Nouvelle
Quand j'entrai dans la salle réservée aux voyageurs, mon premier regard fut pour l'horloge. J’étais fasciné depuis toujours par le temps qui s’écoulait. Je pouvais passer un temps infini à observer les aiguilles se déplacer par à-coup dans une valse éternelle. Lorsque j’entrai dans une pièce, la première chose que je cherchai du regard c’était la pendule. De plus je suis un puriste : je ne les aime pas avec l’affichage digital. Non, moi ce qui me captive ce sont les aiguilles.
Les horloges de gare, elles, ont un petit truc en plus. Leurs aiguilles sautent à chaque minute, c’est leur manière de bien signifier aux voyageurs ou à celui qui l’attend qu’une minute de moins le sépare de l’Instant.
Durant ma digression sur le temps, je lançais un regard circulaire. La gare était bondée. Les gens étaient disposés là, par paquet ou seuls. Ils attendaient. Moi, je n’attendais pas, en fait je n’espérai rien pour être juste. Je n’étais pas entré dans cette salle par hasard, j’étais venu m’y réfugier.
C’est ici que tout avait commencé. Ici qu’à chaque fin de semaine, je venais l’attendre, elle. J’y venais toujours accompagné de mon meilleur ami. Nous partagions tout dans la vie, (j’aurai dû me méfier). On devrait tous avoir un ami comme lui à ses côtés pour étoffer nos joies et nos peines, du moins c’est ce qu’il me semblait à l’époque. Les yeux rivés sur le cadran, je patientai, dans un état second, hypnotisé par la pendule. Puis tout à coup la complainte du train se faisait entendre. Un train c’est fait pour rouler. C’est terrible un train qui s’arrête, il cri, il se débat, il lutte, il souffle, et moi je souffrais avec lui, les oreilles transpercées par ses hurlement stridents, jusqu’au moment, où, je la sentais. Oui, aussi curieux que cela puisse paraitre la première chose que je voyais d’elle c’était son parfum. Je pouvais sentir à des kilomètres cet effluve si particulier, unique, un délicieux mélange d’essences de parfum, et d’elle.
Et à chaque fois mon coeur battait la chamade, sa façon à lui de se préparer à l’accueillir, le malin !, mais à chaque fois il était surpris. Quand l’écrin de verre s’ouvrait elle pénétrait dans mon espace, elle y surgissait pour être exact, alors le temps se figeait et l’aiguille de l’horloge peinait à franchir son obstacle.
Elle.
Vous pourriez me trouver trop pompeux, mais je vous pardonne, c’est que vous ne vous rendez pas compte.
Elle était…, je pèse mes mots pour trouver le bon. Elle était magnifique, non, disons plutôt splendide, oui c’est ça, splendide. Son visage dessinait un ovale parfait, chacune de ses parties étaient exactement à leur place, et de taille idéale, la couleur de sa peau amplifiait le sentiment d’harmonie qu’il dégageait. Sa silhouette était gracile, ses courbes épousant parfaitement le tissus des ses vêtement, elle flottait presque. Ces yeux, vous aguichait, et son sourire vous transportait. Et à chaque fois la magie opérait, j’étais à sa merci. Puis, alors que je retrouvai mes esprits elle se mettait à parler, à me parler et là, tout mon être frémissait, tout en moi lui
appartenait, chacune des notes qu’elle formait m’avilissait. J’étais à sa merci, à cet instant, j’aurai tout donné pour elle.
De toute façon c’est dans ma nature, je n’y peux rien. Il faut que je me dévoue, c’est inscrit en moi. Je n’existe que lorsque je suis utile. Je ne me peux pas m’en empêcher. Les gens me définissent toujours par ce critère. Le mot qui me défini le mieux c’est : dévoué. Voila, je suis un être dévoué. Parfois cela m’attire des ennuis, on trouve que j’en fais trop et on me rejette. Je ne supporte pas que l’on me rejette. Le moindre signe d’affection et me voila sur le pied de guerre prêt à déplacer des montagnes. Un jour si je peux, j’y réfléchirai ; pourquoi je suis comme ça ? Qu’est ce qui me pousse à ce point à me donner aux autres ?
Avec elle, si tant est que ce soit possible, c’était encore pire.
Mais voila. Elle n’a pas voulu de moi.
C’est lui qu’elle a choisi. Lui et lui seul.
Lui que je ressentais être mon meilleur ami. Mon confident. Celui qui m’accompagnait depuis toujours. Celui qui habite dans le moindre de mes souvenirs. Comment est ce possible ? Comment avait il pu me trahir ? Il a balayé toutes ces années de complicité, comme ça, sans émotion. Il m’a mis sur le banc de touche. Pffuit ! Envolée notre amitié, détruite à jamais notre histoire. Aujourd’hui, je ne ressentais pas l’ombre d’un sentiment de rancoeur, je le comprenais. Elle valait le prix de notre amitié et bien plus.
