Chapitre 38
Astride attendait Nicolas à la porte, les bras croisés. Quand il arriva pour récupérer leur fils, elle le dévisagea d’un regard qu’il connaissait bien, une sorte de mélange entre l’agacement et la curiosité.
— Tu vois quelqu’un en ce moment ? demanda-t-elle abruptement.
Nicolas fronça les sourcils, un demi-sourire se dessinant sur son visage.
— Pourquoi tu veux savoir ?
Elle haussa les épaules, jouant l’indifférente.
— Je me demande juste si tu continues à… comment dire… t'occuper de toi.
— Je m’occupe de moi. C’est tout ce qui compte, non ? Je fais ce que je veux de ma vie, tant que je me sens bien, même si ça te dérange, répliqua-t-il d'un ton calme mais assuré.
Elle grimaça légèrement, essayant de ne pas réagir à cette pique.
Nicolas haussa les épaules.
— Je te dérange pas, moi, de toute façon, continua-t-il, le regard perçant. Tu ne réponds pas vraiment à ma question. Il y a des choses qui ne te concernent plus, maintenant. Je n’ai plus besoin de te rendre des comptes. Tu veux savoir quoi ?
Le silence s’installa, lourd de non-dits. Astride le brisa finalement, d’une voix plus douce, presque hésitante.
— Comment as-tu découvert que j’étais enceinte… avant que je te le dise. Comment t’as su ?
Nicolas prit une grande inspiration, et, en se laissant dépasser par ses souvenirs, il se rappela.
— T'es stupide ? J’ai vu les relevés de la mutuelle. Sois pas idiote bordel, les dates correspondaient à tes rendez-vous chez le gynéco. Je n’avais rien besoin de demander.
Le visage d’Astride pâlit légèrement, comme si quelque chose se brisait en elle à cet instant.
— Les dates… murmura-t-elle, pensivement.
Nicolas la fixa, sentant que quelque chose changeait en elle.
— Ouais, les dates. Je sais ce que tu penses.
Elle secoua la tête, mais son regard se perdait. Elle faisait le lien dans sa tête, et soudain, l’ombre d’un doute vint se poser sur elle. Elle n'y avait pas vraiment réfléchit, comme pour oublier ce détail qu'elle avait surement voulu mettre de coté. En repensant à ce moment, Elle réalisa que la période où dame nature faisait son travail chevauchait encore sa relation avec Nicolas, et qu'il n'était peut être pas improbable qu'il y ai un soupçon, même infime, de possibilité que le père ne soit pas Éric.
— Nicolas… Elle hésita, cherchant ses mots. Est-ce que… tu penses qu’il y a une chance… je ne veux pas croire que tu pourrais…
— Le père ? compléta-t-il, ses mots tranchants, presque libérateurs. Franchement, je n’en sais rien. Mais j’ai pensé à ça, ouais. Et crois-moi, je me suis demandé à quel point tu pouvais foutre ta vie en l’air en même temps que la mienne.Et pourtant j'en ai vécu des situations de merde.
Elle se figea, ses mains se resserrant nerveusement autour de ses bras croisés. Ce qu’il venait de dire, c’était plus qu’un simple commentaire. C’était une bombe. Elle calculait, se rendait compte que, peut-être, elle avait effectivement fait une erreur énorme.
— Je… je n’avais jamais pensé que… Sa voix s’éteignit dans un murmure.
Nicolas savourait cette scène, ses yeux fixés sur elle avec une satisfaction presque malsaine. Il aimait la voir perdre pied, aimait cette confusion qui s’emparait d’elle, cette peur naissante dans son regard. C’était sa revanche, silencieuse mais délicieuse. Pendant toutes ces années, elle l’avait humilié, menti, trahi. Et maintenant, c’était elle qui se retrouvait acculée.
Astride baissa la tête. Elle ne savait plus quoi dire. L’incertitude la rongeait, la fierté qu’elle avait toujours tenue si haute se fissurait. Elle avait cru pouvoir tout contrôler, mais là, elle perdait pied. Sa relation avec Éric venait de (re)commencer par cette grossesse, et l’idée que Nicolas puisse être le père la terrifiait.
— Je… Je ne voulais pas que ça se passe comme ça.
Sa voix tremblait légèrement, trahissant son anxiété.
— Mon cul. Tu as tout foutu en l’air parce que ta petite personne était plus importante que le reste. C'est louable, mais c'est à gerber. Il ne haussa pas la voix, mais chaque mot frappait fort. Maintenant, tu veux quoi ? Que je me taise ? Que je garde tout ça pour moi, pour que tu puisses continuer à jouer ton rôle parfait avec Éric?
Elle le regarda, désespérée, son masque de contrôle fissuré. Elle hésita, essayant de ne pas montrer à quel point elle était bouleversée. Mais elle savait qu’elle avait perdu.
— Merde... Qu'est-ce que je dois faire ? lança-t-elle sans attendre de réponse. Je peux pas lui dire. Faut que j'attende, de voir.
Nicolas la fixa longuement, sans répondre tout de suite, prenant un plaisir secret à la voir se décomposer devant lui. Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Il venait de retourner la situation contre elle sans vraiment le vouloir. Lui qui, quelques mois plus tôt, se sentait détruit, humilié, trouvait maintenant une satisfaction presque sadique à inverser les rôles. Il n’avait plus besoin de faire quoi que ce soit. Astride s’était mise en échec toute seule, et il aimait ce spectacle. Astride, cette femme qui l’avait trahi et humilié, était maintenant celle qui demandait grâce, terrifiée à l’idée que tout s’effondre autour d’elle.
Et même si ce n'était pas son enfant au final qu'elle portait — une chance sur deux — il avait déjà cette satisfaction d'une certaine vengeance.
— La seule chose qui pourrait encore me faire chier dans cette histoire, c'est qu'au delà de la situation, alors que tu m'as tellement saoûlé sur l'exemple d'éducation que tu voulais donner à tes enfants, c'est que mon fils vive ça. L'ironie, c'est que pour une personne qui travaille dans la protection de l'enfance, avec tout ce que tu as pu lire et qui te rendais dingue, et bien, tu n'es pas mieux placée que les parents des pauvres gamins que tu juges. J'espère que tu réfléchis bien à la place de la femme que tu donnes à tes enfants, cet exemple de... stabilité... longuement critiquée, mima-t-il en faisant des guillemets avec ses doigts. Alors t'en fais pas, va, moi je vais fermer ma gueule et observer de loin.
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