Chapitre 36

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" Marc se retrouva brutalement plaqué au sol. Frustré d’avoir échoué dans sa tentative, enragé d’être enfermé, il sentait monter en lui une force qu’il ne comprenait pas. Ce n’était pas un homme costaud, mais dans cette explosion de colère et de rage, il traîna cinq aides-soignants à lui seul, résistant à leurs efforts pour le maîtriser. Ils avaient du mal à le soulever, incapables de comprendre comment cet homme si frêle avait pu décupler sa force.

Dans un état de panique, il rampa jusque sous le lit. C’était instinctif, un retour aux réflexes d’enfance, comme s’il cherchait à se cacher des monstres qui voulaient le retenir prisonnier. Sous ce lit, il espérait une sécurité illusoire, peut-être parce qu’il commençait à se voir comme le monstre dans cette histoire, le méchant qui devait se cacher de lui-même, ou de ceux qui cherchaient à l'enfermer.

Finalement, les aides-soignants eurent le dessus. Ils le tirèrent de sous le lit, le soulevèrent et l’allongèrent de force. Ils sanglèrent ses poignets, ses chevilles et sa taille avec des ceintures fixées au lit, chaque boucle verrouillée à clef. Marc, figé dans cette camisole invisible, réalisa que son corps ne lui appartenait plus.

Une piqûre se planta soudainement dans sa cuisse. Marc n'avait rien vu venir. Il n'avait pas besoin d'être médecin pour comprendre ce qui se passait : c’était pour le calmer, ou plutôt, pour l'éteindre. Il en était sûr, ils voulaient simplement l’éteindre.

Il n'eut même pas le temps de ressentir la transition vers le néant. En quelques secondes à peine, son corps commença à se détendre, ses muscles se relâchèrent malgré sa résistance intérieure. Il ferma les yeux, les bruits autour de lui s'effaçaient progressivement, comme une radio qu’on baisse jusqu’au silence total. Il perçut encore le cliquetis de la clef tournant dans la porte du sas avant que tout ne disparaisse. Dans sa dernière lueur de conscience, il se nourrissait de la fatigue qu’il avait imposée aux aides-soignants, comme une ultime victoire avant que la nuit ne l’emporte complètement. "

Nicolas était assis à son bureau, ses doigts glissant sur les touches du clavier. Il venait de taper frénétiquement la suite de son histoire, un mélange de souvenirs et de fictions, et avec un dernier "Ctrl+C, Ctrl+V", il la publia en ligne. Il se leva, attrapa une cigarette qu'il s'alluma, et jeta un œil aux différents compteurs sur la page. Les vues, les partages, et surtout la valeur perçue de son histoire… tout devenait exponentiel. Chaque fois qu'il rafraîchissait la page, les chiffres montaient. L'adrénaline monta en lui, mêlée à une angoisse qui le nouait de l'intérieur.

Il se servit un verre de whisky et avala une gorgée brûlante. En tirant sur sa cigarette, une pensée le traversa : "Et si quelqu'un d'autre reconnaissait l'histoire ?" Il savait que Sophie avait lu les premières parties, et cela l'avait déjà mis dans une situation compliquée. Mais si d'autres venaient à comprendre que cette histoire s'inspirait largement de sa vie, cela pourrait être encore plus dangereux.

Il essaya de chasser ces idées. Après tout, c'était juste de la fiction, non ?

Il jeta un coup d'œil à son téléphone. Clara devait arriver. Il avait envoyé son adresse un peu plus tôt, mais sachant à quel point son appartement était isolé au milieu d'autres immeubles, il espérait qu'elle ne se perde pas.

Un coup résonna à la porte.

Il ouvrit, et Clara se tenait là, un sourire aux lèvres, l’air décontracté. Ils s’installèrent, discutant de tout et de rien, comme deux amis qui se retrouvent sans pression. Mais Clara, fidèle à elle-même, ramena vite la conversation sur le sujet qui l'intriguait le plus.

— Alors, tu me fais lire ce fameux texte ou pas ? dit-elle en souriant.

