Chapitre 56

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Le soir tombait doucement sur l’appartement de Nicolas. Il rentra du CHRS, fatigué et songeur. En vidant machinalement sa boîte aux lettres, il trouva un mélange habituel de prospectus, de factures, et... une enveloppe qui se démarquait.

Elle portait l'en-tête d'une maison d’édition. Ses mains s’immobilisèrent un instant, comme si ce simple papier contenait une bombe à retardement. Nicolas la glissa entre deux factures, l’ignorant presque volontairement, avant de poser le tout sur la table basse de son salon.

Il fixa l’enveloppe pendant quelques secondes. Il pouvait déjà entendre le ton poli et distant d’un rejet dans sa tête.

– "Votre manuscrit, bien que prometteur, ne correspond pas à notre ligne éditoriale."

Il soupira et se versa un verre de vin, comme pour sceller son ignorance volontaire.

Un peu plus tard, Clara débarqua, sa bonne humeur habituelle illuminant la pièce. Ils avaient commencé à partager une sorte de routine, presque sans s’en rendre compte. Elle venait souvent, pour dîner, discuter, et surtout pour réorganiser les affaires de Nicolas.

– T’as encore rien rangé. Si je n’étais pas là, tu finirais enseveli sous les pubs pour des surgelés, lança-t-elle en se penchant sur la pile de courriers.

– T’inquiète pas, ma survie dépend de toi et Picard, répondit Nicolas, un sourire en coin.

Clara fouilla dans les prospectus et courriers avec une curiosité non dissimulée. Elle aimait bien dénicher des "offres spéciales", même si Nicolas se moquait d’elle pour ça.


– Oh, regarde, trois pizzas pour le prix de deux. Parfait pour ton régime équilibré.

– Je vise une carrière dans le body positive, répondit-il avec son habituel sarcasme.


Puis, elle tomba sur l’enveloppe. Elle s’immobilisa, les sourcils légèrement froncés.


– Et ça, c’est quoi ? demanda-t-elle en brandissant le courrier de la maison d’édition.


Nicolas détourna les yeux, gêné.


– Rien.

– Rien ? Une lettre avec le logo d’une maison d’édition, et tu dis rien ?

– Clara, c’est sûrement un refus. Je vois pas pourquoi je me presserais pour me faire rejeter.


Elle le regarda, l’air amusé mais intrigué.


– Nico, si ça se trouve, c’est une acceptation. T’y as pensé ?

– Non, je préfère assumer l’échec d’avance. C’est plus confortable.


Elle éclata de rire, posant l’enveloppe sur la table.


– Bon, bah laisse-moi l’ouvrir alors. Moi, j’adore les mauvaises nouvelles.

– C’est hors de question, protesta-t-il, l’air faussement scandalisé. Si quelqu’un doit lire mon arrêt de mort littéraire, c’est moi.

– Alors ouvre-la, Monsieur Sarcasme.


Nicolas hésita, passant une main dans ses cheveux. Il détestait cette sensation d’avoir quelque chose entre les mains qui pouvait changer sa vie, ou confirmer ses pires peurs.

– Je sais pas… soupira-t-il.


Clara se rapprocha, son ton se faisant plus doux, presque taquin.

– Nico, sérieusement, qu’est-ce qui te fait si peur ?


Il haussa les épaules, cherchant ses mots.


– Peut-être que j’ai pas envie de lire un "non". Peut-être que j’ai pas envie de réussir non plus. Parce que… si je réussis, je suis censé finir cette histoire. Et honnêtement…


Il s’arrêta, fixant l’enveloppe comme si elle le jugeait en silence.


– Honnêtement, je sais même pas comment la finir, Clara. Mon histoire, c’est un bordel. Si je sais pas comment elle se termine, comment je peux la raconter aux autres ?


Clara le regarda un instant, puis s’assit à côté de lui.


– T’es vraiment bête, tu sais.

– Merci, c’est rassurant.

– Non, mais écoute. Tu crois que tous les écrivains savent comment leurs histoires finissent avant de les écrire ? Peut-être que la fin, elle viendra au moment où tu seras prêt.


Nicolas haussa un sourcil.


– Tu dis ça comme si c’était facile.

