Chapitre 29 : Le poids de ses mots
Alors que j’attends vivement qu’il prononce les premiers mots de notre « pseudo conversation », je me dis que je suis vraiment trop faible à son sujet. Dire que je ne l’aime plus serait mentir, néanmoins, je me dois de ne pas céder. Il faut que je me concentre sur cette règle que je me suis imposée et que je respecte depuis plusieurs années. Et puis, si j’ai fui Gabin, ce n’est pas pour me jeter dans les bras de Daegan ! Surtout après les insultes médiocres qu’il a eues envers ma personne…
Mais, d’un autre côté, j’ai bien envie de vérifier si la théorie de Gabin tient debout. Est-ce que Deagan cachait ses sentiments pour moi avec d’autres filles ? L’avenir me le dira. Du moins, je l’espère.
Quoi qu’il en soit, personne ne parle à l’autre bout du fils. Les sourcils froncés, je décolle le portable de mon oreille pour vérifier que l’appel court toujours. Ce qui est le cas. Le compteur affiche 02,27 minutes... de silence. Pourquoi je n’entends rien ? J’inspecte l’écran, voir si je n’ai pas mis malencontreusement Daegan en attente, mais non. Alors, curieuse de nature et surtout, sans réfléchir, je demande :
— Heu… Y’a quelqu’un là-dedans ?
Il me semble entendre une sorte de râle avant que ces mots ne résonnent en moi tel un électrochoc :
— Ta voix est toujours aussi belle, Alicia. On dirait un ange, elle me cajole, elle m’enchante, elle me séduit toujours autant…
Ces paroles sont si belles ! Si plaisante à entendre. Mais il faut que je fasse attention à ces dires. Je suis tellement sous le charme de ce mec qu’il serait capable de me faire rappliquer chez lui rien qu’avec ses compliments à la con. Ce qui n’est pas le but, évidement, mais… nous sommes juste deux adultes qui discutent au téléphone après tout, il ne peut rien m’arriver de spécial, si ce n’est mon coeur qui bat avec frénésie, mes mains qui transpirent comme ce n’est pas permis et ce putain de sourire niais sur mon visage qui ne fait que grandir.
Par ailleurs, on n’a qu’une vie et il faut que je saisisse cette chance de comprendre le passé alors, je me mets à l’attaque et réplique :
— Merci. Ta voix n’est pas mal non plus…
Daegan se met à rire franchement à l’autre bout du fils et son hilarité me fait glousser à mon tour.
— Je suppose que tu as lu mon petit mot ? demande-t-il à brûle-pourpoint après un court instant de silence agréable.
— Forcément… Comment j’aurai eu ton numéro sinon ? Je vois que tu n’as toujours pas hérité du don de réflexion, dis-je amusée.
— Ouais, en fait, je suis con, mais ça, tu le sais déjà, commence-t-il avant de rire à nouveau. J’ai parlé sans réfléchir, comme souvent lorsque je pense à toi, ou lorsque tu es près de moi, termine-t-il en mode loveur.
Je ne sais quoi répondre alors je me tais. J’attends qu’il engage la suite de la conversation. S’il veut la poursuivre, évidemment. Mais tandis que les secondes s’égrainent dans un silence morbide, je décide de briser la glace et de lui tirer les vers du nez à ma manière. Le fait est que sur son dernier mot, il voulait me parler de certaines choses, c’est l’occasion ou jamais, il faut qu’il saisisse sa chance, car il n’en aura pas d’autre…
— Alors… Tu voulais m’expliquer quoi au juste, Daegan ? Je suis là, tout ouïe, je t’écoute attentivement…
— Roh, tu es dure avec moi. Je pensais qu’on pourrait parler de tout ça de vive voix !
— Eh bien… Je te signale que là, tout de suite, nous discutons de vive voix ! Alors, vas-y, je t’écoute !
— Bon, très bien… Putain ! J’hallucine comment tu réussis à me tenir par les couilles ! C’est abuser !
