02 - Une réalité terrible - partie 1
Se réveiller tranquillement avec les doux rayons du soleil était un paisible plaisir.
Ce ne fut cependant pas si calme le premier matin. Trouvant que j’avais assez dormi, Riza me sortit de mon sommeil à l’aide d’un fond d’eau jeter au visage. Mes réflexes prirent immédiatement le pas. Je me redressai et me confondis en excuses pour ma mauvaise conduite. Ce n’est qu’après avoir ouvert les yeux que je soufflai, rassurée. Bien évidemment, il n’en fallait pas plus pour Riza et son humour facile, qui en profita pour se moquer de ma réaction tout au long de la journée.
Chaque jour de marche, elle me faisait porter la totalité de son attirail, à l’exception des armes qu’elle préférait continuellement avoir à portée de main. Je fus surpris qu’elle se baladât depuis tant de temps avec un tel poids sur le dos, bien que, d’après elle, il s’agissait du strict minimum que possédait toute bonne aventurière. Quand bien même elle ne m’avait pas dit qu’elle acceptait de m’entrainer, je pris ce travail comme tel. Je m’efforçais de suivre son rythme de marche pour subir le moins de raillerie possible. Et je découvrais qu’elle aimait en lancer beaucoup.
Seulement, mon corps ne semblait pas aussi volontaire que moi. Je remarquais après plusieurs jours que mon endurance s’amenuisait toujours plus rapidement, et que ma tête me tournait toujours plus après le moindre effort.
Nous nous trouvions en plein après-midi lorsque je tombai à genoux sous le poids de mon paquetage, tenant à peine d’une main contre un tronc voisin. Le vacarme causé fit soupirer Riza, loin devant moi. Elle tourna les talons, se planta devant moi et tapa du bout du pied, pendant que j’haletais. Elle attendait que je me relevasse, mais mon corps, bouillant, s’y refusa. Pire encore, mes pensées s’envolèrent un court instant, me laissant prononcer des inepties :
– Juste un repos, maîtresse, et je suis vôtre.
Cela aura au moins eu l’effet bénéfique de faire rire ma compère. Elle me releva sans mal et me tapota gentiment sur la tête, avant de me donner un peu d’eau à boire. Je m’excusai pour mon égarement stupide.
Elle m’interrompit brutalement en m’attrapant le museau. Je la vis poser lentement l’index devant sa bouche, l’expression plus sérieuse que jamais et le regard droit vers une petite éclaircit entre les arbres. Cependant, ce n’étais pas la lumière du jour qui faisait briller l’endroit, mais une brèche, flottant à mi-hauteur, comme si un miroir brisée se trouvait là, invisible. Et là où une brèche s’ouvrait, un monstre apparaissait. Le devoir se rappelait à l’aventurière.
Elle me rassit sans manière, et me fit bien comprendre de ne plus faire le moindre bruit. Recroquevillée contre l’arbre, je sentis une forte angoisse grandir en moi. La peur et le stress évaporèrent toute la brume de mon esprit, à tel point que bien des idées sombres se bousculèrent dans ma tête. Je n’avais jamais vu les monstres que de loin, dans la sécurité de ma maison, et seulement en de très exceptionnelles occasions. Savoir qu’il y en avait un peut-être juste à côté était bien différent.
Riza s’avança prudemment vers la lumière, épée et bouclier en main. Tout en elle, de sa posture à sa façon de marcher, de son regard alerte à sa respiration contrôlée, reflétait l’expérience de ses aventures passées. Chacun de ses mouvements lui était utile. Elle ne tremblait pas. Elle n’hésitait pas.
Je l’observais, presque hypnotisée. D’une étrange façon, son assurance fut communicative. Mon cœur cessa de battre à toute allure, je sentis même mon peu de forces me revenir. Je me redressai silencieusement. Inconsciemment, j’avais attrapé la première chose qui dépassait du barda de mon dos, et tentais d’imiter ses gestes guerriers.
