Chapitre 19

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 Hall des départs du terminal 1, aéroport Nice Côte d’Azur, à 21 heures 30. Un couple s’embrassait avec ardeur. La femme était grande, élancée avec des cheveux noirs crépus qui lui descendaient jusqu’au dos. Sa peau était foncée, ses traits délicats. Elle avait des mains aux doigts longs et fins, croisés autour du cou de l’homme qui avait quelques centimètres de moins qu’elle, la peau claire et des cheveux blonds coupés courts. Par rapport à la position des deux corps, on devinait sans mal que c’était elle qui partait. En effet, elle tournait le dos à l’escalier qui conduisait à la zone d’embarque-ment ; signe qu’après leur baiser, elle n’aurait qu’à effectuer un demi-tour pour s’y élancer, tandis que lui resterait là à la regarder s’éloigner, levant le bras, lui envoyant de la main d’autres baisers qu’elle emporterait dans son long voyage jusqu’à Pointe à Pitre.

Autour d’eux, les autres voyageurs et accompagnateurs, passaient sans leur prêter attention, sans entendre les mots d’au revoir, et les promesses de s’appeler et de s’écrire.

« On ne va pas rester dix-sept ans encore sans se donner de nouvelles. Avec les portables, internet et Facebook. »

Je lui ai souri.

« Non, ma Reine des îles.

— Bon. La prochaine fois, c’est toi qui viens me voir ?

— Promis.

— Tu seras hébergé gratuitement dans la plus belle chambre.

— Pour y dormir tout seul ?

— Non, avec moi… Ou avec Roxane, a-t-elle ajouté avec un petit rire ironique. »

J’ai haussé les épaules

« Tu as encore prononcé son nom, hier dans ton sommeil.

— Tu me charries.

— Non. Tu as encore rêvé d’elle ? »

J’ai balbutié :

« N… Non »

Elle a ri :

« Ne te mine pas. Je te l’ai dit : je ne suis pas jalouse. Tu n’es ni mon mari, ni mon amant, et en plus, tu m’as super bien baisée. Que demander de plus ? »

Elle m’a donné un dernier baiser :

« En tout cas, merci pour tout le plaisir que tu m’as donné. N’oublie pas que tu seras toujours le bienvenu dans mon lit. »

Puis elle a grimpé les marches et est allée rejoindre la queue des voyageurs en attente d’être palpés, à moitié dénudés, par des gorilles qui, à cette heure de la journée, devaient sentir plus le rance que la rose.

Oui, j’avais encore rêvé d’elle. Oui, Roxane avait hanté une fois de plus ma der-nière nuit avec Fabienne.

Je courais dans un pré où voletaient des mots que j’essayais d’attraper dans mon filet à papillon, qui s’enfuyaient aussi vite qu’ils y étaient entrés, tandis qu’autour de moi, Laureen, Alice, Delphine, Solange, Laure, Christine, Sylvie, Aurélie, Brigitte, Camille, Anaïs, Géraldine, Aurore, Tania, Ariane et Solen, nues, et privées de leur sein gauche, riaient bruyamment en se moquant de moi :

« Alors, mon chou, me disaient elles, tu ne sais plus maîtriser les mots ? Tu les laisses s’envoler ? Honte à toi. »

Moi, tout en continuant à poursuivre articles, substantifs, verbes et adjectifs je me lamentais :

« J’ai besoin de vos seins pour les apprivoiser. »

A quoi elles me répondaient en s’esclaffant :

« On a déjà donné, mon chou, et regarde le résultat. Cherche d’autres pigeonnes. »

Et je leur criais :

« Mais ce n’est point ma faute ! C’est Célia ! C’est Célia ! »

Et, derrière moi, une voix m’a dit :

« Elle les a tous détruits sauf le mien. »

Je me suis retourné. Roxane était en face de moi. Je pouvais admirer son corps aux formes épanouies et généreuses, mais pas sa tête qui était floutée. Son sein droit était réel, en argile était le gauche. Elle a pris ma main et l’a posée dessus en disant :

« In hoc sinus vinces. »

Puis elle s’est éloignée. C’est à ce moment-là que j’ai dû crier son prénom.

En détruisant ma collection, cette Attila en jupon avait non seulement réduit en poussière quatorze ans de souvenirs, mais également les sources de mon inspiration. En effet, afin de conjurer la leucosélophobie, (Que tout écrivain redoute), je caressais les seins de ma collection. Lorsque j’ai rallongé ma nouvelle : « Un ange nommé Solange » pour qu’elle devienne roman, je n’en possédais que sept (Aurélie m’ayant offert le sien après la publication) et, contre toute attente, ce n’est pas celui de mon héroïne qui m’a inspiré, mais celui de Laure le cinquième et celui de Christine le sixième. Cinq ans après, lorsque j’ai écrit « Marianne sans foi ni loi », elle avait doublé et, quatre d’entre eux ont été les inspirateurs dont le sien, le quatorzième, et celui d’Aurélie pour la plus grande partie. En un mot, aucun des dix-huit moulages n’avait failli à sa mission ; et, en guise d’hommage, je citais le nom de mes inspiratrices dans la postface, rubrique : remercie-ments.