A ces mots, une image érotique se forme dans ma tête, puis c’est tout un film que j’imagine et je dois bien avouer que ce spectacle est plus que tentant. Et puis, dans un sens, cette affirmation me donne de l’espoir. J’aime espérer que Gabin avait raison à son sujet et qu’il était bel et bien amoureux de moi à l’époque. Apparemment, d’après ses dires, je le tiens par les couilles. Traduction féminine : j’ai une certaine emprise sur lui, sur ses agissements, ses paroles…
— L’image est dégueulasse, je réplique pour faire retomber la pression, mais Daegan n’est pas de cet avis.
— L’image est sublime et putain de bandante tu veux dire !
— Arrête, gros dégueu ! Je ne suis pas au téléphone avec toi pour ça… Je peux très bien raccrocher et ne jamais écouter ce que tu as à me dire. Alors, soit tu te lances fissa, soit je te dis bye bye… Fais ton choix et vite, j’ai pas toute l’après-midi à te consacrer…
C’est un mensonge évidemment, je n’ai ni le courage, ni le désir de faire quoi que ce soit aujourd’hui. Juste une envie de flemmarder, de m’empiffrer de café sucré et pourquoi pas de lire quelques pages d’un nouveau roman ? Mais ce que je désire le plus pour l’instant, c’est que ce débile sur patte se mette enfin à me dire ce que je veux entendre !
— Bon d’accord, mais tu me promet de ne pas m’interrompre ?
— Je vais essayer… dis-je, non convaincue d’être capable de me taire plus de cinq minutes.
— Tu aurais dû être avocate, comme ta sœur. Tu sais si bien tourner les choses à ta sauce, poupée…
— Je sais faire plein d’autres choses, mais on n’en est pas là… J’attends…
Je sais qu’il tente de gagner du temps. Peut-être ne sait-il pas par où commencer ? Ou bien qu’il n’est pas très à l’aise avec le sujet ? Je ne saurais le dire, en revanche, là, il me gave un peu à tourner autour du pot comme ça. J’ai tellement envie de savoir ses secrets que sans le vouloir, je suis en train de me ronger les ongles jusqu’à la moelle…
— Je… Putain ! Tu me déstabilises !
— Daegan, tu me fais perdre mon temps là. C’est la dernière fois que je te le dis. Balance tes sentiments ou…
Je n’ai même pas le temps de finir ma phrase qu’il confirme :
— Poupée, tu te souviens lorsqu’on était au lycée, j’avais toujours les yeux rivés sur toi et… j’essayais par tous les moyens de faire en sorte que tu me remarques en faisant des trucs de merde à la con. Comme la fois où, en sport, je t’ai foutu le ballon dans la tronche.
— Je m’en souviens très bien ! je riposte en râlant. Tu es venu me caresser le visage comme si j’étais un petit animal en détresse juste après ! Et en plus, j’ai eu la joue et le nez piquant durant les trois heures de math, tu m’étonnes que je m’en rappelle !
— Eh bien aujourd’hui je m’en excuse, mais… j’avais une bonne raison de le faire… C’était débile quand j’y repense, mais grâce à ça, j’ai pu sentir le contact de ta peau pour la première fois…
Cette révélation, bien que ce soit un assez mauvais souvenir, me surprend plus que je n’oserai l’avouer. Mais je me garde de lui révélé. À l’inverse, j’attends la suite de ces aveux avec impatience.
— Autre chose à signaler ?
— Oui, une liste longue comme le bras en fait ! Tu te souviens aussi de mon pote, Mathieu ? Le grand tout sec qui voulait sortir avec toi ?
— Le boutonneux ?
— Lui-même, oui ! Eh bien, la fois où il est venu en cours avec le bras cassé, c’était moi…
— Tu l’as frappé ? Pourquoi ?
— Parce qu’il avait eu la mauvaise idée de penser se mettre en couple avec celle que j’aimais... que j’aime toujours…
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