Chapitre 21
Cinq jours durant, « sa » main avait glissé dans ma boîte aux lettres, une enveloppe sur laquelle mon nom et mon prénom, avaient été rédigés de « sa » calligraphie ronde et posée. Chacune d’entre elles contenait le fragment d’une photo, soigneusement découpé, la représentant nue, debout devant un miroir. Sur la première j’avais pu admirer « ses » jambes qui n’étaient ni des baguettes de flamant rose, ni des poteaux électriques, mais deux membres sensuellement galbés aux muscles fermes, que le contact avec ma main, les caressant de bas en haut, aurait provoqué quelques frissons non négligeables dans mon bas ventre. Au dos, elle avait écrit : « Mes jambes. » Signé : « Roxane ». Sur la deuxième, (sans conteste la plus troublante), « son » sexe nu, occupait toute la taille du fragment. La photo était tellement nette que je pouvais voir des gouttelettes perler le long des poils noirs et touffus (Etait ce de l’eau ?... De la cyprine ?) Sur le verso, « elle » me précisait, qu’il mouillait pour moi. Sur la troisième, je pouvais contempler « ses » hanches larges et rondes et son ventre, avec le mot suivant : « Mon ventre que ta semence voudrait tant arroser mais jamais féconder. ». En ramassant la quatrième enveloppe, je savais d’avance la partie de son corps qu’elle aurait découpée afin de la soumettre à l’avidité de mes yeux. Ses seins splendides, étaient gonflés et fermes, ses mamelons durcis pointaient au milieu de ses aréoles bien définies et sensuellement proéminentes. Il m’avait fallu respirer bien profondément en contemplant la plus belle partie de son anatomie. Au dos, « elle » avait écrit : « Goûte les tant que tu voudras, jamais rien n’en sortira. ». Enfin, sur la dernière, où j’espérais apercevoir son visage aussi nettement que les autres parties de son corps, la réverbération du flash devant la glace où « « elle » s’était photographiée, avait masqué ses traits, et je ne pouvais voir qu’une masse de cheveux à la couleur indéfinissable. Derrière, « elle » avait rédigé un mot qui m’avait glacé le sang : « Celui qui me voit, ne pourra plus vivre (Exode 33 :20) ». Immédiatement après, on sonnait à ma porte. Je l’ai ouverte et j’ai vu, pointé sur moi, le canon d’un pistolet, suivi de deux détonations. Puis un chien s’est mis à aboyer très fort et je me suis réveillé en sueur, le cœur palpitant. J’ai passé ma main sur mon cœur et sur mon ventre, pas de sang qui giclait à flots. J’avais fait un cauchemar et je me suis demandé si cette fois-ci encore, j’avais hurlé son nom, et si Julien et Norma m’avaient entendu.
Ils avaient tenu à ce que je reste dîner ; puis, ayant remarqué que mon taux d’alcoolémie était un peu trop élevé pour quelqu’un qui aurait dû conduire de nuit sur des routes en lacet, risquant de surcroît de rencontrer une patrouille de gendarmes, ils ont insisté pour que je reste dormir également.
Ils m’avaient logé dans la chambre d’amis qui se trouvait tout au bout de la maison, dont la porte, donnait sur la salle de séjour, qu’il fallait traverser à moitié pour trouver, à gauche, l’entrée de la cuisine.
Il était près de sept heures lorsque j’ai mis pied à terre. Les rayons de soleil passaient à travers le rideau que je n’avais pas voulu fermer entièrement. J’ai ouvert la porte. La pièce était vide et j’entendais en provenance de la cuisine des bruits me laissant supposer que Norma ou Julien, m’avaient devancé pour le petit déjeuner. Un reniflement et une façon particulière de mâcher m’ont vite renseigné de la présence de mon condisciple auteur de BD
« Bien dormi ? M’a-t-il demandé.
