Chapitre 24

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 Francine m’avait offert un authentique pull Breton, bleu marine :

« Je sais que vous avez des origines et j’ai pensé que ça pouvait vous plaire. »

Sur une photo prises pour ses dix-huit ans, papa en portait un de la même couleur. Maïa en avait trois dont un rayé bleu et blanc qui était à maman. Ce cadeau, ne pouvait me faire plus plaisir. Je l’ai embrassée chaudement sur les joues. Je les ai faites entrer :

« Nous ne voulons pas vous déranger.

— Vous ne me dérangez absolument pas. Puis je vous servir quelque chose à boire ? »

Elles se sont regardées :

« Vous avez déjà dîné ? M’a demandé Francine.

— Pas encore. »

Elles se sont à nouveau regardées :

« On ne va pas rester trop longtemps, tout de même. »

J’ai sorti deux verres, ouvert un paquet de chips et un nouveau bocal d’olives. Je n’avais pas grand-chose comme boissons : du vin rosé, du whisky, du Campari. Elles ont opté pour la première.

Mordicus leur a fait des fêtes et leur a raconté qu’il avait bien été nourri.

« Je crois qu’il vous a bien adopté. »

Peut-être bien. En tout cas il semblait se ficher pas mal de ce que je pouvais lui raconter.

Tout de suite après avoir trinqué, la conversation est tombée sur ma « cousine » :

« Vous avez trouvé qui ça pouvait bien être ? »

J’ai menti :

« Oui. En fait il s’agissait bien d’une amie à moi en transit qui a voulu me jouer un tour. » Je me suis tourné vers sa fille : « Votre description m’a beaucoup aidé. »

Puis nous avons discuté à bâtons rompus : la Bretagne, Maïa et son expo à Berlin, mon dernier livre (J’avais dédicacé les deux exemplaires de Francine. Sa fille baissait la tête. Visiblement, je n’étais pas son auteur de chevet. On ne peut pas plaire à tout le monde…). Elles sont parties moins d’une heure après, et j’avais une faim de loup. Je me suis préparé des spaghettis à la Bolognaise comme pour un régiment (Je les ai tous avalés), suivis de deux cuisses de poulet plus une aile ; et, pour finir, les deux kiwis qui me restaient.

J’ai réintégré mon bureau avec la ferme résolution de n’en sortir que lorsque le visage de Rosy me rappellerait enfin où je l’avais vue. Il était inconcevable qu’à mon âge, aimant autant les femmes, je n’eusse pu conserver aucun souvenir de cette beauté. Dans l’enfer des séducteurs j’eusse été mis au ban et relégué dans le giron le plus profond sous les brimades de Casanova, Don Juan et autres confrères, collectionneurs d’aventures érotiques.

J’ai repris mon carnet et relu la dernière phrase écrite : « Et si c’était moi qui étais accompagné ? », soulignée deux fois et, dans ma tête, j’ai fait le recensement des maîtresses qui m’avaient accompagnées durant cette belle saison :

« CELIA : Non. Pas d’été avec elle. SOLEN : Eté 2014 au Portugal. MARTINE : Pas d’été avec elle. ARIANE : Pas d’été avec elle. TANIA : Eté 2011 à Nice… J’ai souligné deux fois, j’ai levé la tête et je nous ai revus sur les plages de Nice, de Beaulieu, d’Antibes et j’ai écrit : « Trop accaparé par ses formes, pour regarder ailleurs… MARIANNE : Pas d’été avec elle. AURORE : Eté 2010 en Grèce. »

Entre Anaïs et Géraldine, avec lesquelles je n’avais passé aucun été, j’’avais rencontré en juin 2009 une jolie Slave qui se prénommait Natalia. Pendant quinze jours nous sommes prélassés sur les plages de la rive droite du Paillon. (Après son départ, Maïa et moi sommes partis sur la côte Basque). J’ai souligné deux fois son prénom, mais aucun souvenir n’est remonté à la surface. Elle aussi m’accaparait trop pour que je pusse regarder ailleurs.

« Mais où donc ? Où donc ? »

Et plus je faisais des efforts et moins j’entrevoyais de souvenir. Les quelques instants passés en face d’elle au ‘’Cadratin’’ repassaient en boucle dans ma mémoire. Je revoyais les moindres détails de sa personne : la couleur, la longueur et le pli de ses cheveux, ses yeux, son nez, ses pommettes ses lèvres, même sa voix, son haleine et son parfum, ses mains carrées aux ongles courts chaudes et réconfortantes que j’eusse gardé indéfiniment dans les miennes si elle me les eût offertes, mais rien, absolument rien ne sautait aux yeux. Peut-être que je faisais fausse route et que, comme je le lui avais suggéré lors de notre dernière conversation, je ne l’avais jamais vue que dans ce couloir de métro, et mon esprit avait anticipé de quelques secondes cette rencontre. Mais alors, pourquoi Nice, l’été, la plage, moi accompagné d’une femme, semblaient remuer quelque chose dans les tréfonds de ma mémoire ?