Celui de Roxane, seul survivant, dont je ne cessais de dire qu’il était le plus beau de tous, n’était qu’un objet en terre cuite, froid, sans âme. Le caresser ne provoquerait aucune sensation, aucun souvenir de moments passés au lit en train de faire l’amour, mes lèvres les embrassant, ma langue titillant leurs mamelons durcis, aucun souvenir de voix, d’odeur, de parfum, véritables fluides de mon inspiration ; et même si la fille de madame Prunier, m’en avait fait un portrait plus que détaillé, même si, pendant l’orage de la veille, j’avais eu la sensation de ne pas caresser une matière froide, mais un organe vivant et chaud, parfumé à l’huile d’amande douce, (Fabienne était convaincue que c’était un véritable signe envoyé par ma non existante cousine), elle demeurait une impression, un fantasme. Un peu comme si, j’avais possédé le moulage du sein gauche de Cléopâtre, de la belle Hélène ou, mieux encore, celui de la fille d’Oxyartès, épouse d’Alexandre le Grand.

« Pourquoi je n’ai pas pu voir ton visage ? Quel message tu as voulu m’envoyer en paraphrasant l’empereur Constantin ? Tu sais Roxane, je commence…

Quelqu’un a frappé à la vitre. Je l’’ai baissée. Une femme s’est penchée vers moi :

« Pardon, vous vous en allez ou vous venez d’arriver ? »

Je suis redescendu sur terre :

— Je… Je m’en vais. Excusez-moi.

— Pas de problème. »

Elle est remontée dans sa voiture. J’ai fait marche arrière et j’ai dégagé la place. Je n’ai pas bien distingué son visage, mais son parfum c’était de l’huile d’amande douce.

Une petite salade et une pomme. Puis je me suis mis sur ma page Facebook. Je devais actualiser son statut. Sandrine m’avait annoncé dans un mail…

Rosy Ram : « Bonsoir Alex, comment allez-vous ? »

Alex Cantié : « Très bien. Je m’apprêtais à ’actualiser ma page Facebook. Je viens d’apprendre par mon éditeur que 15 librairies de France et de Navarre m’invitent pour parler de ‘’Seins au formol’’ et le dédicacer.

Rosy Ram : « Où ? »

Alex Cantié : « Je vous donne la primeur : Je commence lundi en huit à Nice (Il était temps), puis Toulouse, Bordeaux, Nantes, Le Mans, Tours, Rouen, Paris (dans le 5ème), Le Havre, Lille, Dunkerque, Strasbourg, Nancy, Dijon et enfin, Lyon. Vous avez remarqué, aucune à Marseille (émoji : triste)… Et Nice, ce n’est pas un mercredi, ni un samedi. »

Rosy Ram : « Ah ! (émoji : désolé) »

Alex Cantié : « Vous seriez venue, autrement ? »

Rosy Ram : « Vous m’avez déjà dédicacé les deux tomes. »

Alex Cantié : « Vous auriez apporté un autre roman. On n’y aurait vu que du feu. »

Rosy Ram : « Et après ? »

Alex Cantié : « Je vous aurais invitée à boire un verre, et puis, à dîner. »

Rosy Ram : « Et à quelle heure je serais revenue à Marseille ? »

Alex Cantié : « Bon. Disons, juste un verre. Une demie heure pas plus. »

Rosy Ram : « Je n’aime pas conduire la nuit. »

Alex Cantié : « Je conduirais pour vous. »

Rosy Ram : « ??? Et où passeriez-vous la nuit ? »

Alex Cantié : « Il y a des hôtels dans votre quartier ? »

Rosy Ram : « Oui, deux. »

Alex Cantié : Voilà. Je prendrais une chambre dans l’un des deux. Et le lendemain, je rentrerais en train. Ça vous irait ? »

Rosy Ram : « Sauf que vous passez lundi. »

Alex Cantié : « (Emoji : triste) Hélas. »

Rosy Ram : « Vous avez tellement envie de me revoir ? »

Alex Cantié : « Très ! »

Rosy Ram : « Pourquoi ? »

Alex Cantié : « Dois-je répondre ? »

Rosy Ram : « Je crois que je connais la réponse. »

Alex Cantié : « Je vous écoute. »

Rosy Ram : « Parce que vous n’avez toujours pas trouvé où vous m’avez vue ; alors peut-être qu’en me voyant un peu plus longtemps, ça va vous revenir. »

