Chapitre 10
Clara et Nicolas étaient installés sur un petit muret, légèrement en retrait du bar. L’air du soir avait cette fraîcheur automnale qui rendait l’atmosphère à la fois paisible et mélancolique. Clara alluma un joint, tira une longue bouffée et le tendit à Nicolas, qui l’accepta sans dire un mot.
— Tu sais, parfois, je me demande vraiment ce qu’on fout là, lança Clara en rompant le silence.
— Ici, dans cette ville ou… dans la vie, en général ? répondit Nicolas en rendant le joint.
Clara rit doucement, mais il y avait une pointe de tristesse dans son rire.
— Les deux, probablement. Forbach, c’est pas vraiment l’endroit où tu te dis que tout va bien s’arranger, tu vois ?
Nicolas sourit. Il comprenait trop bien.
— Ouais, je me sens coincé ici aussi. C’est comme être dans un vieux disque rayé. T’as l’impression que tout est figé, que tu fais les mêmes erreurs, encore et encore. Un peu comme Hotel California… tu sais que t’es piégé, mais t’essayes de continuer à vivre comme si de rien n’était.
— Exactement. Et puis, à chaque fois que tu penses avoir une sortie, bam ! T’es ramené à la réalité. Moi, je croyais pouvoir m’enfuir avec ce type… mais je suis toujours là.
Elle prit une autre bouffée, son regard perdu dans le vide.
— Qu’est-ce qui s’est passé avec lui ? demanda Nicolas, sentant que Clara cherchait à se confier.
— Il était… violent, murmura-t-elle. Je m’en suis sortie, mais il m’a laissée là, sans rien. Et maintenant, je suis coincée ici.
— Désolé d’entendre ça, dit Nicolas en baissant les yeux, gêné de ne pas savoir quoi dire.
Clara haussa les épaules.
— C’est derrière moi. Mais parfois, j’ai l’impression d’être une étrangère dans ma propre vie. Je passe mes journées à peindre des trucs qui expriment ce que je ressens, mais ça ne m’apaise jamais complètement.
Nicolas hocha la tête, absorbant ses paroles.
— Tu peins ?
— Ouais. Ça m’aide à évacuer, comme si je pouvais tout jeter sur une toile. C’est une sorte de thérapie, je suppose. Mais ça reste juste des couleurs et des formes. À la fin, je me retrouve toujours à Forbach.
— Ça doit quand même te faire du bien d’avoir ça pour t’exprimer. Moi, j’ai toujours eu l’impression que tout ce que je ressens reste bloqué à l’intérieur. Entre mon boulot qui me bouffe et ma vie perso qui part en vrille, j’ai l’impression d’être enfermé dans ma propre tête.
Clara lui lança un regard curieux.
— T’as jamais essayé d’écrire ou quelque chose comme ça ?
Nicolas sourit tristement.
— Si. J’essaye d’écrire un livre, inspiré de ma vie, mais c’est un peu chaotique. Je n’ai pas le temps, pas l’énergie… parfois, j’ai juste envie de tout envoyer balader.
Clara éclata de rire, un rire sincère cette fois.
— Un livre sur ta vie ? Putain, ça pourrait être marrant.
— Je sais pas. C’est pas vraiment une vie de rêve, tu sais. J’ai un boulot où je passe mes journées à aider des gens qui sont encore plus paumés que moi, et quand je rentre, c’est pour m’occuper de mon fils… enfin, quand je l’ai.
Clara s’étira, reposant ses pieds sur le muret.
— T’as un fils ? T’as jamais mentionné ça.
— Ouais, il a cinq ans. Mais… disons que la communication avec sa mère, c’est compliqué.
— Oh, je vois. C’est à cause de votre séparation ?
Nicolas soupira, son regard se perdit un instant dans la rue sombre.
— En partie, ouais. Elle est enceinte de son nouveau mec. Et ça fait même pas trois mois qu’on est séparés. Le pire, c’est que je sais même pas si c’est vraiment son gosse ou… le mien.
Clara le fixa, choquée.
— Attends, tu veux dire que vous avez couché ensemble après qu’elle t’ait trompé ?
— Ouais… une semaine avant qu’on se sépare. C’était… compliqué. Elle était triste, et moi, j’étais là. Enfin bref, j’ai découvert qu’elle était enceinte en vérifiant la mutuelle qu’on partage encore, et voilà.
Clara secoua la tête, comme pour dissiper le malaise.
— C’est de la folie. Sérieux, t’es dans un vrai film là. Un truc à la Blue Valentine, où tout part en vrille, mais tu continues d’espérer que ça se termine bien.
Nicolas sourit, appréciant la référence.
— Ouais, c’est un peu ça. Mais là, je suis plus à espérer grand-chose. Je fais juste ce que je peux.
Clara lui tendit le joint une dernière fois.
— T’inquiète pas, tout le monde est paumé. Faut juste savoir dans quelle direction tu veux aller, même si ça prend du temps. Moi, je suis ici, sans boulot, mais je me fais offrir des soirées… ça m’aide à oublier.
— Oublier quoi ?
— Que la vie continue de tourner, que tout est éphémère. On fait ce qu’on peut, tu sais ? On survit avec ce qu’on a.
Nicolas tira une dernière bouffée, sentant un mélange de tristesse et de soulagement en entendant ses mots.
— Ouais… on survit.
Ils restèrent là, assis en silence, contemplant la rue déserte. Puis, Clara brisa la tranquillité.
— T’as pas envie de rencontrer mes amis ? Ils sont encore à l’intérieur. Ils pourraient aimer discuter avec toi.
Nicolas haussa un sourcil, surpris par sa proposition.
— Tes amis ? Je t’ai vue avec eux, tout à l’heure… J’ai pas voulu déranger.
Clara lui donna un léger coup de coude, souriant.
— Sérieux, pourquoi t’es pas venu me parler alors ? Je t’ai vu, moi aussi.
— Je sais pas… j’étais juste… je sais pas.
— Bon, viens. Je te présente, ils sont cool. Puis ça te fera peut-être un peu de bien, vu que t’as pas l’air de sortir souvent de tes emmerdes.
Nicolas hésita un instant, puis se leva. Peut-être que Clara avait raison. Sortir de ses pensées, échanger avec d’autres… ça ne pouvait pas lui faire de mal.
Ils retournèrent vers le bar, où l’écho des rires et de la musique rock se mêlait au brouhaha général.
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