Chapitre 29
Elle m’a réveillé à sept heures tapant. Et pas question que je m’endorme à nouveau :
« Sinon je te jette un verre d’eau à la figure. »
Je l’ai prise par la taille et l’ai renversée sur le lit :
« Ah oui. Tu en serais cap ? »
Et avant qu’elle ne me réponde, j’ai plaqué ma bouche contre la sienne. Elle s’est relevée.
« Mes petits élèves qui m’attendent. Et toi, ton vol. Debout marmotte de mon cœur ! »
Dit de cette façon, sur ce ton si mélodieux, je n’ai pu que me lever en prenant la main qu’elle me tendait et, une fois debout nos lèvres se sont rapprochées pour un nouveau baiser qu’elle a écourté bien à contre cœur.
Elle m’avait filé un sac en cuir où elle avait fourré deux slips, deux paires de chaussettes et une chemise blanche à manches courtes, qu’elle m’avait achetés la veille.
« Il faudra bien que tu te changes. Et à cause de moi tu serais parti sans rien ? Puis, tu les mettras en pensant à moi.
— Quand je serais tout nu dans mon lit, je penserai encore plus fort à toi. »
Elle m’a pincé le nez :
« Et moi à toi, dans le mien, en robe d’Eve. »
Puis, elle m’a traîné sur le grand balcon où elle avait préparé un somptueux petit déjeuner.
Avant de monter dans nos voitures respectives (elle m’avait fait garer dans le par-king de sa résidence), je lui ai souhaité bonne journée. Elle m’a souhaité bon voyage puis :
« Si tu rencontres une autre Rosy dans le couloir du métro… »
Je ne lui ai pas laissé le temps de finir sa phrase :
« Il n’y en a eue qu’une seule. Et il n’y en aura jamais qu’une seule. »
Puis nos lèvres se sont à nouveau rapprochées.
J’avais réservé le vol depuis son ordinateur. Départ de Marseille-Provence à 9h30 le jeudi 26 mars. Retour même aéroport le dimanche 10 à 13h30. Roxane m’y attendrait, puis nous filerions à Aubagne, ville qu’elle adorait à la fois par son charme et parce qu’elle y avait vu naître son deuxième romancier préféré : Marcel Pagnol.
« Elle t’envoûtera, toi aussi. Tu verras. Je vais nous concocter un joli petit pro-gramme. Nous serons de retour vers les six heures du soir. Ça ne sera pas trop tard pour que tu rentres à Nice, pour ton premier jour de tournée ? »
Je lui ai embrassé le bout du nez :
« Le show ne commence qu’à dix-huit heures. J’aurai le temps d’être en forme. »
Avec tout cela, je devais prévenir Maïa que je ne pouvais pas venir la chercher à midi à l’aéroport, comme prévu. La plus belle des institutrices de France et de Navarre, d’un regard, d’un baiser d’un mouvement de reins avait bousculé tous mes projets. Désormais, je le savais, je vivrais à l’heure de Roxane, et tant pis si elle, transitoirement, jonglerait entre la mienne et celle de son mari.
Elle m’avait parlé de lui durant le déjeuner dans un restaurant du Vieux Port, où une cliente avait reconnu son auteur préféré et avait sorti de son sac ‘’Sainte Laureen tuez pour nous’’, qu’elle relisait pour la troisième fois, afin que je le lui dédicace. Puis, m’ayant remercié, elle avait flatté la beauté de ma femme :
« C’est ma sœur, madame. » Elle m’avait regardé d’un air quelque peu choqué, car elle nous avait vus entrer en nous tenant par la taille. J’ai précisé : « Cela fait dix ans qu’on ne se voyait plus. »
Alors son regard s’est fait plus indulgent. A ce stade, elle pouvait comprendre ce débordement d’affection. Elle est partie se rasseoir et nous avons pouffé de rire le plus discrètement possible :
« Qu’est-ce que tu peux raconter comme bêtises, m’a-t-elle lancé en me tapant sur la main gauche ! Imagine qu’il y ait un journaliste qui ait tout entendu. Tu imagines les titres dans les journaux ?
— Oui. Qu’Alex Cantié a retrouvé sa sœur adorée et maintenant ils sont insépa-rables.