Nicolas hésita un instant, puis se leva pour récupérer son ordinateur. Le bureau où il l’avait laissé était devenu un véritable champ de bataille, jonché de cendres et de mégots de cigarettes écrasés, entouré de verres vides. Il balaya rapidement quelques cendres du clavier avant de tendre l’appareil à Clara.

Elle prit le temps de lire, son regard concentré sur l’écran. Nicolas, nerveux, alla se servir un autre verre, l’oreille tendue vers chaque soupir ou chaque petit bruit qu’elle pourrait faire en réaction au texte. Le temps s'étirait.

Après quelques minutes de silence, Clara releva la tête.

— Honnêtement… dit-elle, prenant une pause qui sembla durer une éternité, je m'imaginais que tu puisses bien écrire, mais là, c’est vraiment autre chose.

Nicolas sentit une chaleur monter en lui, mais il n’était pas encore sûr de comment prendre la suite. Clara referma doucement l'ordinateur, ses doigts glissant lentement sur le bord du clavier comme si elle pesait chacun de ses mots avant de parler. Son visage était toujours détendu, mais ses yeux trahissaient une certaine perplexité.

— Dis-moi… Elle chercha son regard, insistant légèrement. Quelle part de vérité y a-t-il vraiment dans ce texte ?

Nicolas sentit un frisson le parcourir. Il n'avait pas imaginé que la question viendrait aussi vite, ni qu'elle serait aussi directe. Il écrasa sa cigarette dans le cendrier débordant, prit une gorgée de whisky pour se donner du courage, et tenta de feindre l’indifférence.

— C’est juste de la fiction, Clara… Tu sais comment c’est. On mélange des choses réelles, des pensées, des idées, et on les tord pour en faire autre chose.

Clara ne bougeait pas, son regard fixé sur lui, comme si elle essayait de lire à travers ses mots. Elle ne semblait pas convaincue.

— Peut-être, dit-elle, mais il y a quelque chose d’autre ici, quelque chose de plus brut… de plus personnel. Ce texte, il transpire un mal-être. On sent une sorte de souffrance qui n’est pas inventée, pas vraiment.

Nicolas resta silencieux un moment, surpris par la précision de son observation. Il savait que le texte contenait bien plus de vérité qu’il n’osait l’admettre. Chaque passage, chaque personnage, chaque situation était une forme d’échappatoire, une version romancée de ses propres cicatrices. Mais les reconnaître, c'était aussi les affronter, et cela l'effrayait.

Clara reprit doucement :

— Tu sais, j’ai ressenti quelque chose en lisant… Comme une sorte d’oppression. Je ne sais pas si tu te rends compte de ce que ce texte peut provoquer. On se sent enfermé dans ton histoire, comme si toi-même, tu n’arrivais pas à en sortir.

Elle marqua une pause, cherchant les mots justes.

— Ce mal-être, cette colère… On dirait que tu les as laissés te dévorer. Et j’ai l’impression que tu partages tout ça sans filtre, mais… est-ce que tu te rends compte de l’impact que ça peut avoir ?

Nicolas évita son regard, jouant nerveusement avec son verre. La tension dans la pièce était palpable. Il savait qu'elle avait raison, que ce qu'il écrivait reflétait bien plus que de simples souvenirs modifiés. C’était un exutoire, mais aussi un piège. Il s’était toujours caché derrière les mots, pensant que cela suffirait à éloigner ses démons. Mais là, devant Clara, il ne pouvait plus prétendre.

— Je suppose que c’est… plus personnel que je ne l’avoue, lâcha-t-il finalement, la voix plus faible qu’il ne l’aurait voulu.

Clara s’approcha de lui, posant doucement sa main sur la sienne.

— Tu as du talent, Nicolas, c’est indéniable. Mais fais attention à toi. Tu ne peux pas tout mettre sur la page sans en subir les conséquences.

Il hocha la tête, un mélange de gratitude et de confusion dans le regard. Clara avait réussi à voir au-delà de ses mots, à comprendre ce qu'il n’avait pas su exprimer autrement. Mais il ne savait toujours pas s’il était prêt à affronter ce qu’elle venait de mettre en lumière.

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