— Très bien… jusqu’à ce qu’un chien se mette à aboyer après avoir entendu deux détonations. »
Il a écarquillé les yeux :
« J’ai entendu le clébard, mais pas les détonations ! »
J’ai haussé les épaules :
« Alors c’était dans mon rêve. »
Il a posé devant moi la tasse de café qu’il venait de me préparer puis, lorsque les deux tartines ont jailli du grillé pain, il les a posées devant moi, en m’avançant le beurre, le miel et trois pots de confiture : abricots, framboises, figues.
« On te dézinguait, ou c’est toi qui tirais ?
— On me dézinguait. On a sonné à ma porte, j’ai ouvert et ‘’boum’’ deux coups de feu dans le buffet. Quand je me suis réveillé, je me suis tâté pour voir s’il n’y avait pas de sang qui giclait. »
Il a hoché la tête :
« Tu meurs souvent, dans tes rêves ?
— Non. D’habitude ce sont les autres. Mais celui-ci, fera un beau sujet de roman.
— Veinard. Voilà que tu finis un bouquin, et que tu en as déjà un nouveau en tête. Moi, après une BD, il me faut au moins six mois pour trouver un nouveau sujet.
— Moi aussi, vieux ! C’est la première fois que ça m’arrive ! Et je peux te garantir qu’il va faire frissonner dans les chaumières… et pas seulement de froid ! »
Il a beurré une tranche de pain à laquelle il a ajouté une couche de miel liquide :
« Je peux en savoir plus, ou bien c’est top-secret ? »
J’ai fait de même avec ma tartine, je l’ai trempée dans mon café, avale une grosse bouchée, et je le lui ai raconté en omettant toutefois, de lui donner le nom de l’expédi-trice. Il a levé le pouce, et j’ai remercié Roxane de m’avoir inspiré en lui promettant que la première chose que je ferais en rentrant chez moi, c’est de mettre fin à sa relégation de son cadeau, et lui rendre la place qui lui était due.
Norma était encore dans la chambre, en séance câlins avec Tatiana. Il en a profité pour me demander des nouvelles de ma collection. (Julien faisait partie des intimes, au même titre que Maïa Ludwig et Lambert)
« Elle n’existe plus. Une tornade s’est abattue dessus. »
Ses yeux se sont remplis de points d’interrogation. En quelques mots choisis, je lui ai tout dit.
« Heureusement, un seul a échappé au massacre.
— Lequel ?
— Celui d’une illustre inconnue qui s’est fait passer pour ma cousine et se prénomme Roxane.
— Mais encore ? »
J’ai levé les bras au ciel :
« Mis à part la description faite par ma voisine, je ne peux pas t’en dire davantage. Je ne connais que deux femmes qui portent ce prénom et aucune ne correspond. »
Il a reniflé :
« Et ce physique, ne te dit rien du tout.
— Avec des seins pareils, non, absolument rien. » Je lui ai fait un clin d’œil : « Je ne l’aurais pas oubliée.
— Parce qu’il est vraiment beau ?
— Plus que beau. »
Nous sommes restes quelques instants en silence, à tremper nos tartines à les manger, à boire des gorgées de café, dans cette cuisine silencieuse. Après un énième reniflement, il m’a dit :
« Et si elle était une écrivaine en herbe ? Imagine : elle a écrit un roman et vou-drait te le faire lire pour avoir ton avis.
— Dans ce cas, elle m’aurait offert le manuscrit.
— Elle essaie d’abord de t’amadouer avec ce cadeau d’anniversaire, qu’elle savait que tu apprécierais.
— Ça fait plus de deux semaines que j’ai reçu le sein. Elle ne s’est toujours pas manifestée. Ni de visu, ni de scripta.
— Suppose qu’elle soit en train de le remanier. »
J’ai plongé le reste de ma tartine dans le café et je l’ai avalée :
« Un peu tiré par les cheveux.
— Comme son histoire de se faire passer pour ta cousine.