Ma gardienne arriva enfin aux abords de la faille, et examina avec dégoût la substance noire et visqueuse qui en coulait. Une telle quantité signifiait clairement que la bête était toujours présente, et pas bien loin.
Une brise se leva. L’herbe dansa, les branches craquèrent et les feuilles vacillèrent. La lumière s’engouffrait au travers de la canopée, miroitant dans l’ombre de la forêt comme au fond d’un lac. Se redressant à peine, Riza tourna soudainement la tête et lança un poignard dans l’obscurité.
Un grognement se fit entendre. En rien à un râle de douleur, plutôt à un cri d’énervement. Sans émettre un bruit, ni faire bouger la moindre brindille, le monstre s’élança d’un bond bien trop léger pour sa taille, toutes griffes devant. Il fut accueilli par le bouclier de Riza qui, non contente d’arrêter l’attaque, le renvoya même crouler contre un arbre. Il cracha un peu de sang noir, se redressa de façon peu naturelle, et reprit son offensive.
Il ne semblait pas m’avoir remarqué, trop concentrer sur sa proie. Moi, par contre, je pouvais le contempler dans toute sa laideur. Sa peau sans fourrure était d’une pâleur sale marbrée d’un noir profond. Ses blessures étaient si grosses, ouvertes et purulentes qu’il ne devrait pas pouvoir se tenir debout, pas plus qu’il ne devrait être en vie. Je pouvais même voir ses os par endroit. Il faisait largement la même taille qu’un dragon, nous dépassant toutes deux de plusieurs têtes, mais quelque chose dans ses proportions n’allait pas. Je compris lorsque je vis que ses pattes inférieures ne correspondaient pas à ses supérieures. Son buste décharné se trouvait soulevé par de fines pattes de biches, tandis que ses bras se finissaient par des mains griffues et pataudes d’ours. Son museau tranché à ras ne m’aida pas à comprendre de quelle espèce était sa tête, je supposais toutefois une ressemblance avec un taureau, de par les trous d’où aurait dû sortir des cornes. Enfin ses orbites n’étaient remplis que par deux yeux complètement blanc, sans iris ni pupille.
Il attaquait encore et encore. Il attaquait inlassablement, qu’importe le nombre de fois que Riza le blessait ou le repoussait. Et elle le faisait bien. Aucun de ses coups ne s’approchait d’elle, de loin ; tous ses coups le déchiraient, profondément. Il essaya un coup de pied, elle lui fit perdre l’équilibre. Il lança son poing, elle entailla son bras. Pour chaque attaque, il y avait un contre ; pour chaque ouverture, il y avait une touche.
Puis vint une erreur. Mon erreur. J’étais fasciner par leurs pas de danse, à tel point que, en suivant leur déplacement, je m’étais approchée sans m’en rendre compte, presque comme une curiosité morbide. Riza l’enchaina de coups, planta son épée dans son torse, puis la décoinça d’un grand coup de pied. L’hideuse bête tituba, tenta de se rattraper du bras qui ne lui avait pas encore été sectionné, et vint s’écraser juste devant moi. Je fus surprise, bien sûr, et recula subitement. Inévitablement, le buisson que j’écrasai craqua. Le monstre tourna ses yeux vides vers moi. Il ne prit pas le temps de se redresser qu’il me fonça dessus, grognant, bavant et fulminant.
J’étais tétanisée. J’entendis vaguement Riza crier quelque chose. Peut-être essayait-elle de détourner son attention, peut-être essayait-elle de me donner des instructions, mais je n’entendis qu’un bruit de fond. Il était sur moi. Il leva sa main et profita de son élan pour frapper, fort. Si un réflexe ne m’avait gagnée, ma tête ne serait plus qu’une bouillie loin de mon corps. Heureusement, je mis les mains devant moi, et le gros poêlon que je maniais depuis un moment me couvrit. Le choc me décolla malgré tout du sol. Je fini par un heurt violent contre un arbre, à mi-hauteur, puis une chute lourde à plat ventre. Je n’allais certainement pas retrouver des idées claires de cette façon.
