Chapitre 25

11 minutes de lecture

 " Rêve : Je suis allongé sur ‘’ma’’ plage, celle des Ponchettes. Rosy est à côté de moi. Elle est seins nus. Je m’extasie devant sa superbe florescence. Au plaisir de mes yeux, s’ajoute celui de ma main gauche qui les parcourt délicatement :

« Vous les aimez Alex ?

— Ils sont les plus beaux que j’aie jamais vus. »

A côté de nous est allongée une jeune femme vêtue d’un maillot deux pièces blanc, dont le visage est dissimulé sous un chapeau aux larges bords. A ma réponse, elle crie :

« Menteur ! » Puis, ayant ôté le haut : « Les miens sont les plus beaux. Tu n’as cessé de le clamer sur tous les tons, au point qu’après le massacre de ta collection, tu as été soulagé de constater que seul le mien soit resté intact ! »

Je me retourne :

« Roxane ! C’est toi ?

— Oui, c’est moi.

— Je peux voir ton visage ? »

Elle hurle :

« Non ! Si tu touches à ce chapeau, tu mourras. Rappelle-toi la photo ! »

Laureen arrive sur ces entrefaites. Elle est seins nus, également :

« Je crois qu’il dit cela à toutes les femmes. Moi, il me l’a répété tellement de fois que je n’ai pas trouvé mieux comme cadeau d’adieu que de lui offrir le moulage du mien. »

Puis c’est Aurélie que je vois surgir :

« Quand je l’ai connu, il en avait déjà sept qu’il considérait comme les plus beaux de sa collection. Puis il a vu les miens qui ont détrôné tous les autres. Il est tombé amoureux fou de moi. Nous devions nous marier. »

Alors, Rosy et Roxane me somment de dire laquelle des deux a les plus beaux seins. Honnêtement, je ne vois aucune différence entre les deux, à croire qu’elles sont sœurs jumelles. L’une me menace de ne plus jamais me parler sur Facebook et pire, de se désabonner de ma page. L’autre, de faire appel à Célia pour qu’elle vienne détruire le cadeau qu’elle m’a offert. A ce moment apparaît l’Attila en jupon qui s’adressant à elle :

« Ah non, madame ! Je l’ai trouvé tellement beau que je n’ai pas osé le détruire. Je l’ai mis de côté et, une fois le massacre terminé, je suis allée le placer dans le coin où il l’a trouvé. »

Entretemps, je m’aperçois que Rosy a disparu. Je me mets à l’appeler et, aussitôt je me retrouve dans le jardin d’une superbe villa. Il ne m’est pas inconnu. Une femme d’une quarantaine d’années s’approche de moi. Elle est mince, de taille moyenne. Ses traits sont délicats. Ce qui me frappe ce sont ses cheveux noirs coupés à la garçonne et ses yeux verts. Elle n’a pas les dents de la chance, elle. Elle me tend la main :

« Bonjour Anicet. Si tu cherches Déborah, elle est partie faire des courses avec son père. Ils en ont pour une bonne heure. Moi je ne peux pas te tenir compagnie. J’ai du travail. Roxane est là, par contre. »

Mes yeux s’écarquillent :

« Roxane ?

— Rosy, si tu préfères. »

Mes pupilles ont toujours la taille d’une soucoupe volante :

« Rosy ? »

Elle lève les siens au ciel :

« Anicet, Anicet. Regarde et tu comprendras. »

Elle disparaît. Tout de suite après, je vois s’approcher Rosy en deux pièces couleurs rose. Elle semble plus jeune : seize-dix-sept ans. A côté d’elle Roxane avec son maillot blanc et son chapeau devant son visage. A fur et à mesure qu’elles avancent vers moi, elles se rapprochent, elles se frôlent et, comme dans un fondu au cinéma, elles finissent par ne faire qu’une seule jeune fille qui vient de franchir mon aire d’attraction. Je peux sentir l’odeur parfumée de sa peau et son souffle frais. Ses longs cheveux, désordonnément coiffés, ont déjà la couleur de l’automne. Ses yeux expressifs sont plantés dans les miens. J’y vois une multitude de cœurs. Sur ses lèvres je perçois le léger tremblement qui trahit l’impatience de sentir les miennes s’y poser. Ses mains derrière le dos s’affairent à dégrafer le haut de son maillot de bain. Et moi, incrédule qui ne cesse de répéter :

« Alors c’est toi, Ro… ? »

Elle me fait signe de me taire. Sa bouche effleure la mienne. Les bretelles pendent sur ses avant-bras, les deux lanières dorsales sont désolidarisées. Encore une fraction de seconde et nos lèvres se seront rejointes, et ses seins s’imprimeront sur mon t-shirt… Mais la bobine s’est arrêtée. Fin du rêve »

J’ai refermé mon carnet, avalé le dernier morceau de ma tartine, et ma mémoire a fait un bond en arrière de dix-huit ans. En 1997.

