Chapitre 3

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Après une attente interminable (l’avion avait trois quarts d’heure de retard), j’ai vu sortir les premiers passagers, cherchant des yeux des visages familiers Des bras se sont levés, des sourires se sont dessinés sur les traits fatigués ; et puis, ça courait dans tous les sens, ça s’étreignait, ça s’échangeait des baisers, des caresses, et quelques poignées de mains.

Je la guettais. J’ai cru l’apercevoir derrière un homme corpulent. Je me suis approché, et je l’ai vue enfin. Toujours aussi belle, toujours aussi désirable. Cheveux Blond Vénitien mi-longs et désordonnément coiffés, veste à galons bleu foncé sur chemisier blanc largement déboutonné, jean moulant et baskets noires. Un homme marchait à côté d’elle. Ils plaisantaient. Il ne quittait pas des yeux sa gorge, et cela ne semblait pas la perturber le moins du monde.

Avait-elle remarqué ma présence ou, trop accaparée par les violons de ce bellâtre elle ne m’avait pas encore aperçu ?

J’ai eu un petit pincement au cœur. Je l’entendais déjà me dire :

« Ah mon chéri, je te présente mon nouvel amoureux. Il m’invite à passer quelques jours dans sa villa à Saint Tropez. Tu ne m’en veux pas de t’avoir fait venir pour rien ? »

Et du coup, c’est moi qui ne l’ai pas vue pas foncer dans ma direction pour se jeter dans mes bras.

« Mon trésor, comme je suis contente de te revoir ! »

Mon serrement de cœur avait disparu. Mes prunelles plus que braquées sur sa généreuse poitrine, je lui ai glissé à l’oreille :

« Maïa de mon cœur, tu veux que je te viole sur place ? »

Elle a rigolé. Elle m’a donné une petite tape sur le nez :

« Vilain. Tu ne veux pas attendre qu’on soit à la maison.

— Je te prends au mot. »

Elle s’est esclaffé de plus belle et m’a rétorqué :

« Moi aussi. »

Et nous sommes partis riant comme des bossus. Du coin de l’œil, j’ai aperçu le galant se retourner sur nous, tout en s’éloignant :

« Qui était ce casca morto ? Comme aurait dit Zia Mélia

— Mon voisin de siège. Il a été très gentil et courtois, m’a-t-elle dit comme pour se justifier.

— Oui. Et tu as vu comme il regardait ton échancrure ? »

Elle m’a répondu en haussant légèrement les épaules :

« Je n’y ai pas prêté attention. » Puis, m’ayant fixé droit dans les yeux « Tu ne serais pas un peu… jaloux.

— Terriblement.

— Qu’est-ce que je devrais dire moi.

— Tu sais bien qu’elles n’ont jamais compté. Tu es mon seul grand amour. »

— Toi aussi, tu l’es. »

D’un ton de faux reproche, je lui ai demandé :

« Et Andreas ? »

Elle a levé béatement les yeux au ciel

—Il me chavire.

— Et tu oses dire cela devant l’homme le plus follement amoureux de toi ? Je lui ai lancé d’un ton d’amant bafoué »

Elle s’est agrippée à mon bras et a pris sa voix la plus douce, celle qui apaisait mes craintes et dissipait mes angoisses :

« Toi tu ne cesses de me chavirer depuis tes trois ans. Je préfère perdre dix soupirants, qu’un dixième de toi. »

Lorsque j’ai eu chargé sa valise dans le coffre de mon Allemande au prénom Espagnol, je lui ai demandé :

« Nous passons la nuit chez toi, ou chez moi ?

— Chez toi ! J’ai envie de le voir ce cadeau de ta mystérieuse cousine.

Puis, quand nous roulions sur la Promenade des Anglais :

« Tu n’as toujours aucun indice ?

— Hélas non. Aucune autre Roxane sortie des tréfonds de ma mémoire, si ce n’est mademoiselle Debussy. »

J’ai fait un geste vague :

« Mais elle… »

C’était notre prof d’histoire géo, lorsque Ludwig et moi étions en seconde. Elle avait des yeux gris au regard mutin, un petit nez pointu, des lèvres sur lesquelles, mon presque frère et moi, aurions volontiers plaquées les nôtres, une sublime voix veloutée, et surtout, elle ne portait jamais de soutien-gorge (qualité très appréciée des adolescents que nous étions), et nos yeux, sans vergogne, allaient se perdre dans le décolleté de ses robes, lorsque par bonheur elle se penchait sur nous pour vérifier que nous prenions bien des notes de son cours.

« Tu te rends compte, Maïa de mon âme, que je me souviens encore de la forme de ses seins ? C’étaient des petites clémentines.

— Que tu aurais volontiers pressées contre tes lèvres.

— Je ne te le fais pas dire, adorable marraine… Mais cette nuit, ce sont les tiens que je vais goûter.

— Si tu n’aimes pas les fruits avachis. »

J’ai levé les yeux au ciel.

« Sauf le respect que je te dois, ma tante chérie, tu dis des bêtises. D’ailleurs, je n’ai jamais compris pourquoi tu n’as jamais voulu m’offrir le moulage de ton gauche.