— Et ils vont faire l’amour ensemble. »
J’ai pris mon air le plus séducteur possible :
« Et alors, ma petite sœur chérie, il vaut mieux cela que de se taper sur la tête. »
Elle a levé les yeux au ciel :
« Que tu es bête. »
Et après qu’on nous eut servi notre bouillabaisse, elle m’a parlé de Jean Marc.
Elle venait d’obtenir sa mutation à Marseille et logeait dans un petit appartement de fonction qui, au bout de quatre mois lui sortait par les yeux à cause du voisinage avec une vieille institutrice moche et bigote qui ne cessait d’épier ses allées et venues qui se plaignait chaque fois que le nombre de décibels émanant de chez elle dépassait celui produit par une mouche en vol, qui répandait des bruits infondés sur son comporte-ment ; bref c’était la galère, et si elle ne voulait pas finir dans un asile de fous, elle devait impérativement trouver un autre toit. Son principal, qui l’avait toujours défendue des assauts de cette harpie, lui avait indiqué qu’un studio meublé était à louer non loin de là, pour un prix raisonnable. Il connaissait le propriétaire, fils d’un notable de la ville qui, en outre, avait fait ses études primaires dans cette école. Quand elle est allée signer le bail, ç’a été le coup de foudre. Il s’appelait Jean-Marc Santelli, brillant énarque qui, deux mois après l’installait dans son superbe appartement de la Pointe Rouge et, six mois plus tard la demandait en mariage.
C’était un mari comme les avait si bien décrits Balzac dans sa comédie humaine. Brillant serviteur de l’Etat, se voyant sous-préfet, préfet, conseiller à l’Elysée et plus. Il ne voyait en son épouse (qu’il vouvoyait et elle devait en faire autant), que l’éclat qu’elle apportait lors des soirées mondaines. Elle brillait par sa beauté, son intelligence, sa culture, son milieu, son caractère joyeux et d’autres qualités qui ravissaient les invités. La première année, leurs retrouvailles au lit ont été sublimes, merveilleuses et paradisiaques ; puis, son travail et son avenir professionnel l’ont remplacée. Quant à avoir un enfant : « même pas en rêve », comme me l’avait dit Joséphine.
Désormais, ils vivaient séparés. Lui à Paris, elle dans le luxueux appartement qu’il avait mis entièrement à son nom.
« Parfois, il vient à Marseille. Un jour ou deux ; alors, il vit à la maison… enfin dormir uniquement, car il part tôt, revient tard et s’enferme dans sa chambre bureau. Il ne fait attention à moi que lorsqu’il y a une soirée à la préfecture, à l’Hôtel de Région au Conseil Départemental ou encore à l’Hôtel de Ville. Mais c’est rare que nous rentrions ensemble. Il y a toujours trois ou quatre amis qui l’attendent pour un poker, ou autres distractions masculines. »
Elle s’est tue. Elle a rempli sa fourchette, l’a portée à sa bouche, puis elle a levé son verre de vin blanc et a bu une petite gorgée.
« Et toi, pendant ce temps ? Si ce n’est pas indiscret, lui ai-je demandé.
— Je vis ma vie de mon côté. Mes petits élèves me remplissent de joie, ma famille qui me donne de l’amour, mes amis me soutiennent, les randonnées me font rêver, les lectures me nourrissent… Et puis, j’ai moi aussi mes distractions féminines.
— Tu es heureuse comme ça ? »
Elle a haussé les épaules :
« C’est quoi être heureux, Anicet ? Une maison avec des poules et des lapins, un mari et des enfants ? Si ça se trouve je serais en train de me plaindre de vivre dans un trou perdu. » Elle a marqué une pause : « Toi tu es heureux ?
— J’essaie de l’être tous les jours.
