67. Tendre bain

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Clothilde

Je verse un dernier seau d’eau réchauffée dans le baquet et ôte mes vêtements avant de me glisser dans l’eau. Elle est moins chaude que ce que j’aimerais, mais je vais m’en contenter, juste pour le plaisir de me prélasser dans un bain, chose que j’avais rarement l’occasion de faire à la maison. Ici, une fois les quelques animaux visités, le repas préparé et le bois rentré, je n’ai pas grand-chose à faire de mes journées. Je pourrais dire que je fais le ménage à fond dans la maison, mais le sol est terreux et les nombreux tapis qui le recouvrent pour nous offrir un peu plus de chaleur ne sont pas faciles à nettoyer.

Einar est parti au village tout l’après-midi et je m’ennuie un peu. Il doit me ramener de quoi m’occuper. Marguerite veut m’apprendre à tricoter, mais pour l’heure je ne sais pas quoi faire de mes dix doigts.

Je récupère le savon que j’ai posé sur une chaise près du baquet et l’humidifie avant de le passer sur ma peau. Il est doux et je prends le temps de savonner chaque partie atteignable, regrettant l’absence de mon Viking. Si ce bain est agréable, il n’en serait que meilleur si ses mains remplaçaient ce petit carré de douceur. Rien ne vaut ses caresses chaudes, ses doigts marqués par le travail manuel.

L’eau refroidit bien trop vite à mon goût malgré la proximité du feu, je remplis donc un seau d’eau récupérée dans mon bain que j’installe au-dessus des flammes, ce qui me permet de rester au chaud et de laver mes longs cheveux qui en avaient bien besoin.

Je suis en train de me prélasser comme une reine lorsque la porte de la maison grince. Einar se dépêche de la refermer et se stoppe net en m’apercevant. Son petit sourire en coin appelle le mien et je me redresse sans pour autant me lever alors qu’il approche tel un chasseur ayant repéré sa proie. Qu’il est beau, c’est fou !

— La journée a été bonne ? lui demandé-je alors qu’il ôte ses vêtements chauds sans me quitter du regard.

— Qu’importe la journée, je rentre à la maison et je te retrouve. Je n’ai besoin de rien d’autre.

Je fonds sous ses paroles. Einar est surprenant. Qui pourrait, au premier abord, l’imaginer romantique ? Parce qu’honnêtement, ses mots me touchent énormément. C’est bien loin de l’image du Viking, du barbare qui pille et tue. Dans l’intimité, Einar est aussi fougueux qu’il est doux, aussi fort que tendre… Il est plein de facettes tout aussi intéressantes et attirantes les unes que les autres.

Un soupir passe la barrière de mes lèvres lorsqu’il ôte ses derniers vêtements. Entièrement nu, il me lance un sourire qui fait monter la température dans tout mon corps malgré le frisson qui me parcourt. Je m’avance dans le baquet pour lui faire de la place dans mon dos, où il s’installe, glissant ses jambes de chaque côté de mon corps tout en m’attirant fermement contre lui.

— J’adore quand tu viens me retrouver, souris-je en promenant mes doigts le long de ses cuisses alors que ses mains caressent sagement mon ventre.

— Ce ne sont pas plutôt mes caresses et mes baisers que tu attendais ? demande-t-il en déposant ses lèvres dans mon cou.

Je pourrais rire de sa remarque qui est en partie véridique, mais sa bouche qui parsème ma peau de baisers m’empêche de réagir autrement qu’en poussant un léger gémissement qui le fait sourire, je le sens.

— C’est un tout, je te le promets. J’avoue que j’adore ce que tu me fais, soufflé-je, autant que j’aime passer du temps avec toi sans qu’on finisse nus et transpirants.

— Ça tombe bien, ça me rend heureux d’être avec toi. Tu as la peau si douce, tu es si belle. Je crois que je suis en train de rêver, non ?

Je souris et glisse une main sur sa nuque pour attirer sa bouche contre la mienne. Einar semble particulièrement fatigué, aujourd’hui, je m’étonnerais presque qu’il ne m’ait pas encore sauté dessus si cet instant de caresses n’était pas aussi agréable.

