Chapitre 1
Le paquet était posé sur la table près de la porte d’entrée, au-dessus d’une lettre de ma banque, et d’un courrier publicitaire de mon fournisseur d’internet.
La main qui avait emballé l’objet, dans du papier glacé bleu ciel, ne devait pas être très expérimentée pour ce type de confection, et la première personne à qui j’ai pensé, ce fut madame Prunier ma voisine, voulant me remercier d’arroser ses plantes, ramasser son courrier, et surtout, nourrir Mordicus son chat, pendant les deux semaines où elle était à Saint Malo chez sa fille.
Peut-être, ai-je pensé, elle a voulu rompre avec notre tradition, qui voulait que nos échanges de cadeaux (Je dis « nos » car, à mon tour, je lui offrais un présent pour les mêmes services qu’elle me rendait en mon absence, sauf celui de nourrir mon chat, puisque je n’en avais point) se fassent a posteriori, et non à priori. (A cet égard, je venais de déposer chez elle un livre sur les plus beaux jardins de Rome, où Maïa et moi avions assisté et fêté pendant trois jours, et le mariage de notre cousin José et son « Espagno-lissime » fiancée Fabiola, et mes trente-cinq ans). Or, un post-it rédigé de sa main, collé au dos de l’emballage, m’informait qu’il m’avait été offert par ma cousine en transit à Nice.
Une envie pressante de soulager ma vessie et mes intestins, barbouillés par le repas plus qu’infect qui m’avait été servi dans l’avion, m’a fait reposer le paquet, jeter ma valise au sol, et filer aux toilettes où, pendant que mes organes se débarrassaient des mauvais fluides et des matières corrosives qu’ils recelaient, mes cellules grises se sont mises à rechercher activement cette parente qui m’offrait son cadeau d’anniversaire, que j’avais hâte de découvrir. Leur travail leur a pris moins de dix secondes, et le résultat fut que, tout ce que je comptais de cousins-cousines, proches et éloignés, étaient issus de ma branche maternelle, et se trouvaient à la noce de mon cousin, lui aussi issu de cette même branche. Papa était fils unique et, papi Lepervier avait eu deux sœurs dont une était morte de la polio à l’âge de douze ans, et l’autre, était devenue dominicaine. La conclu-sion de tout cela, fut que ce paquet m’avait été offert par une inconnue s’étant fait passer pour une proche parente. Peut-être y trouverais-je un mot, une lettre, une photo.
Je me suis levé, j’ai tiré la chasse d’eau, j’ai filé dans la salle de bain pour me laver les mains, et je suis revenu vers l’entrée, lorsque mon téléphone a sonné.
« Ciao amore. Ben tornato ? »
C’était Gloria, une plus que ravissante avocate au barreau de Rome, collègue de José qui, malgré son prénom Espagnol (Argentin devrais-je préciser), était tout ce qu’il y a de plus Romain. Son père, l’oncle Fabrizio, était parti vivre et travailler à Buenos Aires. Là-bas, il avait épousé la fille d’un célèbre présentateur de la télévision, et mon cousin était né un an et demi après. L’instabilité et l’insécurité qui régnait dans ce pays dans les années quatre-vingt, avait fait revenir mon oncle et sa petite famille dans sa mère patrie.
La voix chaude profonde et sensuellement cassée de ma toute dernière conquête, dont les formes hautement érotiques, étaient encore brulantes dans ma mémoire, m’avait provoqué une érection dont j’aurais eu du mal à me défaire, vu que j’allais coucher tout seul. Célia, ma maîtresse en titre (Plus pour très longtemps d’ailleurs) vivait à Cannes, et Maïa, ma tante, ma marraine, ma tutrice et la sculptrice de mon cœur, avait voulu rester quelques jours de plus dans la Ville Eternelle, trop heureuse d’avoir retrouvé, grâce au mariage, des cousines dont elle était restée trop de temps sans nouvelles.