— Moi aussi. Moi aussi. »
Pourtant, une question me brûlait les lèvres. Est-ce que la relation qu’elle entre-tenait avec son mari n’était pas un frein à un bonheur plus grand, plus épanoui ? Pourquoi restait-elle avec lui, dans le fond ? Pour le bel appartement ? Pour le nom de famille qu’il lui avait donné – un parmi les plus prestigieux de la cité Phocéenne ? Pour pouvoir porter un jour le titre de préfète ? J’avais besoin de savoir
« Je me mêle peut-être de ce qui ne me regarde pas, Roxane… Mais j’en ai l’habi-tude, n’est-ce pas ? » (Allusion au préambule du sermon fait à Déborah à la sortie des Galeries.) Elle a acquiescé : « Pourquoi vous ne divorcez pas ? »
Elle a écarquillé ses grands yeux :
« Pourquoi, pour recommencer tout à zéro ? Me remettre à chercher l’homme idéal, qui me comblera de tout son amour, sa tendresse, son affection, sa sollicitude, qui me fera un ou deux enfants ? Et pour cela, combien j’en aurais fait défiler dans mon lit avant de le trouver ? Non, merci. Jean-Marc, ne me rend plus heureuse, je le sais, mais il a au moins le mérite de ne pas me rendre malheureuse. Il est mon meilleur rempart contre de nouvelles désillusions, contre de nouveaux faux-semblants, de nouvelles hypocrisies encore plus tordues, encore plus turpides. Je n’en veux plus, tu vois ? Plus du tout. » Elle a avalé sa dernière bouchée de bouillabaisse et bu une gorgée de vin blanc : « Durant la randonnée, il y avait un homme qui n’arrêtait pas de me tourner autour. Plus collant que du chewing-gum sous la semelle d’une chaussure ; mais à côté de ça, il était beau, spirituel et surtout très charmant et séduisant. Dans le groupe, on nous regardait avec une pointe d’envie et Joséphine – pas très discrète – n’arrêtait pas de lever les pouces. La nuit, je suis allée sous sa tente, et nous avons fait l’amour. Le lendemain il m’a demandé mon numéro de téléphone, je lui ai répondu à quoi bon. Si tu avais vu sa tête, Anicet. Interdit, interloqué, sidéré. Il s’est mis à balbutier : ‘’M…Mais… Mais… Ce n’était pas bien ? T… Tu n’as pas aimé ?’’ Je lui ai répondu que oui. J’avais été satisfaite, comblée, mais qu’une fois ça m’avait suffi Et le voilà qu’il se remet à bégayer : ‘’M… Mais pourquoi ?’’ Et moi : ‘’Parce que je n’ai pas envie que tu me rappelles demain ni après-demain ni les jours suivants pour que nous recouchions ensemble. Je n’ai aucune envie d’avoir une aventure avec toi, encore moins une liaison. Tu n’es pas mon genre d’homme. Tu m’as charmée, tu m’as séduite, j’avais envie de faire l’amour, maintenant c’est tout.’’ Je lui ai fait la bise et je suis partie. Joséphine, au début, était sidérée, mais quand je lui ai expliqué, elle m’a prise dans ses bras et m’a dit que j’avais bien fait. J’avais pris ma revanche. Cela je le dois à Jean-Marc et cette vie que nous menons. Je suis devenue comme Cristina dans le film de Woody Allen : si je ne sais toujours pas ce que je veux, je sais, par contre, ce que je ne veux plus.
— Et comment s’est passé le dimanche ? »
Elle a haussé les épaules :
« Il est parti en avant avec ses copains, je suis resté avec Jo et les copines et on a cessé de me regarder avec envie. A la fin de la rando, on s’est tous fait la bise, mais lui était déjà parti avec deux ou trois de ses amis. »
J’ai levé mon verre, je l’ai entrechoqué avec le sien et :
« Tu as très bien fait de ne coucher qu’une seule fois avec ce triste sire.
— C’est vrai ? » J’ai fait ‘’oui’ de la tête : « Toi, comment tu aurais réagi, si ce n’est pas indiscret ?
— Je t’avoue qu’au début j’aurais été un peu déçu… mais sans le laisser paraître ; puis j’aurais accepté sa réaction, en me disant qu’elle m’avait déjà donné beaucoup. Et surtout, surtout, je ne l’aurais pas ignorée. Sans être aussi pressant que la veille, j’aurais continué le dialogue avec elle. » Je lui ai fait un clin d’œil : « Et, au moment de nous séparer, je lui aurais fait la bise. »
Elle m’a souri.
« Exactement ce que j’aurais fait. »
Et nous avons à nouveau trinqué.
Lorsque le serveur s’est approché pour nous demander si nous voulions un dessert ou le café directement, elle a dit :
« Non, l’addition s’il vous plaît. »
Quand il s’est éloigné elle m’a dit d’une voix implorante qu’elle avait besoin de marcher et se retrouver seule à seule avec moi.
Elle a insisté pour m’offrir le repas et, une fois dehors, dix pas plus loin, elle a enfoui sa tête contre mon torse et dans un sanglot :
« Je suis malheureuse, Anicet. Si tu savais combien je suis malheureuse. »
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