J’avais la tête tellement pleine de Rosy, que j’avais l’impression qu’elle prenait toute la place de mon bureau. Partout où je posais mon regard je la voyais. Sur l’écran de mon ordinateur, sur ma chaîne stéréo, sur la petite table aux photos, sur les rayons de ma bibliothèque et même sur ma petite armoire où trônait le sein de Roxane. A un moment donné, j’ai eu l’idée de la déshabiller. Voir si sa nudité m’interpellerait enfin. Alors, comme si elle avait entendu, je l’ai vu apparaître là, debout devant moi, me souriant, me faisant « oui » de la tête et puis, tout doucement, ouvrir son manteau, l’enlever, le jeter par terre, déboutonner son chemisier, l’ôter et lui faire suivre la même direction que son manteau. Ainsi, en soutien-gorge, je pouvais admirer le renflement de ses seins que les bonnets ne cachaient pas (« Sois sage ô mon organe et tiens-toi plus tranquille… »). Elle a mis ses mains sur ses hanches et semblait me demander si elle était à mon goût… Dieu, il fallait que j’arrête ce fantasme, et je l’ai chassé comme on chasse une vilaine pensée. Celle que le confesseur de l’enfant de huit ans que j’étais, lorsque Papi et Mamie Lepervier me conduisaient à la messe de Saint Sauveur, me demandait de lui avouer :

« Dis-moi, Anicet, as-tu eu de mauvaises pensées durant cette semaine ? »

Si je lui avais dit la vérité, il aurait fait une attaque cardiaque, non sans d’abord avoir hurlé que j’étais un monstre, un pécheur, que je méritais l’enfer. Alors, je me gardais bien de lui dire que lors de mes nuits solitaires et tristes dans cette grande maison de l’île d’Yeu, je pensais à Maïa. Qu’elle dormait à côté de moi, que mes mains passaient et repassaient sur ses seins doux et parfumés, que mon index parfois titillait son téton durci, tandis que je sentais son sou souffle tiède sur ma nuque et ses baisers sur mes tempes. Elle était la maman dont j’avais besoin, ma protectrice, l’ange qui était près de moi et veillait sur mon sommeil. Alors, je mentais au curé. Non, je n’avais pas eu de mauvaises pensées. Mes nuits dans le lit de ma marraine ne regardaient personne d’autre que nous deux.

Or ce soir-là, il ne s’agissait pas de la sculptrice de mon cœur, mais d’une femme ravissante qui avait éclipsé mes autres maîtresses (même Aurélie…) et dont j’essayais en vain de me souvenir où l’avais-je rencontrée. Hélas, quand la mémoire est rétive, elle est plus têtue qu’un âne et les presque deux heures du matin, n’arrangeait pas les choses. Je me suis étiré, et suis allé fumer sur la terrasse. Le ciel était étoilé, l’air était doux et sentait bon. Des immeubles alentour, seuls quelques fenêtres étaient encore éclairées. Moi j’avais éteint toutes les lumières et je m’amusais à regarder le bout incandescent de mon petit cigare. La fumée que je recrachais se dispersait lentement en volutes lascives, sous le souffle paresseux du vent, prenant des formes que je comparais à des courbes de femme qui se contorsionnaient dans tous les sens, se croisaient et s’entre croisaient, comme des danseuses se mouvant au rythme d’une musique plaintive. A un moment donné, il m’avait semblé apercevoir un cœur à l’intérieur duquel j’avais entrevu le visage de Rosy me souriant. (Sans doute l’effet d’avoir trop pensé à elle !) Je me suis frotté les yeux. Il était encore là. Plus dilaté et son visage encore plus grand et plus souriant. Derrière moi, comme quelques jours auparavant, j’avais l’impression d’une présence. Je me suis retourné, je n’ai rien vu ; seulement entendu le bruit de pieds glissant sur la moquette. Je me suis assis, je me suis de nouveau frotté les yeux et me suis entendu demander :

« Où t’ai-je vue, Rosy ? »

Et une voix me répondre :

« Bientôt, bientôt. »

J’ai écrasé mon petit cigare et suis passé à l’intérieur. Toute sensation avait disparu. Je baillais à m’en décrocher la mâchoire. Le sommeil était en train d’avoir raison de moi, mais je me suis souvenu que j’avais oublié de faire un tour sur ma page Facebook, afin de voir le nombre de commentaires et de « likes » qu’avait suscité la nouvelle de mes vingt jours de tournée. Après cela, mes pas m’ont conduit vers ma chambre où, à peine déshabillé, je me suis écroulé sur le lit.

Lorsque je me suis réveillé en sursaut et en transpiration, le cadran de mon téléphone affichait 4 heures 37. Le rêve était encore tout frais dans ma mémoire et, toute affaire cessante, j’ai saisi mon carnet et mon stylo. Tout en le rédigeant, je bénissais cette nuit porteuse de conseils, et saluais avec enthousiasme tous les efforts de la veille. J’avais traité ma mémoire de rétive, d’âne bâté ? Je lui demandais pardon. Grâce à elle et au rêve concocté par mes scénaristes de l’inconscient, je venais de résoudre une énigme qui me hantait depuis près de deux semaines : où avais-je vu Rosy ? Question que je me suis posée depuis le vendredi 6 mars où je l’ai vue descendre du sixième wagon de la ligne 5 direction Jaurès, station Gare du Nord.

J’écrivais à toute vitesse, je ne devais pas en perdre une bribe. Je malmenais ma calligraphie, déjà illisible en temps normal : « Pourvu que je puisse me relire… Mais si, mais si ! Ecris. L’essentiel c’est de savoir enfin où tu as vu Rosy. »

Quand j’ai écrit le mot « Fin du rêve », j’ai soufflé un grand coup. Je me sentais délivré, comme la femme, après un long accouchement. J’ai refermé le carnet, j’ai filé sous la douche. Après, je me préparerais un bon café avec d’épaisses tartines miellées et je relirais les notes que j’avais prises.

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