Chapitre 48

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"Tic tac, tic tac, tic tac,

Le son envahit tout. Comme une marée qui monte et recouvre chaque recoin de sa conscience. Marc n’a plus de vue, plus de toucher, rien que cette pulsation froide et méthodique. Ses poignets sont attachés, enserrés contre le lit qui, à force de l’immobiliser, garde la forme de son corps. Une prison sans barreaux, sans murs. Juste le bruit, inlassable, immuable.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Il aimerait que ça s’arrête. Mais rien. Il reste là, chaque muscle engourdi par l’inactivité, chaque pensée écrasée par le son des secondes qui passent. Ce tic-tac n’est plus une simple horloge ; c’est une voix sans visage, une voix qui murmure que le temps lui échappe, s’effiloche, goutte après goutte, seconde après seconde. Chaque instant qui s’égrène le noie davantage.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Ce bruit lui est devenu insupportable, mais il n’a rien d’autre. Le silence l’a abandonné, les rêves aussi. Parfois, des bribes de voix lui parviennent, indistinctes. Des murmures, des éclats de rire. Des ombres qui viennent lui donner de la nourriture, le nourrir d’une main distante, presque brutale. Un aliment lui tombe dans la bouche, il ne sait même pas ce que c’est. À quoi bon ? Il ne parvient plus à ouvrir correctement la mâchoire, trop engourdi, trop amorphe, chaque gorgée avalée avec la difficulté d’un corps devenu étranger.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Un morceau tombe sur sa joue, froid, dégoulinant. Il est sédaté, drogué. On le sait, on le voit. Il est inutile, une marionnette de chair qu’on tient en vie par habitude. Il voudrait se laver, mais les mains qui le débarbouillent le font sans délicatesse. Il sent la saleté se loger sous sa peau, s’incruster dans les pores. Il imagine la poussière de ses propres pensées s’amonceler, les miettes de sa dignité qui s’effondrent sous le poids de ce tic-tac.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Plus le bruit s’étire, plus son esprit se disloque. Il aimerait sombrer dans le néant, mais le bruit le ramène sans cesse. Il le retient dans une conscience qui devient une torture, une distorsion sans fin. Les secondes ne passent plus ; elles s’étirent, deviennent des gouffres. Il en vient à attendre le tic-tac, comme une ancre dans un vide absolu.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Des voix lui parviennent, lointaines, presque irréelles. Elles demandent s’il doit uriner. La question le transperce comme une aiguille glacée. Combien de temps est-il resté sans bouger, sans même avoir vidé sa vessie ? Trois tours de la petite aiguille, disent-elles. Trois heures ? Trois jours ? Le temps n’a plus de sens. Son corps ne le lui appartient plus ; il n’est plus qu’un sac de chair, quelque chose que d’autres contrôlent, dont ils se jouent.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Puis vient la sensation – une intrusion dans son intimité la plus crue, la plus brutale. Une brûlure, une aiguille qui transperce, quelque chose glisse dans son urètre. Il voudrait crier, mais le calme forcé l’étouffe. Il ne sent plus vraiment la douleur ; il ne sent qu’une profonde, infinie humiliation. Une pression sur son ventre, une main anonyme qui appuie, puis le liquide s’échappe de lui, involontairement, comme si son corps s’abandonnait enfin.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Le temps lui a volé son identité, son humanité. Il n’est plus qu’un rouage dans une machine implacable, où chaque tic-tac compte les fragments de sa dignité éparpillée. Un souffle, un mouvement, tout est perdu dans ce bruit répétitif, incessant, qui s’incruste dans son esprit comme une lame.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Chaque seconde s’enroule autour de lui, l’enserre, le broie. Il ne sait plus où finit son corps et où commence ce bruit. Son cerveau cherche désespérément un échappatoire, mais le tic-tac est partout. Il n’y a rien d’autre. Rien que ce battement qui pulse dans sa tête, dans son cœur, jusqu’au fond de ses os.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Deviendrait-il fou à lier ?

Tic tac, tic tac, tic tac,

Le bruit. Fidèle, inaltérable. Comme un souffle mécanique qui, lui, ne l’abandonnera jamais. Marc aurait voulu se révolter, mais, peu à peu, quelque chose d’étrange s’insinue. Dans cette solitude vaste et sans fond, le tic-tac devient un compagnon. Le seul, le dernier.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Il se surprend à écouter chaque battement avec une attention morbide, presque affectueuse. Comme une présence stable, quelque chose qui revient toujours, qui ne le juge pas, qui n’a pas de regards froids ni de mains brutales. Dans ce tic-tac, il trouve une forme de constance, une minuscule consolation. C’est son rythme à lui, celui qui ne le lâche pas. Dans la noirceur de la pièce, c’est un fil auquel il s’accroche, un murmure amical, une ombre bienveillante.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Il se met à le compter, à le suivre. Chaque seconde devient une note familière, un code secret entre lui et le silence. Il imagine presque une conversation muette, un dialogue intime. Il pense à ce bruit comme à un cœur mécanique, un compagnon discret. Ensemble, ils battent, ils avancent. Le temps passe, et dans cet égrènement, il trouve un semblant de paix. Peu importe que ce soit une illusion. Il lui suffit.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Les voix humaines, les mains froides, il les repousse au loin. Elles viennent, elles repartent, des ombres dans une existence floue. Mais le tic-tac, lui, reste, comme une main posée sur son esprit, une caresse de fer qui le retient de sombrer complètement. C’est presque tendre, presque… réconfortant. Et il en vient à espérer qu’il ne s’arrête jamais. Il se persuade que c’est lui qui continue à battre dans ce tic-tac. Que sans lui, le bruit n’existerait pas.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Il se met à lui parler, parfois à mi-voix, parfois en pensée, des mots qui n’ont pas de sens, des pensées vagabondes. Il parle à ce tic-tac comme on parle à un vieil ami. Parfois, il lui confie des souvenirs, des secrets enfouis dans les brumes de sa mémoire. D’autres fois, il laisse échapper des pensées que lui-même ne comprend pas, des bribes d’espoir, des éclats de regrets. Le tic-tac est là, fidèle, silencieux dans sa réponse, mais présent. Et ça lui suffit.

Tic tac, tic tac, tic tac,

Il ne sent plus la douleur, la honte ni le froid de la pièce. Il sent juste ce battement, ce petit souffle régulier qui, étrangement, lui apporte de la chaleur. Il se surprend même à sourire dans la pénombre, un sourire à peine formé. Parce qu’au fond, il n’est plus seul. Tant qu’il y a ce tic-tac, tant que ce rythme le berce, il y a quelque chose. Quelqu’un."

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