C’était la fin des classes. Ludwig et moi avions terminé notre première avec une très large moyenne qui nous assurait notre passage en terminale (littéraire, tel était notre choix). Mathieu Cemblant, un camarade avait organisé une soirée chez lui à Fabron dans son immense appartement avec balcon vue mer. Ses parents n’étaient pas là. Il était tout à nous. De toutes les filles qui étaient venues, seule une m’attirait et je ne cessais de la regarder.

« C’est ma cousine Déborah. Je crois qu’elle en pince aussi un peu pour toi. »

Il n’avait pas tort et mon presque frère avait corroboré ses propos :

« T’as de la chance, frérot. Elle est vachement jolie et elle te bouffe des yeux. »

Le lendemain, elle m’avait invité à passer la journée dans sa superbe villa à Gairaut. Elle m’a présenté ses parents. Jean-Pierre Rammero, cardiologue d’origine Italienne : « De Gioia Tauro en Calabre, plus précisément. » Sa mère Dorothy, née O’Green, décoratrice d’intérieur, d’origine Irlandaise : « De Rosslare Strand, plus exactement. » Elle connaissait les œuvres de Maïa et en était littéralement amoureuse : « J’aimerais beaucoup faire sa connaissance. ». (Trois jours après, Déborah et ses parents sont venus dîner rue Fragonard…)

« Et voici ma petite sœur : Miss pot de colle. »

Et Roxane m’a souri et m’a tendu ses joues pour que je lui fasse deux bises.

Il arrivait que Déborah ne soit pas là à m’accueillir dans la superbe villa de Gairaut. Soit elle se changeait, soit elle était au téléphone avec des copines ; alors Roxane venait me faire la causette en me proposant une boisson. Parfois, lorsque nous étions allongés sur les transats en train de nous sécher, sa petite sœur prenait son élan et sautait dans l’eau telle une bombe et nous aspergeait ; puis se mettait à rigoler comme une petite folle. Si ses éclaboussures ne me gênaient pas, sa grande sœur était furieuse et la traitait de tous les noms. Alors, elle sortait de l’eau, s’allongeait sur l’herbe et faisait des roulades jusqu’au fond du jardin, puis revenait, entrait dans la maison, et en sortait avec un livre qu’elle se mettait à lire, assise elle aussi sur un transat.

Certains jours, c’était Déborah qui descendait à Nice. J’allais l’attendre à l’arrêt du bus, place de la Libération, puis nous descendions à pieds, main dans la main jusqu’à la place Masséna et l’on s’enfonçait dans le vieux Nice où Ludwig nous attendait au bout du cours Saleya, pour rejoindre notre plage.

La famille Rammero était sur le départ. En septembre, son père commencerait son nouveau travail dans une clinique privée de Bordeaux où il serait mieux payé. En attendant, il faisait des allées-retour afin de finaliser les modalités, et sa mère devait s’occuper des ouvriers qui travaillaient dans la maison où quelques travaux étaient indispensables s’ils voulaient la revendre à un bon prix. C’était la raison pour laquelle ils n’étaient pas partis en vacances dans la propriété des O’Green à Rosslare au sud de Dublin. Alors, certains jours, elle demandait à sa fille aînée de prendre sa petite sœur ; et je voyais descendre du bus Roxane toute guillerette et Déborah, tirant une tête longue comme un jour sans pain qui maugréait : « Maman m’a encore refilé ce boulet de ma sœur. »

Moi, je n’avais pas mon mot à dire, mais personnellement elle ne me dérangeait pas. Je la trouvais gentille, toujours de bonne humeur, avec beaucoup d’esprit et d’hu-mour. Pour ses douze ans elle s’exprimait avec beaucoup d’intelligence et d’à-propos, avec des mots choisis. J’aimais bien son visage et ses grands yeux expressifs. C’est vrai qu’avec Déborah, nous n’avions plus tellement d’intimité ; mais sur la plage, avec Ludwig et notre bande d’amis, nous n’en avions guère plus. (Sauf que nous nous sentions plus à l’aise pour flirter lorsque sa petite sœur n’était pas là).

