Chapitre 36
Villars sur Var…
La voix de papa a grondé très fort dans ma tête :
« J’en étais sûr. J’en étais certain. J’aurais parié toutes les étoiles de l’univers ! Pauvre naïf qui me répétais qu’elle était mariée, que tu ne risquais rien ! Et voilà le résultat. La suite n’est pas difficile à trouver. Même un enfant de dix ans pourrait te la raconter : lundi, elle écrira une belle et longue lettre à son avocat, afin qu’il entame la procédure de divorce. Tu l’as entendue : ‘’Mieux vaut que tu souffres pour un homme qui ne t’aime pas…’’ Sauf que toi tu l’aimes. Tu as failli le lui dire et aggraver ton cas. Quelle idée tu as eue de passer quinze jours avec elle, alors qu’elle avait projeté de rendre visite à ses parents. Tant pis pour toi, Anicet. Je t’aurai prévenu. »
Et maman derrière lui, pleurait en douce et m’envoyait des baisers. Sur ses lèvres je pouvais lire ce qu’elle me disait :
« Sois raisonnable mon tout petit. Pense à cette femme si gentille, si douce. Elle mérite de vivre et d’être heureuse.
— Moi aussi je mérite d’être heureux ! Je leur ai hurlé. »
Et ils ont disparu
Touët sur Var…
Nous avons fait l’amour toute la nuit, et je n’ai pas pu m’empêcher de repenser aux trois échecs précédents : Estelle et le coup de fil, Célia et sa gastro, et enfin, Fabienne et son coup de fatigue. Simple hasard, ou bien le moulage de son sein avait le réel pouvoir d’éloigner de mon lit toutes les autres femmes ? Que s’était-il réellement passé durant le massacre ? La diabolique violoncelliste l’avait-elle épargné comme elle le prétendait dans mon rêve ? S’était-il caché de lui-même dans ce coin de la pièce pour fuir sa furie vengeresse ?
« A quoi tu penses mon amour ?
— Tu es magique. »
Elle m’a souri, et nous avons eu notre énième orgasme.
Puget-Théniers…
Après le petit déjeuner, elle m’a demandé où se trouvait ma pièce de travail. Je la lui ai indiquée :
« Mais la porte est fermée à double tour.
— Je comprends tout à fait, m’a-t-elle rétorqué. »
J’ai pris mon trousseau et j’ai ouvert la porte.
« A toi l’honneur. »
Elle m’a regardé d’un air étonné :
« Mais, c’est ton antre secret. »
Je me suis approché d’elle et lui ai soufflé à l’oreille :
« Je ne peux pas avoir de secrets pour une sauterelle qui lisait dans mes pensées. »
Elle est entrée et a mis sa main devant la bouche :
« C’est ton bureau ?
— Oui.
— Mais comment tu fais à travailler dans un pareil…
— Bordel ?
— Oui. »
J’ai levé les yeux au ciel.
« Secret d’écrivain. »
Elle s’est approchée de la grande table. Elle a jeté un coup d’œil sur toutes les feuilles qui traînaient dessus. Certaines étaient manuscrites de ma main ; d’autres, des coupures de journaux, de revues ; d’autres enfin, des pages que j’avais tapuscrites et imprimées. Je sentais son envie d’en lire quelques-unes :
« Tu peux, si tu veux. Je te l’ai dit : je n’ai pas de secrets pour toi.
Elle en a pris une griffonnée de ma main et l’a reposée aussi sec :
« Tu arrives à te relire ?
— Non ! »
Elle a écarquillé les yeux :
« Sans blague !
— Je t’assure.
— Mais comment tu fais pour recopier ?
— Il me suffit de capter un mot ou deux, puis l’ensemble revient. »
Elle a posé les feuilles et ses yeux se sont posés sur son moulage. Elle a caché sa tête entre ses mains :
« J’ai honte de t’avoir ce cadeau. »
Je me suis rapproché d’elle :
« C’est le plus beau cadeau que l’on m’ait jamais fait. » (Je ne mentais pas. Des dix neufs seins de ma collection, plus ceux que m’avait laissés Géraldine plus ceux reçus de différentes admiratrices, il était le plus beau !)
Je l’ai pris et l’ai posé sur son sein :
« Il te va comme la chaussure à Cendrillon. » puis je lui ai glissé à l’oreille : « In hoc sinus vinces. »
Elle s’est retournée :
« Qui a dit cela ?
— Toi, dans un rêve que j’ai fait. Tu avançais vers moi. Je ne pouvais pas voir ton visage. Normal je ne savais pas encore qui était cette mystérieuse Roxane.
— Ah ! Je croyais que ta voisine t’en avait fait une description.
— Qui correspondait au portrait de Joséphine, sauf que mon subconscient a toujours refusé d’y croire ; alors, chaque fois que je rêvais de Roxane, je voyais son corps, mais pas son visage. » Je l’ai embrassée sur le cou. « Donc, dans ce rêve tu avançais vers moi, vêtue d’une longue toge style femme Romaine. Tu t’es arrêtée, tu l’as ouverte, tu as pris ma main, tu l’as placée sur ton sein en paraphrasant l’Empereur Constantin.
— Comment tu l’as interprété ?
