Chapitre 6

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Dans l’avion, l’une des hôtesses m’a reconnu et, contrairement à ce que j’avais affirmé à une journaliste qui m’avait demandé ce que je regardais en premier chez une femme : « Vos mains, mesdames : ‘’Téméraires blancheurs, oiseaux de paradis’’ », ce sont ses seins pulpeux comme des oranges que j’ai remarqués en premier, malgré son veston, son chemisier et, son soutien-gorge. Que pouvais-je y faire si mes yeux s’affolaient, dès qu’ils percevaient leur présence ? Géraldine les disait atteints de tropisme mammaire. Aurélie, plus poétiquement, les appelait : « les tourne-seins de ma florescence. » Mot que je lui avais inculqué, à force de le répéter, chaque fois que je la voyais si belle, si ferme, si épanouie.

« J’espère que vous faites un agréable voyage. »

Je lui aurais volontiers répondu, qu’il l’eût été davantage, si elle avait été ma voisine de siège, à la place de ce monsieur en bras de chemise, sentant la transpiration et les embarras gastriques, qui compilait toute une série de camemberts et de graphiques de toutes les couleurs sur son ordinateur. Encore un larbin d’entreprise, que l’on nomme pudiquement « cadre commercial », que l’on use à force de voyages, d’un bout à l’autre de la planète, que l’on harcèle au téléphone à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit – samedis et dimanches inclus – pour le bien-être du chiffre d’affaires, et le sommeil apaisé des actionnaires.

Il a levé les yeux vers l’hôtesse, songeant sans doute que c’est à lui qu’elle s’adressait, mais très vite il les a baissés vers sa série de graphiques quand il s’est aperçu, que c’est moi qu’elle regardait.

« Très agréable, merci.

— J’aime beaucoup ce que vous écrivez, et c’est dommage que je n’aie pas sur moi les deux tomes de votre dernier roman. Je vous aurais demandé de me les dédicacer.

— Mardi je les dédicace dans une librairie du XVème ‘’Le cadratin’’. »

Elle a fait une moue dépitée.

« Je serai à Buenos Aires.

— Dans ce cas, sur Facebook, vous trouverez les dates de mes prochaines dédicaces.

— Je vous suis déjà, monsieur Cantié. »

Puis, bas à l’oreille :

« Je m’appelle Roxane Darroux.

— Vous avez un prénom très beau. » (Hélas, ce n’était pas elle ma mystérieuse cousine !)

Elle m’a souri, puis elle s’est retournée et m’a souri à nouveau :

« Désolée on me demande en cabine. »

Elle a filé, laissant derrière elle la trace délicate de son parfum à la rose.

J’ai vidé ma coupe de champagne, mon voisin m’a abordé. Il avait des yeux globuleux, un visage couperosé, un sourire débonnaire, et une voix haletante qui sortait de ses lèvres lippues :

« Ma sœur et mon beau-frère, aiment beaucoup vos livres. »

Puis, comme pour s’excuser de ne pas les aimer lui-même :

« Mon métier ne me laisse plus guère de temps pour lire, mais enfant et jeune homme, j’adorais ça. Verne, Hemingway, Twain, Hougron, Arnaud, Vailland. Tous les romans où il y avait de l’aventure et de l’évasion.

— Je vois.

— Jules Verne étant mon préféré. C’est le seul auteur que je relise lorsque j’ai quelques instants pour moi. Et vous ?

— Vous dire les écrivains que je n’ai pas lus, prendrait moins de temps. La mère de mon meilleur ami, que je connais depuis mes sept ans, tenait une librairie. C’est vous dire si nous nous régalions tous les deux dans l’arrière-boutique. »

Il m’a lancé un regard admiratif. Il a reniflé, s’est retourné pour roter discrètement ; puis, après s’être excusé :

« Et quel est votre auteur préféré ?

