Toujours, 11h50
11 h 50, la peur m'a engloutie. Elle m'a statufié sur ce siège. Ce siège de bus que je n'ai pas quitté depuis le début de cet arrêt dans le temps. Je suis paralysé. Mais j'ai pris conscience d'une chose. Le temps n'est pas décidé à reprendre son cours.
11 h 50, j'amorce enfin un mouvement, descends de mon bus. L'ambiance y régnant me donne de plus en plus froid dans le dos. Je me sens observé tout en sachant que personne n'est conscient. Ou du moins, c'est ce qui semble. Miraculeusement, et sans que je sache réellement pourquoi, le mécanisme des portes du bus fonctionne. Celles-ci s'ouvrent lors de la pression du bouton de commande. Et me voilà, faisant mes premiers pas, hors de mon habitacle de sécurité. Hors de mon bus.
11 h 50, je marche sur des jambes tremblantes. Avançant d'un pas incertain dans les rues. De toutes parts, des statues humaines les submergent. Mais toujours aucun mouvement et surtout aucun bruit. J'ai encore un infime espoir de trouver quelqu'un comme moi. Une âme qui erre et qui cherche un semblable. Mais...
11 h 50, je suis à la recherche d'un miracle. Seulement, je vais devoir me faire à l'idée. Je suis le seul encore en mouvement. Combien de temps s'est-il écoulé depuis cette pause ? Je ne sais pas. J'ai juste l'impression d'être perdu entre deux instants. J’erre donc dans ma ville et ses allées, telle une âme en peine. Dans cette ville où le silence est roi.
11 h 50, je n'en peux plus de marcher. Je m'assieds. Encercle ma tête de mes bras. D'accord, j'ai bien dit être un solitaire mais, je ne souhaite pas pour autant être hanté par la solitude. Or, j'ai l'impression que c'est ce qu'il se déroule. Peu à peu, plus j'avance, plus je me sens seul. Et ce mot, je commence doucement à le détester.
11 h 50, toujours assis sur ce bout de trottoir, je me demande pourquoi je suis l'unique homme à être conscient de cette pause. De ce silence étouffant. Ce néant trop perturbant pour une ville en mouvement perpétuel. Enfin… Qui est habituellement en effervescence. Puisqu'à présent, les seuls bruits que j'entends sont ceux que je fais. Ma respiration et mes pas hésitants.
11 h 50, j'ai essayé d'en réveiller certains. Sans aucun effet. Grimaces, hurlements dans les oreilles, tirages de cheveux, pincements. Rien n'y fait. Ils restent tous, inertes. J'ai même tenté d'arracher sa sucette à un bébé… Cela n'a pas eu plus d'effets que le reste. Alors, je lui ai remise… Je sombre un peu plus dans la solitude.
11 h 50, seul, seul, seul. Ce mot agresse mes pensées. Partout où je me dirige, je ne vois que des éléments, des véhicules et surtout, des personnes à l'arrêt. Tout est statufié. alors que de mon côté, j’erre sans but. Je me rassois, cette fois, à la terrasse d'un café. J'ai soif. J'hésite un peu, puis me relève. Je rentre et me sers une boisson. C'est peut-être un geste bête. Mais, je laisse de l'argent prêt de la caisse avec un mot. Le temps a beau être arrêté, je reste honnête.
11 h 50, je continue mon voyage à travers la ville. Le silence est toujours présent, et il est même, omniprésent. La peur, elle aussi, fait son œuvre. Elle est devenue mon amie depuis l'arrêt du temps. Je parcours inlassablement les rues à la recherche d'un petit signe de vie, d'un mouvement. Mais rien. Aucun indice de mouvement, rien ne montre le retour du cours normal du temps.
11 h 50, Bip ! Un son. Un bruit vient de briser ce monde de silence. Un seul petit bip qui vient perturber le calme ambiant. Des frissons m'envahissent. Un sursaut me prend à ce son qui parvient à mes oreilles. D'où vient-il ? J'arrête ma route. Cherche autour de moi, mais plus rien ne sort. Plus aucun bruit. Le silence, à nouveau, reprend sa place de roi.
11 h 50, j'ignore comment mesurer le temps dans cet entre-deux. Je ressens juste la fatigue qui m'englobe peu à peu. J'ai décidé de rentrer chez moi. Je file dans mon lit en espérant me réveiller avec les mouvements du temps. Reprendre le fil de ma vie. Dans ce soupire, mes yeux se ferment. Morphée m'accueille à bras ouverts.
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