— Le jour où je rencontrerai la propriétaire de ce splendide moulage, je deviendrai l’homme le plus heureux du monde.
— Et tu l’es ? »
Je l’ai tournée vers moi et ma bouche contre la sienne :
« Oui. Non seulement je le suis, mais en plus je t’ai… »
Elle a mis sa main devant mes lèvres :
« Non. Pas encore. »
Et nous nous sommes embrassés.
Puis, elle a vu les photos. Elle a pris dans ses mains celle de mon dernier été à l’île d’Yeu, où je riais et Maïa me serrait fort contre elle. Elle a déposé un baiser :
« Comme tu es mignon. »
Puis, celle prise à la clinique le lendemain de ma naissance. J’étais dans les bras de maman qui était allongée dans le lit. Papa assis dessus, nous entourait.
« Qu’il était beau ton père. Et ta mère… Ravissante. » Elle m’a regardé attenti-vement : « Et tu lui ressembles.
— C’est ce que tout le monde me dit. »
Elle l’a regardée encore un instant :
« Comme ils sont heureux sur cette photo… » Elle s’est tue, a reposé la photo et m’a pris dans ses bras : « Pardon. Je te demande pardon mon amour. Ça doit te briser le cœur, mes commentaires.
— Pas du tout, Roxane. C’est le destin. C’est vrai qu’ils formaient un couple heu-reux. Qu’ils étaient joyeux. »
Et je me demandais, pourquoi de me voir heureux transformait papa en un être diabolique, cynique, et maman en une femme soumise. Elle qui avait une si forte personnalité, comme me l’avait maintes fois répété Maïa. Peut-être que la marraine de mon cœur avait raison. Ces cauchemars c’est moi et moi seul qui me les produisais, pour me punir de me sentir heureux, alors qu’ils ne l’étaient plus. Mais comment m’en persuader. Comment m’en guérir ? J’ignorais encore ce jour-là, que je ne tarderais pas à avoir la réponse.
J’ai garé la voiture au plus près de la maison. Gros sac à dos chacun, Roxane tirant sa valise, moi, mon sac en bandoulière :
« Il y a plus de courses que d’affaires. » Elle a ri, j’ai poursuivi : « Même si nous passons nos journées tous nus, nous mangerons quand même trois fois par jour. »
Elle m’a embrassé le bout du nez :
— Oui. »
La maison était sombre, et sentait le renfermé. J’ai allumé les lumières (je ne coupais jamais l’électricité) rebranché l’eau et le gaz, ouvert une à une toutes les fenêtres. Après, je suis monté dans celle qui deviendrait notre chambre à coucher, j’ai sorti des draps propres de l’armoire et fait le lit ; puis, je suis allé inspecter la salle de bain. Savon, dentifrice, mousse à raser, gel douche (Elle avait pris le sien à l’huile d’amande douce). Tout y était. J’ai pris deux serviettes éponges, l’une blanche l’autre bleu ciel plus deux peignoirs (le mien et celui de Maïa). J’ai pendu le tout derrière la porte.
Dans le jardin la pelouse avait été tondue, les fleurs entretenues et l’olivier était en pleine forme.
Roxane est venue me rejoindre, après avoir rempli le frigo.
« Il est grand ce jardin. »
Je l’ai prise par la taille :
« Tu as vu ? Nous pourrons en mettre des poules et des lapins. »
Une larme furtive a coulé le long de sa joue.
« Oui. »
Elle m’a demandé :
« C’est quand que tu es venu pour la dernière fois ?
— Quand j’ai écrit ‘’Seins au formol’’
— Tu l’as écrit tout entier ici ? »
J’ai hoché la tête
« De la première à la dernière ligne.
— Sans bouger ?
— Pratiquement pas. »
Elle a jeté un coup d’œil circulaire :
« Tu écrivais dans le jardin ?
— Non, c’était l’hiver. Je l’ai écrit dans le salon. J’ai approché la table de la che-minée. C’était beau. Une fois, il a neigé toute la journée. Spectacle magnifique. »
Elle a hoché la tête. Elle a réfléchi. Sans doute aurait-elle voulu me demander si j’avais vécu tout seul ou avec une femme. Comme je ne voulais rien lui cacher (Je lui avais raconté le massacre de ma collection par Célia, que j’avais pardonnée, puisque le plus beau avait été épargné), je lui aurais raconté ma liaison avec Solen. D’ailleurs, j’avais prévu une soirée (au lit) pour lui raconter ma vie depuis le vendredi 29 août 1997 jusqu’au mercredi 25 mars, jour de nos retrouvailles devant le parc Borély.
« Tu voulais me poser une question ? »
Elle a passé ses bras autour de mon cou :
« Non, mon amour… Ah oui. Tu as faim ?
— De toi.
— Moi aussi, m’a-t-elle rétorqué avant de coller ses lèvres aux miennes
Nous sommes montés dans la chambre à coucher. Quand nous en sommes descendus, il était quinze heures passé.
« Et maintenant, les nourritures du corps.
— Qu’est-ce que tu vas nous préparer de bon ? »
Elle m’a embrassé la pointe du nez.
« Surprise, mon amour de marmotte.
— Bon. Moi je vais préparer la table et mettre le couvert. »
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