A chaque jour, 11h50

2 minutes de lecture

11 h 50, l’heure du frisson. Comme chaque jour depuis cet incident, depuis ce jour-là je ne peux pas m’empêcher de fixer ma montre. J’arrête toute activité et j’attends que cette aiguille des minutes dépasse le nombre dix du cadran. Qu’elle trotte un peu plus loin. Déjà plus de cent jours que l’accident a eu lieu mais je reste hanté par ce moment, et ses yeux.

11 h 50, et deux cent soixante-cinq jours se sont écoulés. Tout me semble fade, les passants que je croise, dans cette nouvelle ville dans ces rues étroites, me regardent comme le rescapé nucléaire mais ils ne savent pas. Ils sont tous persuadés que mon histoire est le récit de divagations causées par les radiations. Sauf que je ne peux pas oublier ce que j’ai vécu.

11 h 50, cette heure devient mon obsession. J’aimerais comprendre. La revoir aussi. Qui est-elle ? Pourquoi son visage et ses yeux bleus me poursuivent-ils encore ? Cinq cent douze jours, et je reste bloqué sur ces instants entre deux dimensions, ces moments que tous pensent issues de mon imagination.

11 h 50, me voici arrivé au cinq cent trentième jour. Je compte les jours à la recherche d’un indice, un élément qui me replongerait là-bas, loin de ce quotidien. Ces journées banales durant lesquelles je laisse peu à peu la solitude reprendre sa place dans ma vie. C’est étrange mais le silence me manque. Cet épisode que je pensais traumatisant, est devenu mon nouvel espoir.

11 h 50, et six cent quatre-vingt-sept jours. Je n’arrive pas à oublier. Oublier que l’incident venait d’une panne des réacteurs, oublier que je suis le seul survivant de cette journée, le seul passager du bus à en être descendu, oublier que cette fille existe. En vérité, est-elle réelle ? Oui, elle l’est. La marque de ses doigts sur mon poignet est restée visible deux semaines.

11 h 50, sept cent quarante journées à essayer de reprendre une vie normale, tout en me demandant comment retourner de l’autre côté. Une tragédie, un incident, une catastrophe ? Si, je suis une marionnette du temps aurais-je l’occasion de revoir ce lieu ? De la revoir, elle ? Elle était si sûre d’elle. Si, froide aussi.

11 h 50, je revois sans cesse ces statues sans vie. Huit cent soixante-quinze nuits que je fais ce même rêve. Celui d’être encore bloqué dans ma ville à errer, telle une âme en peine. Jusqu’à la trouver, jusqu’à apercevoir cette lueur, ces longs cheveux d’or. C’est elle qui me fait émerger et sortir de cet enfer.

11 h 50, et je coche les jours encore et encore. Aujourd’hui, j’arrive au neuf cent quarantième jour. Je dois arrêter de penser à ce jour, je dois avancer. Cette fille, je ne la reverrais pas. C’est certain. Mon quotidien a repris son cours. Les entreprises, elles m’ont couru après. Un rescapé travaillant pour eux est une sacrée publicité.

11 h 50, je me demande encore pourquoi je reste fixé devant ce calendrier. Je note les jours, comme si cela pouvait changer quelque chose. Mille vingt et un jours que je tourne en rond, à vivre et répéter des mouvements auxquels je n’apporte plus aucun intérêt.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Sandra Malmera ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0