Chapitre 39
En partant un peu frustré de pas avoir pu tout dire, car il était surtout venu pour prendre son fils, Nicolas se souvenait d´un message d´un des ex d'Astride, Daniel, datant du début de sa relation avec elle. Qu'est-ce qu'il aurait voulu la confronter à cette vieille histoire !
À l’époque, il l’avait pris comme un simple coup de colère d’un ex-mari frustré, surtout que Daniel avait peu à peu disparu de la vie des trois enfants qu’il avait eus avec Astride. La version de l’histoire qu’il connaissait provenait entièrement d’elle : Daniel était absent, désintéressé, un homme amer. Pourtant, une phrase de ce message restait en mémoire : Daniel affirmait que leur première fille n’était pas la sienne.
Pendant longtemps, Nicolas n’avait pas attaché d’importance à ces mots. Il voyait dans les paroles de Daniel une tentative de blesser Astride, de la rabaisser. Mais en repensant à ce message, Nicolas réalisa que certains détails prenaient aujourd’hui un sens nouveau, à la lumière des révélations sur la tromperie d’Astride avec Éric. C’était comme si des pièces manquantes du puzzle de leur histoire commençaient à s’assembler. Daniel l’avait pourtant averti : Astride n’était pas celle qu’elle prétendait être. Il l’avait décrite comme une “dingue”, tout comme sa propre mère, une femme qu’il qualifiait de “sorcière”. Daniel ajoutait même que, selon son point de vue, l’une des sœurs d’Astride s’était convertie à l’Islam, et que cela illustrait le chaos dans lequel toute la famille baignait.
Nicolas avait balayé ces avertissements d’un revers de la main. Il aimait Astride, ou du moins, il avait cru l’aimer, et il n’avait pas voulu prêter attention aux diatribes de son ex-mari. Mais en y réfléchissant aujourd’hui, après tout ce qu’il avait découvert, il ne pouvait s’empêcher de voir une certaine vérité dans ces mots. Astride avait-elle réellement un autre homme, même à l’époque ? Avait-il été aveugle à toutes ces trahisons ? Les pièces s’emboîtaient de manière troublante.
Il repensa aussi à la fameuse “sorcière” de belle-mère. Sur ce point, Daniel n’avait peut-être pas tort. Nicolas avait en tête une série d’anecdotes absurdes qu’il pourrait presque transformer en fiction tant elles paraissaient invraisemblables. Par exemple, ces journées passées dans l’appartement qu’il partageait avec Astride, où l’ambiance était tendue mais où il se refusait à voir la réalité en face. Il se souvenait des enfants d’Astride, devenus des fantômes distants, presque hostiles depuis qu’il avait osé révéler que leur mère l’avait trompé. Après cette révélation, il était devenu l’homme à abattre. Ils ne lui parlaient plus. Pire, ils le voyaient comme un intrus à chasser, l’ennemi de la maison.
Il se souvenait des tentatives maladroites de son ex-belle-mère pour instaurer des règles dans la maison. Ironiquement, les mêmes règles qu’il avait lui-même tenté d’imposer, mais sans succès. La situation l’amusait plus qu’autre chose : après sept ans à essayer d’inculquer un semblant de discipline à des enfants qui n’avaient jamais montré le moindre intérêt à contribuer à la vie familiale, il était presque ridicule de la voir, elle, essayer de rattraper le coup. Astride, qui se vantait d’être stricte dans son travail d’éducatrice, laissait pourtant tout passer chez elle, se complaisant dans un laxisme désarmant. La scène devenait carrément grotesque.
Les enfants n'avait jamais rien fait pour entretenir la maison, laissant derrière eux un véritable champ de bataille. Des assiettes à moitié pleines pourrissaient dans les chambres, parfois à même le sol, et parfois, elles se brisaient. Nicolas, dans son rôle de beau-père désabusé, avait essayé d’insister pour que quelqu’un fasse attention, pour qu’ils évitent au moins de se blesser sur les éclats de verre ou de porcelaine. Mais Astride n’en avait que faire. Pour elle, Nicolas était trop strict. Exiger un minimum de respect dans la maison ? C’était trop demander à ses enfants. Et c'était leur grand-mère qui devait faire le travail pour tenter de rattraper tout ce merdier.
Mais la belle-mère, qui sentait que Nicolas n’était pas dupe de ses tentatives désespées, devenait de plus en plus nerveuse. Elle croyait que Nicolas riait d’elle, ce qui, à vrai dire, n’était pas loin de la réalité. Un jour, elle le confronta directement, disant qu’il émettait “des mauvaises ondes” dans la maison. Elle avait cette manie de se croire investie d’un don, prétendant pouvoir capter les “mauvaises vibrations” des gens autour d’elle, se qualifiant elle-même de “magnétiseuse”. Un soir, lors d’un dîner tendu, elle s’adressa à sa fille.
— Nicolas laisse des mauvaises ondes partout, j’en ai marre, et en plus, ça le fait rire ! Il se moque de moi, lança-t-elle, agacée.
— Comment ça ? répondit-elle, intriguée mais fatiguée par les plaintes constantes de sa mère.
— Cet après-midi, par exemple, il devait partir avec le petit. Il a traîné parce qu’il cherchait ses lunettes, et même en partant, il a laissé des mauvaises ondes dans la maison !
Nicolas, qui jusque-là avait observé la scène avec un sourire en coin, finit par éclater de rire. C’était tellement absurde. Mais il savait que cette attaque voilée ne visait pas que ses lunettes ou sa lenteur. Elle cherchait à le dénigrer, encore une fois. Il se souvint alors d’une pierre qu’il gardait toujours sur lui, un œil du tigre, un cadeau d’une ex qui, il y a dix ans, lui avait donné cette pierre soi-disant “faite pour lui”. Il n’avait jamais vraiment cru aux bienfaits de la lithothérapie, mais l’occasion lui semblait parfaite pour l’utiliser à son avantage.
Sans un mot de plus, il s’inséra dans la conversation, posant la pierre devant sa belle-mère avec un sourire satisfait.
— Vous savez ce que c’est ? demanda-t-il calmement, ses yeux fixant la vieille femme.
— Non, qu’est-ce que c’est encore que ça ? répliqua-t-elle sèchement.
— C’est un œil du tigre, expliqua Nicolas. En lithothérapie, cette pierre est censée renvoyer les mauvaises ondes. Si quelqu’un m’envoie des ondes négatives, elles lui sont automatiquement renvoyées. Si j’émets moi-même des mauvaises ondes, elles se retourneraient contre moi. Mais là, je ne ressens rien. Donc si mauvaises ondes il y a… elles ne viennent pas de moi.
Sa belle-mère le dévisagea, confuse et furieuse à la fois.
— Et qu’est-ce que tu veux dire par là ? gronda-t-elle.
— C’est très simple, répondit Nicolas calmement, je ne ressens aucune mauvaise onde. Maintenant, si quelqu’un ressent des mauvaises vibrations… il faudrait peut-être se poser les bonnes questions, vous ne croyez pas ?
La vieille femme explosa de colère, se lançant dans une diatribe véhémente que Nicolas ne prit même pas la peine d’écouter. Pour lui, la bataille était gagnée. Il se leva, content de lui, laissant sa belle-mère bouillir dans son coin, enfin silencieuse, du moins à ses oreilles. L’espace d’un instant, il avait fermé le clapet de cette “sorcière”, comme Daniel l’avait si bien décrite. Une petite victoire dans un champ de batailles quotidiennes.
Mais ce n'était pas les seules anecdotes qui lui revenait en tête.
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