Roxane préférait que je lui donne la main. Quand sa sœur la lui tenait, elle la serrait trop fort, puis elle était brusque et ne cessait de la rabrouer pour un oui et pour un non. Puis, une fois sur la plage, elle ne faisait même plus attention à elle. C’est moi qui, de temps en temps jetais un petit coup d’œil discret pour voir si tout allait bien. Oui. Elle s’amusait comme une petite folle, elle rigolait entourée d’une bande de garçons et filles de son âge qui allaient et venaient dans la mer, pouffant et criant. Et lorsqu’il fallait partir, Déborah lui faisait un signe. Elle disait au revoir à ses amis et elle venait illico Pas boudeuse ni renfrognée. Non, vraiment, je ne voyais pas ce qu’elle avait de collante, de casse pieds. Elle menait sa petite vie, avec ses petits copains ou bien, elle se posait sur sa serviette et s’amusait avec les galets. Pourtant, sa sœur ne décolérait pas. Chaque fois que nous devions le prendre avec nous, c’étaient les reproches, les rabrouements qui ne semblaient pas entacher la bonne humeur de Roxane. Maïa m’avait raconté qu’entre elle et ma mère, sa petite sœur, c’était souvent comme ça. Cela était dû à leur différence d’âge – six ans – qui ne les mettaient pas sur le même plan de pensée et d’action. Lorsque ma tante à seize ans commençait à fréquenter des garçons, maman jouait à la marelle et à la corde à sauter et, de surcroît, elle trouvait dégoûtant qu’on puisse s’embrasser sur la bouche. « Mais dans le fond, nous nous aimions beaucoup, ta mère et moi. ». Alors, je pensais qu’il en allait de même entre mon flirt et sa petite sœur. Pourtant, un jour, une scène m’a brisé le cœur et m’a tiré des larmes. Il faisait gris et Déborah voulait en profiter pour faire un tour aux « Galeries », voir, essayer, acheter peut-être, probablement. Elle allait, se faufilait d’un étalage à l’autre, s’arrêtant lorsqu’un produit pouvait l’intéresser, notamment les parfums dont elle demandait mon avis : « Fleur d’oranger ou rose ? Patchouli ou jasmin ? ». Elle humait et me faisait humer, et Roxane, qui lui demandait si elle pouvait sentir aussi, était déboutée de sa requête, avec des arguments secs et cinglants qui, toutefois, ne semblaient pas altérer son humeur.

Après les senteurs, c’est au rayon lunettes de soleil qu’elle avait jeté son dévolu. Elle s’était mise à en essayer différentes paires en me demandant lesquelles lui allaient le mieux. Roxane l’imitait et, devant le miroir, prenait des poses rigolotes, qui lui valaient de nouvelles brimades, encore plus humiliantes, de la part de sa sœur qui, s’étant lassée de ces produits, nous entraînait au niveau supérieur : rayons fringues où, là encore, elle évoluait parmi les rayonnages, cueillant un t-shirt le plaquant devant son buste, regardant l’effet dans le miroir puis, s’en allait essayer un chapeau, qu’elle reposait insatisfaite. Je la suivais sans trop rouspéter parce que, en récompense de ma patience, j’avais droit à ses baisers sur mes lèvres et ses « Je t’aime, je suis bien avec toi. »

Des chapeaux elle était passée aux pantalons, et moi, me retournant je m’étais aperçu que Roxane n’était plus derrière nous.

