Chapitre 45
La maison ressemblait à celle de Gairaut. Après m’avoir ouvert le portail, Dorothy m’a supplié de repartir. Je n’avais pas eu une bonne idée de venir. Derrière elle, Roxane me hurlait de m’en aller. Elle n’avait pas envie de mourir par ma faute :
« Tu ne mourras pas Roxane, je te le jure.
— Va-t’en ! Va-t’en ! »
Jean-Pierre est arrivé et, d’un ton menaçant m’a intimé l’ordre de sortir ; sinon, il appellerait la police.
Alors j’ai fait demi-tour. Quelques mètres plus loin, je l’ai entendue courir. Elle m’a rejoint et s’est serrée contre moi :
« Emmène-moi mon amour. C’est loin de toi que je vais mourir »
Je sentais la pression de ses seins sur mon dos. Sa joue contre la mienne, était couverte de larmes :
« Je t’aime tellement Anicet. »
Je me suis retourné. Nous nous sommes embrassés longuement. Nos langues étaient déchaînées. Son sexe se pressait contre le mien, une forte odeur de phéromone émanait de nos corps.
Sans transition, je me suis retrouvé dans une pièce d’où, par une grande fenêtre fermée, je la voyais dans la rue me faire des grands gestes, et m’envoyer des baisers de la main. J’ai voulu l’ouvrir, mais elle était bloquée. Elle continuait à gesticuler. Je pouvais voir sur son visage une immense joie, un peu comme si, après avoir passé un long moment au lit à faire l’amour, elle rentrait chez elle heureuse et épanouie. Le ciel était gris et quelques gouttes d’eau commençaient à tomber. Je la regardais s’éloigner en marchant à reculons, les yeux toujours braqués sur la fenêtre. Elle ne se rendait pas compte qu’elle arrivait au bout du trottoir. Sur la chaussée, les voitures filaient à toute allure. Je lui criais de faire attention. Et la maudite fenêtre qui ne voulait toujours pas s’ouvrir. Je criais, je criais, mais elle me faisait signe qu’elle ne m’entendait pas et continuait à m’envoyer plein de baisers avec la main, lorsque tout à coup j’ai vu surgir une fourgonnette qui fonçait droit vers elle, j’ai hurlé. Derrière moi, papa me disait :
« Qu’attends-tu pour aller la sauver ?
— La fenêtre ne s’ouvre pas et la porte non plus.
— Faux. C’est toi qui ne veux pas les ouvrir, car tu n’as pas envie de la sauver.
— Ce n’est pas vrai. »
Et je m’acharnais sur cette maudite crémone qui ne voulait pas tourner, et Roxane qui marchait toujours à reculons et la fourgonnette qui s’approchait de plus en plus. Et la voix de mon père qui me répétait d’un ton cynique, que je ne pourrais rien faire pour la sauver. Son rire était sardonique et glacial.
« Tu vas la voir mourir, Anicet. Je t’avais prévenu. »
Mais aussitôt j’ai senti une main sur mon épaule. Je me suis retourné. C’était elle bien en chair, bien vivante. Elle me souriait :
« Marmotte de mon cœur, réveille toi, tu es en train de faire un vilain rêve. Ta sauterelle ne mourra jamais. »
J’ai ouvert les yeux. Mon téléphone affichait 6 heures 20, la voix de mon père a résonné :
« J’ai voulu donner un happy end afin que ton cauchemar se transforme en rêve d’amour… Enfin, c’est ta mère qui a insisté. Ça lui déchire le cœur de te voir hurler de douleur et pleurer pour cette jeune Roxane…
— Mensonges, papa, lui ai-je répliqué avec véhémence. C’est elle qui est venue saboter ton scénario, pour me rassurer. »
J’ai dû déstabiliser son assurance, parce qu’il m’a rétorqué d’un ton bravache :
« La pauvre. Elle se fourre le doigt dans l’œil si elle s’imagine qu’elle ne va pas mourir.