— En transit à Nice, de surcroît. Ce qui veut dire : ‘’Je n’ai pas le temps d’attendre son retour, je dois reprendre un avion, alors soyez aimable de le lui remettre de ma part.’’ »
J’ai levé les yeux au ciel et, paraphrasant Virgile, j’ai déclamé :
« Timeo mulieres et dona ferentes. »
Il s’est mis à rire :
« Toi, craindre les femmes ?
— Tiens donc ! Lui ai-je répliqué d’un ton faussement sérieux. Si cette Attila en jupon s’en était prise à mes bourses ? »
Là, nous avons éclaté de rire. La porte s’est ouverte. Norma est entrée. Tatiana dans ses bras qui nous a regardés nous esclaffer, de ses grands yeux purs et candides ; puis elle s’y est mise aussi. Le rire étant hautement contagieux, sa maman nous a suivis. Pour ne pas la laisser dans l’ignorance, nous lui avons raconté le motif de ces éclats de rire. (Ma collection, m’avait confié Julien sous le sceau du secret, lui avait donné l’idée de lui offrir le moulage du sien… mais il n’était réservé qu’à leurs yeux !).
Après m’avoir fait la bise et m’avoir demandé si j’avais bien dormi, (Elle aussi elle a parlé du chien, mais pas des deux détonations), elle a confié la petite à son père, qui lui a fait pléthore de baisers, et s’est mise à préparer son thé et, se retournant vers moi :
« Quel est ton sentiment, ta conviction profonde quant à cette Roxane ? Que penses-tu d’elle ? Enfin, je veux dire : de son geste, de ce cadeau qu’elle t’a fait. »
J’ai pris une grande respiration :
« Que penser, d’elle ? Une admiratrice qui connaissant mes goûts a voulu me faire plaisir en m’offrant le moulage de son sein probablement pour mes trente-cinq ans. D’ailleurs, elle n’est pas la seule. Sur les quatorze moulages reçus depuis la sortie de ‘’Seins au formol’’, deux étaient des cadeaux pour mon anniversaire.
— Que tu as reçus directement chez toi ?
— Non. Via ma maison d’éditions. Mon adresse n’apparaît nulle part.
— Or, cette Roxane, la connaît.
— Oui. Tout le monde connaît l’adresse de Stephen King qui est pourtant mille fois plus célèbre et connu que moi.
— En parlant de lui. Je crois savoir que c’est l’un de tes auteurs préférés ?
— C’est cela.
— Si tu étais dans sa ville et que tu voulais lui faire un cadeau, comment tu t’y prendrais ?
— Le plus simplement du monde, en sonnant à sa porte.
— Ce cadeau, tu voudrais le lui remettre en mains propres.
— Tout à fait.
— Si on te disait qu’il est parti en voyage ?
— Soit, j’attends son retour et je repasse, soit, malheureusement, je n’ai pas le temps et…
— Et ? »
J’ai réfléchi quelques instants puis :
« Je demanderais à son voisin, s’il pouvait le lui remettre à ma place. En lui expliquant qui je suis, où j’habite, en plus je lui écrirais une longue lettre que je mettrais avec le cadeau. Cela me paraît plus correct … Enfin, tout le contraire de ce qu’a fait ma soi-disant cousine.
— Exactement. » Elle m’a regardé fixement dans les yeux : « Alors, pourquoi avoir agi de la sorte ? Donner deux fausses excuses à ta voisine – parce qu’entre nous, le coup du transit à Nice je n’y crois guère.