Déboussolée, je n’arrivais plus à voir, pendant qu’il s’approchait de moi, victorieux. Malgré son poids certain, ses pas ne faisaient pas le moindre bruit. Seul son grognement permanent m’indiquait sa proximité.
Il leva la jambe, sur le point d’écraser mon crâne, quand il fut bousculé par une Riza jetée de tout son long. Ils finirent l’un sur l’autre, au déplaisir des deux. Il se débattit comme une tortue sur le dos ; elle eut des haut-le-cœur allongée sur cette chaire pourrissante. Le monstre la délogea avec la même brutalité qu’il m’avait montrée, néanmoins, la guerrière se récupéra évidemment bien mieux que moi.
Dans l’action, malheureusement, elle perdit son arme. La bête la frappa, encore et encore, dans un sens puis dans un autre. Elle se soutint d’abord débout, encaissant dans le bouclier qui s’écharpait progressivement, puis dut poser un genou pour résister aux assauts incessants. Elle fatiguait.
J’étais toujours sonnée, incapable de voir ni d’entendre proprement. Pourtant, dans le flou de ma vision, une lueur brillante attira mon regard. J’avançai, cahin-caha, à quatre pattes, vers celui-ci. Je tâtonnai jusqu’à sentir un éclat froid sous ma paume. Je l’attrapai maladroitement, criai quelque chose dont je n’étais pas sûre, et le balançai de mes maigres forces vers eux.
Ma petite action eut tout de même son effet. L’attention du monstre se détourna un très court instant de Riza, mais c’est tout ce qu’il fallait à une aventurière chevronnée pour reprendre le dessus. Moins sous pression, elle put prendre plusieurs dagues de lancée, et concentra son attaque vers la gorge de l’horrible assaillant. Un couteau le fit tousser ; Il essaya de s’en défaire sans succès. Deux couteaux le firent chanceler ; La bourbe noire coulait maintenant à flot. Trois couteaux le firent tomber.
Cette fois-ci, enfin triomphante, Riza se dressa devant la bête agonisante, leva sa hache de guerre bien haut, et l’abattit d’un coup dur. Les os craquèrent et la tête de la créature se détacha.
Elle ne bougea plus. Aucun son ne se fit entendre. Pendant un instant, le temps lui-même semblait s’être arrêté. Elle rompit ensuite ce moment de flottement d’une façon bien à elle : elle lui cracha dessus avant de l’incendier de juron. Elle se détendit, son corps changeant complètement de posture. Elle jeta ses armes au sol, leva les bras en l’air et cria joyeusement.
Laborieusement, je réussi à m’asseoir. Le pire était passé, son contrecoup, en revanche, était bien présent. Riza s’approcha de moi, souriante. Elle parla, mais je n’en saisie pas le sens. La fatigue et le sommeil m’appelaient. Une fois de plus, je perdis connaissance.
Je sentis l’odeur de viande grillée. Mère avait toujours su la rendre juteuse et croustillante en même temps. Et elle savait que je me lèverais toujours. Le son de la friture chaude grésillant, le son des ustensiles s’entrechoquant, c’était le meilleur réveil au monde. Je soulevai ma couverture et sautai hors de mon lit. Je me précipitai gaiement vers la cuisine, ouvrit la porte et trébuchai en la passant. Je tombai à genoux dans les cendres. La maison était en ruine et en feu, une chaine liait mon cou au mur. J’étais défaite, le museau au sol. Deux pattes entrèrent dans mon champ de vision. A ma surprise, ces pieds n’étaient pas ceux d’une louve, mais d’une panda. Je redressai lentement la tête, Riza s’accroupit devant moi. Elle parla. Je n’entendis rien, mais je savais qu’elle disait la vérité. Elle me rassurait dans ma condition. Elle passa une main chaleureuse sur ma joue, puis me tapota sur la tête.
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