Alex Cantié : « Faux mademoiselle… Pardon : madame. »

Rosy Ram : « Alors, pourquoi ? »

Alex Cantié : « Parce que je vous trouve très belle »

Rosy Ram : « Comment dois-je le prendre comme un compliment ou comme une banalité ? »

Alex Cantié : « La beauté n’est pas une banalité. »

Rosy Ram : « Je le sais, mais comme pour vous toutes les femmes sont belles, cela devient une banalité. »

Alex Cantié : « Il y a beauté et beauté. La vôtre est exceptionnelle. »

Rosy Ram : « Vous me flattez. Je vous remercie. Mais à quoi bon ? »

Alex Cantié : « Je le sais, Rosy. Vous n’êtes pas libre. Cela n’a pas empêché mes yeux de vous regarder et de vous trouver très belle. D’où cette envie de vous revoir. »

Rosy Ram : « J’apprécie votre compliment. Mais je n’arrive pas à croire que vous le pensiez vraiment. Vous êtes un amateur de femmes, et je n’ose même pas imaginer combien en avez-vous tenues dans vos bras. Elles devaient être autrement plus belles et ravissantes que cette petite institutrice qui aime vos livres et qui a plaisir à discuter avec vous via Facebook. Vous m’avez vue, dites-vous. Pourquoi, alors, si je suis si belle à vos yeux, vous n’arrivez pas à vous souvenir où ? »

Alex Cantié : « Je tenais avant tout à vous dire que le nombre de femmes que j’ai serrées dans mes bras était bien en deçà des mille trois Espagnoles qui se languissaient de Don Juan, bien en deçà encore des six cent quarante Italiennes, des deux centre trente et une Allemandes, des cent Françaises et même des quatre-vingt-onze Turques. A côté de lui, je ferais figure d’amateur de deuxième zone, de séducteur de superettes. Ensuite, la beauté n’a pas de parangon. La femme qui aura des mains de pianiste ne sera pas plus belle à mes yeux que celle qui aura des doigts boudinés. La beauté n’est pas ce que voient mes yeux, mais ce qu’ils me renvoient. Quelque chose que je ne peux définir mais qui me fait vibrer au plus profond de moi-même. Pourquoi vous traitez vous de petite institutrice ? Moi je leur dois tout aux miennes. Sans elles je ne saurais ni lire ni écrire et je ne serais sans doute pas l’écrivain que vous appréciez. Quand vous me parlez de vos journées avec vos petits élèves, avec tant d’amour et passion, j’aimerais pouvoir vous parler de la même façon de certains de mes romans, surtout pendant le temps où je les écris. Vous ne pouvez pas savoir le nombre de fois que j’ai failli jeter au feu le manuscrit de ‘’Seins au formol.’’ Le pire, ce fut ‘’Sainte Laureen tuez pour nous.’’ Je suis resté six mois sans en écrire une ligne, tellement il me sortait par les yeux ! Alors, vous voyez ? Enfin, quant à ne pas me souvenir où je vous ai vue, cela veut dire que votre éclat m’a marqué plus que l’endroit où je vous ai vue. Vous êtes très belle. Et peut-être que, dans le fond, je ne vous ai jamais croisée auparavant. Quand j’étais dans le RER, mon esprit a dû anticiper notre rencontre sur le quai. Le phénomène est très courant. Cela s’appelle l’impression du déjà vécu ou du déjà-vu. Ça a dû vous arriver. Et puis, quelle importance ? Cela n’enlève rien à l’admiration, et au respect que j’ai pour vous. Et je suis profondément sincère Rosy. Je ne joue jamais avec les sentiments. Ils sont trop précieux. »

Rosy Ram : « Alors, merci de tout mon cœur, Alex… Je crois que je vais aller me coucher. Demain je dois me réveiller très tôt. »

Alex Cantié : « C’est samedi. »

Rosy Ram : « Oui, mais je pars tout le weekend en randonnée dans les calanques. »

Alex Cantié : « Seule ? »

Rosy Ram : « Avec un groupe d’amis. »

J’avais failli lui envoyer : « Pas d’amies ? », mais j’ai préféré le plus classique :

Alex Cantié : « Bon weekend. Vous me raconterez ? »

Rosy Ram : « Oui. Et vous ? »

Alex Cantié : « Samedi je suis invité chez un couple d’amis à Saint Jeannet. Vous connaissez ? »

Rosy Ram : « Non. »

Alex Cantié : « Je vous raconterai. »

Rosy Ram : « D’accord. Bonne nuit, Alex… Et merci de tout cœur pour votre compli-ment »

Alex Cantié : « C’est moi qui vous remercie de l’avoir accepté. Bonne nuit Rosy. »

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