— Celui qui a écrit le dernier roman qui m’a plu. »

Il a hoché la tête en répétant ma réplique en sourdine, et je me suis lancé dans un grand discours sur l’homme et sa manie de vouloir donner des préférences à tout : Quel est votre musicien préféré ? Quel est votre peintre préféré ? Quel est votre film préféré ? Quelle est votre ville préférée ? Quelle est votre fleur préférée ? Quel est votre plat préféré ? A la rigueur que l’on demande quel est le musicien que l’on écoute le plus, le peintre dont a vu le plus de tableaux, la ville où l’on se rend le plus souvent etc. Car toute préférence nécessite comparaison. Mais peut-on comparer, par exemple, un écrivain d’un pays de soleil, d’un confrère d’un pays de brumes ? Un auteur de romans policiers, d’un auteur de romans d’amour ? Absurde. Aussi absurde que de vouloir établir un parangon entre un matheux et un littéraire ! J’avais souffert à l’école de mes faibles penchants pour les chiffres, les équations, les théorèmes, les abscisses et les ordonnées, les poussées Archimédiennes et j’en passe.

Il m’écoutait abasourdi tout en balançant son chef de haut en bas et de bas en haut à chaque ponctuation ; avec, de temps en temps, des petits « oui, oui » à peine esquissés.

« Et pour en revenir aux écrivains, ai-je ajouté en guise de conclusion, je vous avouerai qu’au moment de ma thèse, je ne savais lequel choisir.

— Et comment avez-vous fait ?

— J’ai demandé à mon meilleur ami…

— Celui dont la mère était libraire ?

— Lui-même. Je lui ai donc dit de choisir deux livres dans ma bibliothèque, de les cacher derrière son dos et de me faire choisir une main. Dans la droite il tenait « Nana » et dans la gauche, « Le petit chose ».

— Et lequel avez-vous choisi ?

— Daudet.

— Ah.

— Dans le fond, je ne le regrette pas. Il y en avait moins à dire, donc c’était plus passionnant.

— Oui. »

Il s’est fait un petit silence, qu’il a interrompu :

« J’ai entendu que vous dédicaciez votre dernier roman dans une librairie.

— ‘’Le cadratin’’ dans le quinzième. »

Il a balancé trois fois sa tête de haut en bas, puis :

« Et c’est quand ?

— Mardi. De neuf heures à midi et de deux heures à cinq heures et demie.

— J’appellerai ma sœur pour le lui dire. »

Il m’a souri :

« Elle s’appelle Françoise… Françoise Caumin. »

J’ai acquiescé. Une voix d’hôtesse (pas celle de Roxane) nous a demandé de boucler nos ceintures et relever notre tablette, car l’avion amorçait son atterrissage sur Paris où la température au sol était de onze degrés, le ciel était couvert, mais sans menace de pluie.

Je me suis demandé quelle tête pouvait bien avoir sa sœur. Lui ressemblait-elle ? Etait-elle plus jeune ? Compilait-elle aussi, des graphiques sur un ordinateur ?

Lorsque nous nous sommes séparés, dans le hall des arrivées, je me suis rendu compte que j’avais oublié de lui demander son métier. Je ne saurais jamais à qui étaient destinés ces fromages.

Célia était sur répondeur. Répétition, répétition.

Elle était violoncelliste à l’orchestre de Cannes, et le jour où je l’ai rencontrée, elle m’a avoué qu’elle se serait suicidée, à cause d’une rupture. Moi, cela faisait trois mois que je venais de rompre avec Solen, et les deux fois où nous nous étions revus, depuis, ont été pires que si nous ne nous fussions jamais revus. Alors, forcément, nos deux cœurs brisés, avaient beaucoup de choses à se dire.

Elle a tout de suite trouvé que j’étais l’homme qu’il lui fallait, j’ai tout de suite réalisé que je devais m’éloigner d’elle le plus vite possible. En effet, si nous nous faisions du bien horizontalement, la position verticale ne nous réussissait pas du tout. Nos goûts étaient oxymoriques ; ce qui donnait des polémiques à n’en plus finir, et des tractations fastidieuses, qui ne finissaient jamais qu’au lit et, après l’assouvissement de nos sens, se concluaient toujours par des accords bâtards qui ne duraient généralement pas.

Ces quarante kilomètres qui nous séparaient, nous aidaient à mieux supporter les fois où nous étions ensemble.