– C’est pas facile, répondit-elle en souriant. Mais si t’attends que tout soit parfait, tu feras jamais rien. La vie, ça se termine jamais vraiment bien. Alors écris ta fin comme tu le sens, et arrête de te prendre la tête.


Un silence s’installa entre eux. Nicolas fixait toujours l’enveloppe, mais cette fois, il tendit la main et la prit doucement.


– OK. Mais si c’est un "non", tu me dois une pizza.


Clara éclata de rire.


– Marché conclu.


Lentement, il ouvrit l’enveloppe, son cœur battant à tout rompre, comme si elle contenait une bombe à retardement. Clara, assise à côté de lui, le regardait avec impatience.


– Sérieusement, tu comptes la regarder jusqu’à ce qu’elle s’ouvre toute seule ? lança-t-elle, agacée mais amusée.

– T’as qu’à l’ouvrir, toi, répondit Nicolas, feignant un détachement qu’il ne ressentait pas.


Clara soupira, roula des yeux, et posa une main sur son épaule.


– Nico, c’est peut-être le début de quelque chose de bien, tu sais. T’as même pas envie de savoir ?


Il marmonna quelque chose d’incompréhensible avant de céder. Il glissa un doigt sous le rabat de l’enveloppe et en sortit une feuille soigneusement pliée. Inspirant profondément, il commença à lire à haute voix.


– « Monsieur, après lecture attentive de votre manuscrit, nous avons été séduits par votre style singulier et l’intensité émotionnelle de votre récit. »


Clara applaudit doucement, un sourire éclatant sur le visage.


– Ils adorent ! Continue !

– Attends, attends… Il y a un *mais*, je le sens, murmura Nicolas, fronçant les sourcils.


Il reprit, plus lentement :


– « Nous serions ravis de vous proposer un contrat d’édition pour publier votre ouvrage. Toutefois, nous devons attirer votre attention sur un point important. Afin que le livre puisse paraître dans nos délais éditoriaux pour une publication à l’été prochain, nous vous demandons de finaliser votre manuscrit dans un délai de trois mois. Cela inclut une fin plus aboutie pour que nous puissions procéder aux relectures et corrections nécessaires. »


Il baissa la lettre, ses mains tremblant légèrement.

– Trois mois, répéta-t-il, incrédule.


Clara, elle, éclata encore de rire.


– Eh ben, c’est un ultimatum, mais un joli. T’imagines ? Ton bouquin publié cet été, en librairie, à la plage, entre deux tubes de crème solaire.


Nicolas lui jeta un regard noir.


– T’as pas compris, Clara. J’ai pas de fin. Mon histoire, elle est encore en train de se passer. Comment tu veux que je termine un truc qui n’a pas de conclusion ?


Clara s’assit en tailleur sur le canapé, attrapa un coussin qu’elle serra contre elle, et le fixa avec un air réfléchi.


– T’as peut-être pas *la* fin, mais t’as une idée de ce que tu veux raconter. C’est quoi, ton but ?

– Je sais pas… montrer qu’on peut être paumé et essayer de s’en sortir. Que même dans le bordel, y’a des moments qui valent le coup.

– Eh ben voilà, c’est ça ta fin. Trouve un truc qui montre ça.

– Facile à dire, ironisa-t-il. Et si je trouve rien ?


Clara haussa les épaules, un sourire en coin.


– Alors écris la fin que t’aimerais vivre. T’as trois mois, Nico. Trois mois pour boucler ton bouquin, et peut-être ta vie en même temps.


Il la regarda, un mélange de panique et de gratitude dans les yeux.


– Et si j’échoue ?

– Tu passeras à côté de ton été, mais au moins t’auras essayé. Et puis, t’es pas tout seul. Je suis là.


Il sourit faiblement, touché par sa présence.


– Merci, Clara.


Elle se leva, attrapa un carnet posé sur la table et le lui tendit.


– Allez, au boulot, écrivain maudit. Trois mois, c’est court, mais t’es capable.


Nicolas hocha la tête. Une histoire s'écrit, se vie, mais elle a le droit aussi d'être écrite sans avoir été vécu, même si les détails ne sont pas toujours vrai, et elles permettent d'avancer. Il s'asseya à coté de Clara qui lui demanda comment il voulait que la fin se passe, de noter toutes les idées. Et ensemble, ils se mirent à travailler.

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