Je n’oublierai jamais ce soir d’été ou je les ai vu s’éloigner, ensemble. Ne me laissant que ses odeurs de fleur d'oranger, de lavande, citron et jacinthe, mélangée à celles du pot d’échappement qui s’éloignait.
Le comble de la tristesse, c’est que je ne pu même pas pleurer.
Et je me suis retrouvé seul, comme ça d’un seul coup. Mon ami, mon seul ami m’avait abandonné. Je ne m’étais jamais retrouvé seul. C’est terrible la solitude, elle vous envahie et vous colle à la peau, et j’ignorai que ce pouvait être un sentiment instantané, un coup de tonnerre. Je me mis à courir de toutes mes forces pour échapper à cette inconnue. J’ai couru à travers le dédale de rues, je n’avais qu’une seule idée : Les rattraper, les convaincre. Je peux être vraiment convainquant parfois. Hélas, cela n’avait aucun sens. Même si je me targue souvent d’être un bon coureur, je ne faisais pas le poids. Alors, après avoir repris mon souffle, j’ai marché, marché, marché, je ne voulais plus rien ressentir. Je fi souffrir mon corps, jusqu’à ce que le moindre de mes muscles soit tétanisés par la douleur. Épuisé, j’ai laissé le sommeil me réconforter, douillettement allongé sur un carré d’herbe, dans le square.
Les jours et les mois qui ont suivi, je n’avais plus goût à rien. J’étais devenu transparent. Inexistant, personne ne m’adressait plus la parole, j’étais même devenu indésirable. La descente aux enfers fût inexorable. Une mécanique bien huilée pareil à celle d’une montre. Je n’avais pas le goût de lutter. Je me laissé malmener par mon existence. Puis instinctivement, peut être pour dire adieu, j’entrai dans ce hall de gare. Celui où tout à commencé.
Je reprenais petit à petit mes esprits. Combien de temps s’était écoulé depuis que j’avais pénétré dans ma boîte de pandore ? Je l’ignorai. J’observai les paquets de gens qui m’entouraient. Ils étaient différents. La clarté aussi. Les lumières du plafonnier s’étaient
allumés. Ce devait être la fin de la journée. Ici une famille, visiblement en partance pour les sports d’hivers. Les adultes écrasés par le matériel, reliés par une carte routière déployée. Leurs enfants empaquetés dans leurs combinaisons, avachis sur le sol, les yeux happés par la lumière bleutée de leur écran à cristaux liquides, laissant le champ libre aux désaccords parentaux. Là un couple de personnes âgées, figé, presque momifié. Je suis presque sur qu’ils étaient déjà présent à mon arrivé. Je les détaillai tous les uns après les autres, ils étaient tous si différents, tous uniques, et pourtant ils avaient tous en commun une chose. Une chose qu’ils ignoraient : Moi, mais surtout l’indifférence qu’ils me portaient.
Là, à cet instant précis, je ne pouvais plus, je ne voulais plus rester seul. Je devais faire quelque chose. Mais quoi ? Je devais lutter, me débattre, m’extirper de cette pesante inexistence. Je n’étais pas fait pour vivre seul. Je n’avais de raison d’être, que si je comptai pour quelqu’un. Il fallait à tout prix que tout cela cesse. Je voulais à nouveau connaitre le bonheur d’être aimé, de me rendre utile, de vivre. Mais que faire ? Je songeai un instant à crier, mais je me dis que j’allai effrayer tout le monde. Partir à leur recherche alors ? Inutile. Non pas que cela fût impossible (on retrouve toujours quelqu’un quand on le cherche vraiment). Mais à quoi bon ? Il fallait à tout prix que je fasse quelque chose, une idée bon sang ! Juste une idée !
C’est à ce moment là qu’elle s’est montrée. Toute petite, au début, indéfinissable, à peine palpable, puis au fur et à mesure que je réfléchissais elle se dessinait pour se faire plus précise. Je la tenais mon idée. Mais oui, bien sur ! J’étais tellement occuper à me lamenter sur mon propre sort que je ne songeai même pas à mon meilleur atout. Tout à coup tout me paraissait plus léger, même les aiguilles semblaient s’emballer, sautillant de minutes en minutes. Mais je ne devais pas me précipiter. Non cela, serait stupide de tout gâcher bêtement. J’avais jusque là échappé à la prison, il serait idiot qu’un faux pas m’y expédie.
Alors avec soin, je marchai lentement dans la pièce, le plus tranquillement possible pour ne pas éveiller l’attention, pas tout de suite. Puis je m’allongeais sur le sol, la tête sur le côté couché sur mon oreille. Je plaçai mon regard dans le vague, et je lançai un grand soupir.
Je fus désespéré dans un premier temps, prêt à abandonner car rien ne se produisait. L’indifférence générale. Quant une petite fille, à l’odeur sucrée et au regard profond, tirant sa mère par le bras en ma direction, lança à mon encontre de sa voix flutée mais déterminé, La phrase salvatrice :
« Oh, regarde maman le pauvre chien il a l’air abandonné, on le prend ! »
Annotations
Versions