Je finis malgré tout par m’éloigner et m’agenouille face à lui pour le savonner. Son regard commence par suivre ma main qui passe sur son épaule et descend sur son torse, avant de dévier sur mon propre corps. Je souris lorsque ses mains empaument mes seins tendus dans sa direction, les caressant avec délicatesse, presque paresseusement. Ce petit moment me semble totalement hors du temps, c’est un vrai bonheur de partager cette intimité avec lui, comme si notre relation passait encore à un stade supérieur. S’il n’est jamais avare de caresses, je crois que c’est la première fois que cette sensation de bien-être, d’être réellement à ma place, me saisit.

Je me presse finalement contre son torse et l’embrasse tendrement, me cambrant sous ses mains qui caressent mon dos, mes reins, frôlant mes fesses sans pour autant les empoigner comme il le ferait d’ordinaire. Sa langue joue avec la mienne, ses dents mordillent ma lèvre, il soupire contre ma bouche et niche finalement son visage dans mon cou.

— Je ne te savais pas aussi câlin, beau Viking… J’adore, chuchoté-je.

— Je ne suis pas qu’une Montagne brute et sans délicatesse. Je t’aime, belle Normande.

Je ris en comprenant qu’il a fini par faire le rapprochement entre le surnom que je lui donnais lorsque je parlais de lui avec Marguerite, là-bas, chez moi, et sa personne, et caresse sa nuque, lui provoquant un frisson.

— Tu es bien plus qu’une Montagne, je n’ai aucun doute là-dessus. Tu m’as impressionné dès le début, tu sais ? Je me sentais toute petite près de toi.

— C’est parce que tu es toute petite. Regarde, je peux t’envelopper entièrement entre mes bras, répond-il en m’entourant dans une étreinte douce et tendre.

— C’est mieux comme ça, j’ai déjà du mal à rester au chaud. Tu aurais bien des difficultés à me servir de bouillotte si je faisais ta taille, ris-je.

Et puis, j’aime cette sensation d’être en sécurité à ses côtés, que sa taille et sa carrure pourront lui permettre de me protéger. J’aime me sentir petite entre ses bras, c’est sans doute ridicule, j’en conviens, mais c’est la vérité. J’adore voir ma main disparaître dans la sienne, ou recouvrir une bonne partie de mon ventre. Ce doit être purement sexuel ou un instinct féminin d’apprécier ces choses, un truc de femme amoureuse, surtout qu’au départ, je me disais qu’il pourrait me faire du mal sans arme tant il est imposant.

— Einar, il faut que je te parle de quelque chose, soufflé-je, incertaine.

Je me recule un peu pour retrouver le contact de ses yeux et lui souris lorsque je vois ses sourcils se froncer sous l’inquiétude. Moi aussi, je le suis un peu, en toute honnêteté. S’il n’y avait pas tant de neige, j’aurais sans doute déjà fait le déplacement jusque chez la guérisseuse pour m’assurer que sa potion n’était pas une simple mixture inutile, parce qu’il est certain que je ne suis pas prête à ça.

— Je… je n’ai pas encore saigné ce mois alors que j’aurais déjà dû, j’ai peur que… Enfin, tu vois, peut-être que je porte ton enfant, murmuré-je avec difficulté, comme si le dire à voix haute allait rendre les choses réelles.

— Tu portes mon enfant ? C’est vrai ? me demande-t-il en se redressant, vraiment surpris. Tu es sûre ?

— Non, je ne suis pas sûre, je… Parfois, ce n’est pas très régulier, mais ça commence à faire beaucoup de décalage, tu comprends ? Disons que c’est possible, mais pas certain…

— Mais c’est formidable ! s’exclame-t-il en souriant. C’est merveilleux, non ? Je… Les Dieux nous honorent si c’est le cas.

Je soupire et m’assieds à nouveau entre ses jambes tout en me tournant davantage dans sa direction. Einar semble vraiment heureux de cette possible nouvelle, et je ne suis même pas surprise de sentir sa main se poser naturellement sur mon ventre. Et moi… moi, je ne sais pas quoi penser de tout ceci.

— Je ne sais pas comment cela se passe pour vos Dieux, mais pour moi… Je t’ai déjà parlé du sexe hors mariage, du fait que je vive dans le péché… Avoir un enfant hors mariage est inimaginable pour moi. Enfin… Mon Dieu, si mon père savait ça, il me renierait sans doute dans la seconde, Einar. On fait tout à l’envers de ce que j’ai appris et qui fait mon éducation. Je finirai en Enfer pour avoir vécu cette vie avec toi.