Coucher avec sa tante, je le concède, n’est pas une pratique très courante dans les familles et peut parfois coûter cher au parent suborneur, accusé d’avoir abusé de son autorité morale et physique, envers un être encore faible et influençable. Or, dans notre cas, c’était plutôt le contraire qui s’était produit. Moi l’enfant, je réclamais souvent son lit pour pouvoir m’endormir dans la chaleur de son corps, l’odeur de sa peau, et la douce rondeur de ses seins sur lesquels s’attardaient mes petites mains et se posaient mes frêles lèvres.
Mes parents, Yan-Gaël et Stéphanie, étaient morts un terrible 8 décembre 1983, dans l’avion qui devait les ramener de Madrid, à Rome où ils comptaient passer trois jours de congés.
A la suite de cette tragédie, le juge des mineurs devait statuer sur la garde et l’éducation de l’orphelin de trois ans que j’étais devenu. D’un côté Pierre-Loïc Lepervier, mon grand-père et parrain, de l’autre côté, Marie Léchin, dite Maïa Lechinska, ma marraine. Papi avait soixante et onze ans, et était en pleine forme physique, hélas il en était pas de même pour mamie Claude dont la maladie d’Alzheimer avait commencé son ravage neuronal. Ma tante avait trente-huit ans, pas de mari, ni d’amants (du moins, pas officiel) et son art, la sculpture, lui rapportait suffisamment de moyens pour ne me priver de rien ; en outre, elle promit au juge, que son art passerait au second plan, par rapport à mon éducation ; ainsi, après en avoir pesé le pour et le contre, le magistrat me confia à elle, au grand soulagement de papi et mamie qui n’auraient pas eu la force et l’énergie de m’élever. Il a été conclu, cependant, que je devais passer mes vacances d’été chez eux (Avec Maïa si elle le désirait).
A l’énoncé de la décision, après que le marteau du juge eut frappé le socle et qu’il eut prononcé : « Affaire suivante ! », elle m’a serré dans ses bras, m’a couvert de larmes et de baisers et m’a répété qu’elle ne m’abandonnerait jamais. Grâce à elle, j’ai passé une enfance heureuse et insouciante, et même si je n’ai jamais pu guérir de la mort tragique de papa et maman, je n’ai pas connu d’autres souffrances, mais de la douceur, de l’affection et surtout l’amour, à très haute dose.
Si l’enfant que j’étais, s’endormait apaisé auprès d’elle (les nuits où les cauche-mars me réveillaient en sursaut), l’adolescent que j’étais devenu, n’a jamais eu honte lorsque, enfermé dans les toilettes, je m’excitais de sa bouche, de ses seins ou de ses cuisses, pour mener à bien mes masturbations, dont elle n’ignorait rien du rôle qu’elle y tenait.
Enfin, ce « moi » issu de cette période troublante, dont les doigts de ma main ni ceux de mes pieds ne suffisaient plus pour compter le nombre de mes maîtresses, n’était toujours pas parvenu à couper le sacro-saint cordon « non ombilical » qui me liait à elle, et nous nous délections toujours à prendre notre douche ou notre bain ensemble, puis à nous ruer sur le lit ou aucun interdit n’existait sinon celui de ne pas franchir la ligne jaune.
« Ben tornato, bellezza mia. Tu me manques terriblement. »
D’un ton ironique elle m’a demandé :
« Io, o le mie tette ?
— Tutto. »
Ce jeu de mots – involontaire – lui avait provoqué un rire de gorge qui avait accentué mon érection et je n’avais que deux moyens pour la faire passer, une fois la conversation finie : la ceinture de cilice, ou l’huile de coude. Comme j’étais dépourvu de cette première, il ne me restait plus que la méthode d’Onan qui, contrairement aux rumeurs malveillantes, ne rendait ni sourd, ni aveugle, ni stupide. Bien au contraire !
Nous avons passé de délicieuses minutes à nous parler puis, vaincue par la fatigue et l’immense travail qui l’attendait le lendemain, elle m’a souhaité, malgré son absence, une douce et apaisante nuit.
Le coup de fil suivant, provenait de la sculptrice de mon cœur qui me racontait par le menu détail ses heureuses retrouvailles avec ses parentes (qui étaient aussi les miennes, par voie de filiation), et m’annonçait son retour pour le surlendemain, puis :
« Tu ne m’en veux toujours pas d’être restée quelques jours de plus ?