— Parce que je ne suis pas ta maîtresse, mon amour.

— Tu aurais pu être ma femme, si tu avais accepté la déclaration de mes sept ans. »

Elle s’est tournée vers moi et m’a souri. Si je n’avais pas l’impérieuse contrainte de regarder la route, j’aurais pris sa tête entre mains et j’aurais déposé sur ses lèvres le plus beau des baisers d’amour.

« Je m’en souviens. Comme c’était mignon et émouvant. »

Elle m’a caressé la joue.

C’était une nuit, après qu’elle m’eût couché, bordé et couvert des milliers de baisers que je lui réclamais, je lui ai demandé d’approcher son oreille de ma bouche, parce que j’avais un secret à lui confier. Elle s’est exécutée et je lui ai dit tout bas que je voulais l’épouser, parce qu’elle était belle, parce qu’elle était gentille, parce qu’elle souriait tout le temps, parce qu’elle ne me grondait jamais, parce qu’elle sentait bon et enfin, avec un gros nœud dans la gorge, j’ai ajouté, parce qu’elle ne m’avait pas abandonné comme maman.

Elle m’a serré encore plus fort que d’habitude et m’a rétorqué :

« Tu sais, ni maman ni papa ne t’ont abandonné. On les a appelés là-haut alors qu’ils avaient tellement envie de revenir. Et tous les soirs je les entends pleurer parce qu’ils t’aiment tellement et sont si loin de toi. Ils me demandent comment tu vas, si tu es sage ; et je leur réponds que tu vas très bien, et que tu es le plus sage de tous les petits garçons.

— Et toi, tu n’iras pas, n’est-ce-pas. Tu ne vas pas me laisser tout seul. »

Elle m’a étreint de toutes ses forces et quelques perles ont coulé de ses beaux yeux vert intense.

« Non, mon trésor, je ne t’abandonnerai jamais. Et si on m’appelle je n’irai pas. Je resterai avec toi.

— Alors, on pourra se marier ? »

Elle a ri :

« Quand tu auras l’âge de te marier, je serai devenue une vieille dame avec des rides partout.

— Ça ne fait rien ! Je t’épouserai quand même, parce que tu seras toujours aussi belle et je t’aimerai toujours. »

Elle s’est étendue à côté de moi, m’a caressé les cheveux, m’a donné un baiser sur chacune de mes paupières, puis un autre sur le bout du nez et m’a dit qu’elle m’aimait elle aussi très fort.

Lorsque je lui ai tendu le moulage, elle n’a pas eu besoin de le regarder longtemps pour apprécier, non seulement le travail, mais également la pureté de la forme.

« En effet, il est très beau. »

Puis, paraphrasant La Fontaine :

« Si son visage ressemble à ce moulage elle est le Phénix des hôtes de cette ville.

— Tu penses qu’elle est de Nice ?

— De cette planète, si tu préfères.

— Rien n’est moins sûr, Maïa chérie.

— Quoi ! Tu la crois extraterrestre ?

— Non. Pour la beauté. Le ramage du corbeau, laissait à désirer.

— Le renard l’a flatté pour avoir son fromage.

— Et moi, pourquoi devrais-je la flatter ?

— C’est elle, qui semble le faire, en terre-cuitant le plus féminins de ses organes, dont tu es si friand. A coup sûr elle a lu ton dernier roman, et écouté tes interviews.

— Donc ?

— C’est une de tes admiratrices, et il y a neuf chances sur dix qu’elle te suive sur Facebook. »

Maïa avait sans doute raison (comme d’habitude), mais je voyais mal une Roxane (combien étaient-elles à me suivre ?) se faisant passer pour ma cousine auprès de madame Prunier, pour me remettre un cadeau, sans autre explication que son prénom. Des seins moulés, j’en avais reçus douze (que j’avais pris soin de ranger séparément des autres) depuis la parution de la première partie de mon dernier roman « Seins au formol » et les quelques interviews qui ont suivi, où j’ai dû faire état de ma collection, au su des bruits qui couraient déjà à son propos. Tous, m’étaient parvenus par colis postal, via ma maison d’éditions. Chaque paquet, contenait une lettre où figurait, entre autres, le nom et le prénom de la donatrice. Alors, pourquoi cette lectrice aurait-elle agi mystérieusement ? En admettant même, comme l’avait paraphrasé Maïa, que son visage (ainsi que le reste de sa physionomie) se fût rapporté au moulage, pourquoi ne m’avoir pas envoyé sa photo ? Devais-je en conclure, par conséquent, que sa beauté était inversement proportionnelle à l’empreinte de son sein ?

Il était onze heures passé, le ciel était bleu pur, le soleil brillait, les plantes et les fleurs exhalaient leurs parfums printaniers, les oiseaux chantaient sur les branches, et ma tante était plus désirable que jamais. Je l’ai embrassé sur les lèvres et lui ai proposé une restaurant suivi d’une promenade romantique sur le cap de Nice, le cap Ferrat, le cap d’Ail, le cap Martin ou, si elle préférait l’ouest du département, le cap d’Antibes, ou la Croisette.

Elle m’a laissé le choix.

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