit au-dessus du bateau et couvrit le son de la porte qui se refermait derrière Léon. La tempête était plus proche qu’il ne l’avait pensé. Tant pis, il devrait faire avec.

La pièce était éclairée à la bougie, on y voyait un grand lit en plein centre et quelques malles de voyage. Le roi lui tournait le dos, assis devant un bureau sur lequel il écrivait une lettre.

Léon s’approcha de lui sans faire un bruit, il leva la lame, prête à frapper. Sa mission serait accomplie d’un instant à l’autre…

Une porte s’entrouvrit et le jeune prince apparut dans l’encadrement. Le prince se pétrifia, ne comprenant pas ce qu’un marin armé d’un cimetière ensanglanté faisait dans la chambre de son père.

Pour une raison qu’il ignorait, Léon se figea lui aussi. Il était pourtant habitué aux imprévus et n’avait jamais hésité. Mais cette fois, il se laissa transpercer par le regard apeuré de l’enfant. Un regard qu’il avait déjà vu trop souvent. Un regard qu’il avait déjà fait disparaitre sous sa lame…

Son hésitation donna le temps au roi de se lever et de l’attaquer. Léon bondit en arrière, juste à temps pour éviter la lame du coupe-papier que tenait le roi. Il contre-attaqua et sa lame magique mordit la joue du roi.

Le souverain était un guerrier aguerri et ne se laissa pas déstabiliser par le sang coulant sur son visage. Il bondit sur Léon et lui planta le coupe-papier dans la cuisse.

Léon n’hurla pas, il savait souffrir en silence. Il se contenta de placer un coup de coude dans la mâchoire du roi qui s’était aventuré trop près. Il tomba en sol, à la merci de Léon.

Le roi chercha une arme dans l’obscurité presque complète, cloué au sol et de plus en plus agité. Léon leva sa lame, prêt à accomplir son devoir.

Puis le prince se positionna entre lui et son père, formant un bouclier humain. Un bien maigre bouclier pour être honnête.

La situation était ridicule, qu’est qu’un enfant de dix ans pouvait faire contre un assassin entrainé toute sa vie à tuer ? Et il avait vu son visage. Le maitre n’acceptait aucun témoin, encore moins s’il s’agissait de l’héritier du trône. Après tout, ce ne serait pas le premier enfant que Léon aurait tué. Le souvenir le hantait toujours, mais ce ne serait qu’un visage de plus le tourmentant dans la nuit.

Non… c’en était trop. Léon ne pouvait supporter l’idée de tuer encore un enfant innocent.

Il baissa la lame qui disparut dans un nuage de fumée blanche. Le prince se mit à sangloter de terreur, son courage commençant à vaciller.

Léon tâta la clef qu’il portait autour du cou. S’il faisait vite, il pourrait peut-être rejoindre la banque de Drachima, prendre l’or et disparaitre… La migraine lui reprit… nom d’un Mage ! C’était un vrai supplice.

Il tourna le dos au roi et son héritier et se dirigea vers la fenêtre donnant sur la mer. Il devait partir tant qu’il le pouvait. Si la douleur persistait, il n’hésiterait pas à les tuer, juste pour faire taire la torture sous son crâne.

Il était encore tant n’est-ce pas ? La tempête serait rude, mais il pouvait passer au travers. Il grimperait par la coque pour rejoindre un des canots et rejoindrait la côte au plus vite.

Il ouvrit le loquet et le vent fit claquer les vitres vers l’intérieur. La tempête les avait rattrapées. Léon mit un pied par-dessus l’encadrement de la fenêtre, prêt à abandonner sa mission.

La douleur s’amplifia, il n’avait jamais résisté si longtemps au sceau qui le liait au maitre. Il se demanda s’il allait survivre à une telle douleur. Léon n’eut pas le temps de le vérifier.

Le roi s’était emparé d’une épée courte et se lança sur lui. C’est donc ça qu’il cherchait ! Léon n’eut pas le temps de l’éviter. La lame lui entailla le crâne alors qu’il lâchait prise.

Le feu de la lame était presque une bénédiction, car elle chassa la migraine. Son corps chuta dans les flots, le froid glacial de la mer lui comprima les poumons, puis tout devint noir.

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