— Non Maïa de mon cœur.
— Bon. Je te promets qu’à mon retour nous ferons la fiesta… A moins que tu ne sois pris ailleurs.
— Marraine de mon cœur, n’oublie jamais, que même si j’étais marié, tu seras toujours ma douce infidélité.
— Je t’aime.
— Moi aussi, Maïa. »
Puis je l’ai embrassée partout où la décence le permettait. La sienne, à mon égard, a toujours été très large d’esprit.
Il était près d’une heure du matin, la fatigue commençait à s’emparer de moi, ma valise traînait toujours au centre de l’entrée, et je n’avais toujours pas déballé le cadeau de ma supposée cousine ; donc, à voir ce qu’elle m’avait offert. Ne voulant pas céder trop vite à la curiosité, j’ai décidé que ma priorité serait d’aller défaire ma valise, ôter mes affaires de voyage que je déposerais dans le panier à linge, les nombreux présents reçus pour mon nouvel âge ; puis, passer une tenue pour la nuit (autant dire : pas de tenue du tout, puisque je dormais toujours nu) et, enfin, défaire les bandes adhésives qui tenaient le papier et voir ce qu’il contenait. Moins de cinq minutes après, j’avais de-scotché le papier, lequel enveloppait, à son tour, un épais emballage bulle me laissant supposer de la fragilité de l’objet. Avec d’infinies précautions j’ai défait ce deuxième emballage, et j’ai vu apparaître un sein moulé. Jamais, de ma vie de pécheur, de lubrique, de fornicateur et autres qualificatifs de ce genre, je n’en avais vu d’aussi beaux, d’aussi magnifiques, d’aussi splendides et d’aussi parfaits. Seule une Déesse (Vénus en l’occurrence) ou une femme de rêve (sauf dans les miens) pouvait posséder une semblable florescence ; et je suis resté de longues minutes à le tourner et à le retourner dans tous les sens, à le contempler, avec la même admiration, la même béatitude et la même extase que Blaise Pascal, s’il se fût trouvé nez à nez devant celui de Cléopâtre.
« C’est de plus loin le plus beaux de ta collection ! Me suis-je écrié. Et dire que je ne peux même pas mettre un nom dessus. »
Erreur, un papier avait glissé par terre. Je l’ai ramassé, l’ai retourné et j’y ai lu un prénom tapuscrit, en gras et en lettres majuscules : ROXANE
Le papier dans une main, le moulage dans l’autre, je cherchais un visage, une silhouette, un son de voix, un parfum. La moindre brindille de souvenir d’une Roxane, à laquelle je pourrais rattacher les deux éléments, car j’avais exclu d’emblée les deux femmes de ma connaissance, portant ce même prénom. L’une s’appelait Roxane Garridon. Elle était l’épouse d’Etienne mon proche collaborateur au service du patrimoine des Alpes Maritimes, lorsque je travaillais encore au Conseil Départemental. L’autre, s’appelait Roxane Trezzo. Elle avait trois chats, un strabisme et des formes callipyges, qui me l’avaient fait surnommer Vénus. Elle était ma fleuriste.
Bien que dotées généreusement par la nature, de ce côté-là, (Mes yeux en sont témoins, hélas mais pas mes mains), ce moule ne leur eût pas convenu. Le sein (Lequel ?) de ma généreuse « cousine » était un peu moins développé mais ô combien plus attirant pour mes sens (audition incluse ; car même si cet organe divin ne parle pas, il possède une musique…).
Ainsi, à presque deux heures du matin, le mystère restait entier, car aucun autre élément ne m’avait permis d’en savoir plus sur cette mystérieuse cousine.
Epuisé et persuadé que la nuit m’aurait porté conseil, j’ai emporté le moulage dans ma pièce de travail, et je l’ai déposé dans ma vitrine, non pas à la place qui lui revenait, c’est-à-dire la dix-neuvième par ordre de succession, mais à la première ; car de tous, il était le plus beau, et c’était le moindre des honneurs que je me devais de lui rendre.
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