Chapitre 44

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Après avoir passé du temps avec son fils et s’être rappelé les galères pour pouvoir être présent dans sa vie, Nicolas repensait à cette lutte qui lui avait permis de maintenir un minimum de droit parental. Une bataille âpre qui lui donnait, aujourd’hui encore, le sentiment d’avoir dû arracher chaque instant passé avec son enfant.

Il pensait aussi à sa fille, qui vivait loin et se montrait de plus en plus distante. Il s’inquiétait qu’elle ait fini par entendre parler de son histoire, ce qui pourrait compliquer encore davantage leurs rapports déjà fragiles.

Cependant, revisiter ces souvenirs lui permettait de se rappeler pourquoi il continuait à se battre. Cela nourrissait en lui une volonté d’aider certains résidents du CHRS à lutter eux aussi pour leurs droits parentaux, à leur transmettre les outils pour se redresser.

Il leur disait souvent qu’il comprenait leurs addictions — qu’il s’agisse de drogue ou d’alcool — mais il leur rappelait que cela ne ferait qu’aggraver leurs situations. Pourtant, face à la dépendance qui les tenait, il savait que ses paroles n’avaient qu’un impact limité. Beaucoup de ces hommes semblaient irrémédiablement perdus, pris dans un tourbillon dont il était difficile de s’extraire.

Derrière son écran, il participait à des débats sur le forum où il avait publié anonymement ses écrits. Sans jamais révéler son identité, il prenait soin de défendre les idées de cet écrivain mystérieux, soutenant sa propre vision du monde tout en restant dans l’ombre.

C’est au CHRS, pendant les pauses avec ses collègues, que Nicolas s’impliquait le plus dans le débat autour de cet écrivain anonyme. Ils discutaient souvent de ses textes, sans savoir que c’était lui derrière ces mots. Ses collègues trouvaient les réflexions pertinentes, et parfois même incisives, et Nicolas prenait un malin plaisir à voir leurs réactions face à ses propres écrits.

Il défendait discrètement les points de vue de l’écrivain, en restant humble et distant, s’assurant que personne ne devine son rôle dans cette identité cachée. Ces discussions devenaient pour lui un moyen d’échapper à son quotidien compliqué, tout en gardant un pied dans ses ambitions d’écriture.

Les débats étaient animés, chacun y allait de son interprétation, de ses critiques. Certains voyaient dans les textes une volonté de rébellion contre le système, d’autres une profonde réflexion sur l’échec personnel. Nicolas, tout en participant activement, savourait en silence ce double jeu, sachant qu’il contrôlait indirectement la conversation.

Dans la salle de pause du CHRS, l’ambiance était détendue, mais les débats allaient bon train autour des textes de l’écrivain anonyme que Nicolas avait publiés. Il s’installait à la table, café en main, prêt à entendre les avis de ses collègues.

Céline, une éducatrice un peu plus âgée, feuilletait un extrait imprimé avant de lâcher :

— Franchement, ce gars… je ne sais pas, il est intelligent, mais il est aussi vachement amer. On dirait qu’il a tout raté dans sa vie, non ?

Mathieu, un jeune collègue plein d’enthousiasme, réagisait aussitôt :

— Peut-être, mais il dit des trucs qui touchent. Quand il compare sa fuite avec celles des toxicos et des alcoolos, ça me parle. On sent qu’il sait de quoi il parle. C’est pas juste de la théorie.

— Vous croyez qu’il a vraiment vécu ça ? Ou c’est juste pour le style ? Beaucoup d’auteurs exagèrent pour faire passer un message, non ? demandait innocemment Nicolas.

Céline hocha la tête.

— Peut-être, mais dans son dernier texte, quand il parle de ce sentiment d’impuissance… lorsqu'il se retrouve isolé, enfermé, prêt à se foutre en l'air, tu vois bien que c’est trop personnel. C’est forcément tiré de sa propre vie. Et quand tu penses à ces pauvres gars ou nanas qui sont orientés chez nous, qui sont au bout de leur vie... tu es à deux doigts de te demander si c'est pas un gars dans un foyer qui écrit !

Nicolas sourit discrètement derrière son café. Il connaissait ce sentiment, parce que c’était le sien.

Jean, un autre collègue, beaucoup plus pragmatique, ajouta en mâchouillant un croissant :

— Je sais pas. Moi, ça m’énerve un peu. Il donne des leçons à tout le monde, mais il fait quoi, lui, au final ? Parler, c’est facile. Mais quand tu bosses avec des mecs ici, tu réalises que tout n’est pas aussi simple.

— Peut-être qu’il essaie juste de donner des pistes, répliqua Nicolas. Les mecs ici, comme tu dis, ils ont besoin de se raccrocher à quelque chose, non ? Un peu d’espoir, même si ça passe par des mots.

— C’est exactement ça ! fit Matthieu plein d'enthousiasme. Il a ce truc où il pousse les gens à réfléchir, à ne pas juste accepter leur sort. Je trouve ça hyper motivant.

Céline haussa un sourcil.

— Ouais, mais faut faire gaffe. Parfois, il frôle l’arrogance. Ce côté “moi, je sais mieux que vous”, ça peut vite agacer.

Nicolas, sentant que le débat tournait sur des points sensibles, glissa doucement :

— Peut-être qu’il essaie simplement de dire ce que tout le monde pense tout bas, mais n’ose pas dire. Tu penses pas que ça pourrait être ça ?

La discussion continua, chacun défendant sa vision de l’écrivain anonyme. Nicolas, se délectait des critiques diverses de ses collègues.

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