Très vite elle a appris qu’Alex Cantié et moi, étions la même personne et que, par voie de conséquence, sa collection de seins moulés, était aussi la mienne. Cela la dégoûtait au point que je n’ai même pas osé lui faire ma demande et que, toujours avec le sourire, elle menaçait de la réduire en poussière si jamais elle tombait dessus.

Dieu merci, l’armoire se trouvait dans ma pièce de travail, que je fermais toujours à clé, et celle-ci ne quittait jamais mon trousseau.

Hélas, ma précaution a eu sa faille. Mais pour le moment, j’étais arrivé à Paris, et mon premier moyen de transport, m’avait déposé à Antony où je devais aller prendre le RER B jusqu’à la gare du Nord ; puis la ligne 5 du métro jusqu’à Jaurès, et en fin une bonne marche d’une quinzaine de minutes jusqu’à l’avenue Simon Bolivar où Ludwig, Violette et leurs deux filles m’attendaient avec impatience, surtout l’aînée des deux, Elodie, qui allait fêter ses onze ans.

Et, justement, en parlant du loup c’était elle qui faisait vibrer mon portable, lorsque je me trouvais depuis une quinzaine de minutes dans le RER.

« Tu n’es pas encore là, parrain ?

— Bientôt ma grillonne. Encore une petite demi-heure.

— C’est long.

— Je le sais. Mais je serai à l’heure pour ta boum.

— Tu sais combien de copines et de copains seront là ?

— Mille !

— Oh non ! Tu exagères ! »

Et derrière, j’entendais la voix de Ludwig qui disait d’un ton de faux reproche : « Alors mademoiselle ça se fait de prendre le portable de son père ? » et elle qui répondait : « Mais papa, je voulais juste savoir s’il était bientôt arrivé. » Et lui, lui rétorquant : « Mais oui. » Puis, à moi : « N’est-ce pas parrain ? » Et moi : « Une petite demie heure. »

« Bon, m’a-t-elle dit. Je te fais plein de bisous et je vais compter les secondes. »

Elle a raccroché, et le RER est arrivé Gare du Nord. Il ne me restait plus qu’à rejoindre le quai de la ligne 5, direction Bobigny Pablo Picasso. Ma valise n’était pas très lourde (j’avais pu lui éviter le voyage en soute), et pas trop encombrante non plus. Le panneau indiquait l’arrivée de la rame dans moins de deux minutes. Célia venait de m’envoyer un SMS : « Ne m’appelle pas avant dix heures et demie, ce soir. Répétition, répétition. Je t’aime » suivi de quatre émoticônes « Cœur ».

Lorsque le métro est arrivé, lorsque les portes se sont ouvertes, j’ai vu descendre une foule de passagers qui semblaient tous pressés de sortir, soit pour se retrouver à l’air libre, si leur voyage était fini, soit pour rejoindre leur quai de correspondance, s’ils n’avaient pas encore atteint leur destination finale.

Des hommes, des femmes, rassemblés uniquement le temps du trajet, se sont déployés dans tous les sens ; certains pressant le pas, d’autres prenant leur temps, mais chacun dans sa bulle sous son casque, sous ses oreillettes, ou tout simplement dans ses pensées. On aurait dit des automates suivant une direction qui leur avait été programmée, et minutée d’avance : cerveaux composés de circuits intégrés à la place des neurones.

Malgré la masse compacte qui déferlait sur le quai, personne ne se bousculait, personne ne se rentrait dedans. On s’esquivait mutuellement. Radars à la place des yeux, capteurs le long des membres. Mais, dans tout ce conglomérat anonyme, une femme et moi, nous nous sommes remarqués. Elle a tourné la tête, comme j’ai tourné la mienne. Dans nos yeux la surprise. Elle, comme quelqu’une qui ne serait pas attendue à me voir sur ce quai, moi me demandant où avais-je déjà vu ces si beaux traits (Car elle était très belle !). Or je devais monter dans la rame d’où elle était descendue, elle devait rejoindre sa destination. Mais ces quelques secondes où nos regards se sont croisés, resteraient inoubliables pour moi.

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