— Roxane ne sera pas une deuxième Aurélie. Elle vivra. Nous nous marierons, nous aurons des enfants. Tu entends ? Des enfants que nous verrons grandir. Tes menaces ne m’atteignent plus. Je te l’ai dit hier matin. Entre nous, tu ferais mieux de changer de disque.
— Mon poussin ! Comment oses-tu parler ainsi à ton père qui t’aime tant. »
J’ai hurlé :
« Toi maman, tu ferais mieux de le raisonner.
— Qu’est-ce que tu crois que je fais ? Si cette petite est encore vivante, c’est grâce à moi.
— Non, maman. Si elle est vivante c’est parce que son heure n’est pas encore venue… Et elle n’est pas près d’arriver.
— Fils !
— Je ne suis pas ton fils, ai-je crié. Et tu n’es pas mon père. Et toi la pleurnicharde, tu n’es pas ma mère. Je ne sais pas qui vous êtes, mais vous n’êtes pas mes parents et je vous aurai.
— Suffit ! Je ne veux plus rien entendre ! Viens Stéphanie. Notre fils ne veut plus nous écouter ? Nous saurons faire pression sur sa Dulcinée.
— Comme vous l’avez fait ces derniers jours, n’est-ce pas ?
— Exactement. Et ça a marché.
— Vous n’avez pas intérêt à lui faire quoi que ce soit ! Maudites créatures. » Et j’ai hurlé : « Que le ciel m’entende et vous envoie rôtir en enfer ! »
Mais ils étaient déjà partis.
J’ai tendu l’oreille. Silence. Personne ne frappait aux murs de ma chambre.
Ces conversations entre mes parents (ou ceux que je croyais être mes parents), se déroulaient toujours dans ma tête ; mais, à l’instar de celui qui parlerait en dormant, je craignais que dans le feu de la discussion, certains mots, ou certaines phrases ne s’échappent de ma bouche par inadvertance. Cela m’était arrivé une fois, à Naples, avec Aurélie. Nous étions au restaurant, elle était partie se laver les mains, lorsque la conversation a commencé (toujours les mêmes reproches, toujours les mêmes menaces). Sans m’en rendre compte, je m’étais mis à leur répondre à voix haute. C’est en voyant les clients se tourner vers moi, me regarder d’un air intrigué, yeux exorbités, bouches entrouvertes, fourchettes en suspension entre l’assiette et leurs palais, que j’ai réalisé. Je leur ai fait un large sourire et les ai rassurés en leur disant que j’étais un acteur de théâtre qui répétais un rôle.
De la rue de mon hôtel à la rue de Bretagne, où vivaient les Rammero, il y avait une paire de kilomètres environ, que j’ai préféré parcourir à pieds, la marche étant le meilleur carburant pour la réflexion ; et j’avais besoin de mettre en branle mes cellules grises, car je n’avais toujours pas la moindre once d’idée, sur la façon dont je m’y prendrais pour aborder Roxane.
L’avenante Floriane de l’accueil, avec sa tignasse noire corbeau, ses yeux d’un bleu profond, son nez retroussé, ses lèvres interminables surpeintes en rouge sang de bœuf, et son menton légèrement en galoche, qui se souvenait très bien de mon passage à Bordeaux, tout juste un mois auparavant (abonnée de ma page Facebook, cela allait sans dire), m’avait montré sur un plan de la ville que, non loin de la rue, il y avait un très joli lac entouré d’un grand parc boisé, l’un des lieux de détente de promenade, de rêverie des Pessaçaises et des Pessaçais ; l’autre étant l’écosite du Bourgailh, situé dans la forêt éponyme.
« Vous avez également un zoo… » Elle a laissé la phrase en suspens et après avoir haussé les épaules et baissé le ton : « Moi, personnellement, ça me fait du mal de voir des bêtes en captivité… Mes fils adorent ; alors je dois prendre sur moi pour les y emmener, a-t-elle ajouté en levant les yeux au ciel. »
J’ai compati ; puis :
« Je crois que, pour commencer je vais faire un tour sur le lac. »
Elle m’a entouré l’emplacement avec un stylo rouge et m’a tendu le plan :
« Bonne promenade monsieur Cantié. » (Et dire que je m’étais enregistré sous mon vrai nom !)