Si la pièce dans laquelle nous nous trouvions, était loin d’avoir l’austérité et la froideur d’une salle d’interrogatoire d’un commissariat, la façon dont Norma me posait ces questions, directes, précises, sans fioritures, avec ses yeux plantés dans les miens dont je n’avais pas vu une seule fois les paupières ciller, me donnait l’impression de me trouver face à une policière. Ce n’est pas pour rien qu’elle était la fille d’un des plus grands commissaires divisionnaires de France. Son papa avait dû lui apprendre cet art, ainsi que la façon de regarder son interlocuteur de telle manière que, même s’il était victime, il ne se sentît pas moins quelque peu coupable. J’étais parfaitement conscient qu’en agissant de la sorte, elle faisait une grande partie du travail que j’aurais dû effectuer moi-même. Prendre mon carnet et y inscrire et les questions et les réponses, au lieu de me consacrer uniquement à la recherche de cette mystérieuse donatrice. Et tout en ignorant où elle voulait en venir, je savais que le résultat ne serait pas vain.
J’ai baissé la tête :
« Je t’avoue que je n’en sais rien, Norma. Peut-être qu’elle pensait que j’étais là.
— Comme toi pour Stephen King, pour reprendre l’exemple de tout à l’heure. Mais quand son voisin t’a dit qu’il n’était pas là, tu t’es fendu d’une belle et longue lettre.
— C’est vrai.
— J’ai sans doute une explication a lancé Julien, qui continuait à faire des papouilles à sa fille qui était aux anges. Si au dernier moment elle avait eu honte de te faire ce cadeau, et qu’elle n’ait pas voulu que tu saches qui elle était ? Cadeau d’une admiratrice anonyme, prénommée Roxane.
— Et que fais-tu de la description ? Lui ai-je demandé.
— A propos de cette description, a rebondi Norma. Tu es sûr que ça ne te dit rien du tout ? Même parmi les abonnées à ta page Facebook ?
— De ce côté-là, je suis catégorique. Par contre ce portrait, me dit et ne me dit rien du tout.
— Explique-toi mieux.
— Il ne me dit rien, parce que la femme à qui je pense, ne s’appelle pas Roxane et, question poitrine… elle en a un peu moins. Beaucoup moins même. Par contre, sans ces deux détails… (J’ai regardé Julien)… Ce pourrait être Joséphine, la femme de Lambert.
— Lambert Lazzari, notre condisciple ? A-t-il demandé.
— Tout à fait. »
Il a réfléchi un quart de seconde :
« Tu as raison. » Puis, il a presque hurlé : « Ça y est ! J’ai trouvé ! » La petite Tatiana apeurée, a fait un bond et s’est mise à pleurer : « Pardon, mon bébé. Papa n’est pas fâché. Il a juste trouvé une bonne idée. »
Mais malgré ses baisers, elle pleurnichait toujours. Norma a tendu ses bras :
« Passe la moi. Tu lui as fait peur. » Puis, l’ayant prise : « Papa t’a fait peur, hein mon bébé ? Il ne se rend pas compte de la puissance de sa voix. » Et la petite avait retrouvé le sourire : « Bon, dis-nous ce que tu viens de trouver.
— Bien, comme je te l’ai dit tout à l’heure, cette Roxane a dû écrire un livre et voudrait que tu le lises pour lui donner tes impressions. Sachant que le 2 c’était ton anniversaire, elle s’est fait mouler le sein mais au dernier moment elle a eu honte de te l’apporter. Admettons qu’elle et Joséphine se connaissent et qu’elle lui ait demandé de te le remettre à sa place.
— Et pourquoi ? A demandé Norma
— Parce que Joséphine le connaît. Elle pourrait lui dire quelque chose dans le style : ‘’C’est une amie à moi qui t’offre ce cadeau. Elle a écrit un livre, elle voudrait que tu le lises etc.’’ Ça passe mieux si ça vient d’une personne qu’on connaît.
— Alors, dans ce cas, a rétorqué la fille du commissaire, pourquoi n’a-t-elle pas attendu qu’Anicet soit rentré. »
— D’autant plus, ai-je ajouté dans un éclair, qu’elle savait que je n’étais pas là pendant ces quelques jours. Je l’avais dit à Lambert. »
Puis un éclair a luit dans ma tête :
« Bien sûr ! L’évidence même ! »
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