« Déborah. Ta sœur, je ne la vois plus. »

Elle a haussé les épaules :

« Au moins on est tranquilles. »

J’étais inquiet :

« Tu sais, il y a du monde et… »

Agacée, elle m’a dit assez sèchement :

« Va la chercher, si tu es si préoccupé. »

J’ai parcouru tous les rayons en sens inverse. Je ne la voyais pas. Je faisais des signes désespérés à Déborah, qui ne faisait pas attention. Alors, je suis descendu, je suis repassé par le rayon lunettes, elle n’y était pas ; pas plus qu’au rayon parfums. Il y avait du monde et je me faufilais parmi cette foule anonyme, priant qu’elle n’ait pas fait une fugue, repris le bus pour rentrer chez elle ou, qui sait, pire. Vu la façon dont sa sœur aînée l’avait humiliée devant tout ce monde, elle aurait pu envisager même l’inenvisa-geable.

Heureusement, j’avais fini par la trouver. Elle était là, devant un étalage de rouges à lèvres, qu’elle regardait, qu’elle soupesait. Deux grosses larmes coulaient le long de ses joues. Je me suis approché !

« Roxane. »

Elle m’a fait signe avec la main de la laisser en paix. Je me suis penché vers elle, je lui ai caressé les cheveux :

« Je sais. Tu as le cœur gros, parce que Déborah n’a pas été gentille. Je te comprends. D’ailleurs, je vais le lui dire, parce que j’ai de la peine de te voir pleurer. Tu ne le mérites pas. » Elle a haussé les épaules, j’ai poursuivi : « Moi j’aurais tellement aimé avoir un petit frère ou une petite sœur.

— C’est à elle que tu devrais le dire. »

Et deux autres larmes ont coulé. J’en ai eu le cœur serré. Je l’ai embrassée sur le front.

« Oui. Je vais le faire. Des yeux aussi jolis que les tiens ne devraient jamais pleurer. »

Elle a ouvert ses bras, les a entourés autour de moi, elle a enfoui sa tête dans mon torse et s’est mise à sangloter en répétant : « Pourquoi, pourquoi elle est comme ça ? Ce n’est pas de ma faute si maman veut que je vienne avec vous. Moi je préfèrerais rester avec mes copines, mais elles sont toutes parties en vacances. Qu’est-ce que j’aimerais avoir son âge et qu’elle ait le mien pour que je lui fasse subir la même chose » Et des torrents ont continué à déferler le long de ses joues. Tellement que j’en ai pleuré aussi. Je ne comprenais pas cette méchanceté gratuite.

Je lui ai caressé les cheveux, je l’ai embrassée sur les joues, je lui ai dit :

« Tu sais, je t’aime beaucoup Roxane. Telle que tu es. Tu es très jolie, intelligente et tu as un chouette caractère. » Je lui ai murmuré : « Et si Déborah, ne te veux plus comme sœur, alors je t’adopte. »

Et elle m’a serré encore plus fort et m’a dit qu’elle m’aimait aussi et qu’elle acceptait ma proposition.

Finalement Déborah – qui n’avait rien acheté – nous a vus :

« Qu’est-ce qu’elle a encore à pleurer ? »

C’était le mot de trop. Je l’ai prise par les épaules et l’ai regardée droit dans les yeux :

« Je sais que je ne devrais pas me mêler de ça, mais je voudrais comprendre pourquoi tu t’acharnes tant sur ta sœur. On ne peut pas dire qu’elle soit enquiquineuse et collante ; et puis, elle tout aussi contrariée que toi de devoir nous suivre au lieu de jouer avec ses amies qui ne sont pas là. » J’ai essuyé les larmes qui coulaient sur mes joues, élevé le ton : « Tu ne connais pas ta chance de ne pas être fille unique. Moi je suis orphelin et seul. Parfois j’ai tellement de choses à raconter mais je ne sais pas à qui. Ludwig n’est pas tout le temps avec moi. La nuit, il dort chez lui. Et c’est souvent à ce moment là où on a envie de parler, de se confier. Déborah, Déborah, je pense que ta petite sœur ne mérite pas tous les reproches que tu lui fais. Et c’est pour cela qu’elle pleure. »

Roxane serrait ma jambe de ses bras et l’embrassait. Alors, elle a baissé les yeux vers elle. Immobile, quelques instants, puis l’a prise dans ses bras et l’a couverte de baisers en lui demandant pardon. Et nous étions là, tous les trois pleurant devant les nombreux passants de l’avenue Jean Médecin ; puis tout à coup nous avons éclaté de rire. On devait nous prendre pour des cinglés. Quelle importance.

J’ai proposé une glace. Déborah a ajouté : « Une double pour ma petite sœur. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Georges Floquet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0