— Mais non, ce n’est pas ça… Enfin… Il y a forcément une solution… réfléchit-il en me regardant avec un regard amoureux. Clothilde, finit-il par dire, un grand sourire éclairant son visage, épouse-moi ! Et le péché n’existera plus !

— Quoi ? Mais qu’est-ce… Non, quelle idée ! C’est hors de question !

Est-ce qu’il est fou ? Je ne veux pas me marier comme ça, pour les mauvaises raisons. Einar n’a jamais évoqué ce sujet avec moi auparavant, il ne devrait pas le faire dans ces conditions, de manière irréfléchie, impulsive.

— Comment ça, hors de question ? Tu ne veux pas mettre fin au péché ? Je croyais que ça te ferait plaisir… Je ne comprends pas, Clothilde.

Il a l’air blessé par mon refus et semble vraiment perdu. L’eau est froide autour de nous mais je ne suis pas sûre qu’il frissonne à cause de ça. J’ai beau être moi aussi perdue et avoir peur de l’avenir, je m’en veux de lui avoir causé de la peine.

— Tu n’as jamais parlé de mariage, Einar, je ne veux pas que tu fasses ça pour de mauvaises raisons, tu comprends ? soupiré-je. C’est comme si savoir que je porte peut-être ton fils ou ta fille me rendait plus importante à tes yeux maintenant… Comme si je ne méritais pas de devenir ton épouse avant ça.

— Ce n’est pas ça ! proteste-t-il. Je t’aime, Clothilde ! Et pour moi, il n’y avait pas d’urgence… Mais là, tout est différent ! Épouse-moi et je te promets de te rendre heureuse.

Je l’observe en silence un moment, son regard plongé dans le mien. Puis-je réellement être heureuse ici ? J’en doute depuis que je suis arrivée, mais avec ma propre famille, peut-être que je pourrais m’approcher de ce bonheur. Cela ne changera rien au fait qu’il a été conçu en dehors du mariage, que je pèche avec un homme depuis des mois… Et j’ai surtout peur que mon Viking regrette sa proposition.

J’ai besoin de réfléchir à tout ça, non ? Si la possibilité de porter son enfant m’angoisse, j’avoue qu’il ne calme pas les choses avec son idée. Je devrais être ravie qu’il me demande en mariage, et une partie de moi l’est réellement, mais c’est aussi une preuve supplémentaire que je ne reverrai jamais ma terre, ma famille, que je ne retrouverai jamais ma vie. Je suis ici et je vais m’y enraciner, devenir la femme d’un Viking, engendrer des Vikings… Tout ceci me terrifie.

— Je… je ne sais pas, Einar, bafouillé-je en quittant le bain, frissonnante, pour m’emmitoufler dans la première couverture en laine qui me tombe sous la main. Tu es sérieux ? Je veux dire… Tu sors ça comme ça, comme si tu y avais déjà réfléchi, alors que nous n’avons jamais parlé de ça. Te marier à une Normande ? Que vont penser les autres ? Et si tu regrettais ton choix ?

— Avec toi, je ne regretterai pas, c’est sûr. Mais je comprends que tu hésites, dit-il en se redressant à son tour, magnifique dans sa nudité. Réfléchis à ma proposition, Clothilde, je la maintiens, quoi qu’il arrive.

Je l’observe sortir à son tour et souris lorsqu’il tire les pans de la couverture pour se glisser dedans à son tour, m’étreignant étroitement au passage. J’en fais de même et relève la tête pour croiser son regard tendre bien que fatigué. Mon Viking, ma Montagne… Il est bien la seule chose qui m’empêche de regretter totalement cet éloignement d’avec ma famille.

— Je t’aime, Einar, et… je te promets d’y réfléchir sérieusement.

Il me sourit et dépose un léger baiser sur mes lèvres en m’entraînant sur notre lit. Cette histoire de mariage est une chose, mais il n’y a pas que ça. On parle d’un enfant, de donner la vie, d’élever un petit être qui dépendra de nous. Je suis trop jeune pour ça, je ne suis pas prête, surtout pas après avoir vu ma mère mourir en couche… Et si une petite partie de moi rêve de voir ce que le mélange de mon Viking et moi peut donner, j’ai du mal à passer outre ma peur. Et lui sourit comme si tout était parfait, comme s’il n’attendait que ça, que c’était normal et même attendu… Un mariage et un bébé, si je m’attendais à ça lorsque Bjorn m’a fait embarquer sur ce drakkar !

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