Ainsi, deux heures après mon réveil, vêtu d’un jean, d’une paire de chaussures bateau, de la chemise blanche que Roxane m’avait achetée à Marseille et d’un blouson noir en cuir souple multi poches, j’ai pris la direction du parc, sous un ciel légèrement couvert et une température agréablement printanière.
Elle ne m’avait pas menti et, en ce premier samedi du mois de mai, nombreuses étaient les familles, les couples, les promeneurs solitaires (moi, par exemple) qui envahissaient joyeusement l’endroit.
Durant les vingt-cinq minutes de marche, une scène n’a pas cessé de me harceler : je sonnais chez les Rammero, Dorothy venait m’ouvrir avec un grand sourire, me faisait entrer, appelait Roxane qui, au lieu de me tendre ses lèvres, m’offrait ses joues pour que j’y dépose la bise de convenance, derrière elle se tenait Jean-Marc à qui elle me présentait en tant qu’ami d’enfance et romancier, dont il n’avait jamais entendu parler. On m’invitait à déjeuner et, lorsque je faisais des signes à Roxane pour pouvoir parler seul à seul avec elle, elle me répondait haut et fort qu’elle n’avait de secrets pour personne et que je pouvais parler devant son mari ; puis, pendant le repas elle ne cessait de se blottir contre lui.
J’avais beau la chasser de ma tête, elle revenait sans cesse, comme un moustique sur une peau dénudée. Mon seul antidote, était la lettre qu’elle m’avait écrite, qu’à force de lire et relire, je connaissais par cœur :
« Mon Amour, Ma Vie (Mais ai-je le droit de continuer à t’appeler ainsi après tout le mal que je t’ai fait ?) Hier encore je nous ai gâché la soirée, et nous nous sommes couchés comme un vieux couple aigri, tout juste si nous nous sommes dit : ‘’Bonne nuit’’ d’un ton maussade et renfrogné. J’ai pleuré, tu as pleuré, et nous n’avons même pas eu le réflexe primaire de nous consoler mutuellement en nous prenant dans les bras. Nous n’aurions pas pu tenir jusqu’à l’arrivée de Joséphine et Margaux. Je l’appellerai du train, je lui expliquerai ce que je suis incapable de m’expliquer encore. Comment ai-je pu douter de la sincérité de tes sentiments ? Comment ai-je pu te reprocher de vouloir me faire un enfant, toi le seul homme duquel j’en voudrais : un, dix, vingt… Autant que tu voudras m’en faire. Amour, amour, amour, je préfère partir maintenant que de voir voler en éclats les derniers morceaux de ce rêve devenu réalité. J’emporte le goût de tes baisers et l’odeur de ta peau, la volupté de tes caresses et la résonance de ta voix et, toujours dans mon ventre, la chaleur de ton sexe, qu’aucun autre ne remplacera. Tu es le seul homme que j’ai aimé que j’aime, et que j’aimerai pour le reste de ma vie ; au point que je ne supporte plus l’idée d’être encore madame Santelli et je ferai le nécessaire pour redevenir mademoiselle Rammero ta sauterelle, qui va bientôt prendre son train pour Nice ; et puis, de là… N’essaie pas de m’appeler, n’essaie pas de me revoir. Je risquerais d’être encore plus cruelle… Et tu ne le voudrais pas, n’est-ce pas. Je ne te dis pas adieu, mais au revoir mon amour, mon adoré. Roxane, qui sera toujours la tienne. »
« Vous voyez ! (Car j’étais persuadé que mes parents y étaient pour quelque chose) Vous voyez ! Même si elle m’a menti sur sa véritable identité durant près d’un mois, même si elle m’a fait croire que nous ne nous étions jamais rencontrés – à part dans ce couloir de métro – elle ne joue pas avec les sentiments. Cette lettre est empreinte de sincérité. Aucun autre homme n’est avec elle ici à Pessac. »
Mais de nouveau, la scène m’était projetée sur mon écran interne.
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