Chapitre 35

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 Elle m’a caressé la main :

« Tu n’aimes pas le repas que je t’ai préparé ? »

Je l’ai regardée comme si elle venait de ressusciter, comme si elle avait dit au jeune médecin : « Sortez-moi de là. Je n’ai rien. Ma marmotte m’attend, il a faim et moi aussi. Aidez-moi à ramasser mes courses qui se sont toutes éparpillées. »

J’avais envie de la serrer dans mes bras, de l’embrasser très fort, de pleurer et rire en même temps.

« Tu es sûr que tout va bien ? A-t-elle répété d’un ton angoissé. »

J’ai pris sa main, je l’ai serrée très fort dans la mienne, je l’ai apportée à mes lèvres. Le baiser que je lui ai donné était si puissant, que presque, je l’eusse aspirée.

Quinze minutes. Quinze petites minutes trajets inclus, lui avaient pris ces courses. Le cabas était plein à craquer. Du vin : rouge, blanc, rosé. De l’eau : plate et gazeuse. Des œufs, des fruits, des légumes, de la charcuterie, des condiments, de l’huile d’olive. Et je la regardais déballer ces victuailles, ces produits. Je rigolais :

« Quoi ! » Elle me pinçait le nez : « J’ai pensé à ta maison de Puget. Je parie qu’il n’y a rien de chez rien.

— Sans doute.

— Ah ! Et monsieur se moque de moi. »

Je l’ai prise par la taille. Je l’ai embrassée partout où me lèvres se posaient, elle se débattait gentiment :

« Une chose à la fois mon écrivain adoré. Sinon, nous ne mangerons jamais.

— Oui. »

C’est sans doute, lorsqu’elle m’a raconté :

« Il a dû se passer un accident plus haut. J’ai vu passer deux voitures de pompiers sirènes hurlante. »

Oui, c’est à ce moment-là que mon cerveau a tout déformé a tout transformé et, qu’à la fin, lorsque je pleurais à côté de sa dépouille, j’ai entendu papa me dire :

« Dernier avertissement, Anicet. »

« Oui, tout va très bien et ton dîner est un vrai régal. » J’ai laissé passer un petit ange qui se pourléchait les babines : « Si je te regarde de cette façon si mystérieuse, c’est parce que je ne réalise pas encore tout à fait que tu es là en face de moi, sauterelle. Que nous avons fait l’amour et que nous allons le refaire. Que nous allons passer quinze jours ensemble, rien que toi et moi. »

Elle a rapproché sa chaise de la mienne, a noué ses bras autour de mon cou et m’a attiré vers elle :

« Tu as raison. Moi non plus je ne le réalise pas encore tout à fait. Ce sera beau, n’est-ce pas ?

— Oui. Ce sera très beau.

— Pourquoi ?

— Parce que nous serons ensemble, parce que je suis heureux avec toi et… »

Elle m’a interrompu :

« Moi, tu veux dire Roxane ? La sœur de Déborah ?

— Oui, lui ai-je répondu surpris par cette double question aussi farfelue qu’in-compréhensible. Je ne vous en connais pas une troisième.

— Je pensais à Rosy. Si j’avais été vraiment elle, tu aurais été tout aussi heureux à l’idée de passer dix jours de vacances avec moi ?

— Tout à fait. Combien de fois je t’ai demandé tes coordonnées pour passer te voir à Marseille. Je t’ai même proposé de t’y ramener si tu étais venue au ‘’Cube’’, la première librairie de ma tournée…

— … Après avoir dîné avec toi.

— Tout à fait. »

Elle m’a souri :

« C’est vrai. » Elle a laissé passer un petit ange : « Et si en te promenant avec Rosy dans les rues de Marseille, tu rencontrais Roxane, que ferais tu ? »

Je me suis mis à rire :

« Avec qui se promènerait Rosy : Alex ou Anicet ? »

Ses yeux se sont grands ouverts, remplis de points d’interrogation ; puis elle a éclaté de rire et j’ai ri aussi et nous nous sommes embrassés en riant. Je lui ai demandé :

« Lorsque ton père a fait la connaissance de ta tante, qu’est-ce qu’il a fait ?

— Tu veux parler de tante Diane, la sœur jumelle de maman ?

— Oui.

— Il les a connues toutes les trois le même soir… Il y avait aussi tante Maggy... mais elle était déjà presque mariée. C’était dans une soirée. Le plus drôle, c’est que maman était avec un garçon, et c’est précisément elle qu’il a invitée.

— Ta tante était avec un garçon aussi ?

— Non. La seule des trois qui était venue toute seule.

— Et ton père a préféré inviter ta mère à danser.

— Oui. Il est tombé amoureux d’elle… Et ç’a été réciproque. »

— Réciproque… Donc, elle n’aimait pas le garçon qui était avec elle.

— Si, mais lorsqu’elle a vu mon père, ç’a été le coup de foudre.

— Et son copain, quelle tête il faisait ?

— L’oncle Fabrice ? Ça l’a arrangé, parce qu’à vrai dire, il en pinçait pour tante Diane.

— Et pourquoi il n’est pas sorti avec elle directement ?

— Il s’est rendu compte après que leurs caractères s’entendaient mieux.

— Et ta mère l’aimait ? »

Elle a hoché la tête :

« Pas autant qu’elle a aimé papa, lorsqu’elle l’a vu à cette soirée. Elles se sont mariées presque en même temps. Quand maman a accouché de Déborah, tante Diane a fait une fausse couche. Quand maman a accouché de moi, tante Diane a accouché de Joséphine. Voilà.

— Très belle histoire. Elle me fait penser à celle d’un certain jeune homme de dix-sept ans, qui était plus attiré par une sauterelle de douze ans que par sa sœur aînée avec laquelle il flirtait. »

Elle m’a embrassé :

« C’est tout à fait ça. »

Je lui ai rendu son baiser (Nos langues étaient à la fête) :

« Et si tu avais été accompagnée d’un garçon. Je t’aurais invitée à danser. »

Elle m’a rendu mon baiser :

« Et moi j’aurais dit oui, et j’aurais dansé et dansé avec toi jusqu’à la fin des temps. » Elle s’est tue, m’a regardé intensément dans les yeux et : « Parce que je t’aime, Anicet… » Elle m’a fermé la bouche : « Ne dis rien, je t’en prie. Ecoute moi jusqu’au bout. Je t’aime depuis le jour où tu t’es penché vers moi pour me faire la bise. Je t’aimais, quand j’avais ma main dans la tienne, je t’aimais quand tu me souriais, quand tes yeux se posaient sur moi. La nuit dans mon lit, je fermais les yeux et je te sentais tout près de moi. Tu me murmurais de jolis mots à l’oreille, et mon cœur se mettait à battre très vite, et dans mon corps je ressentais une douce chaleur qui descendait jusqu’au bas ventre. Ce vendredi 29 août, tu as été le dernier à partir. J’ai dit que j’avais une indisposition pour pouvoir m’enfermer dans les toilettes et pleurer toutes les larmes de mon corps. Je ne savais plus comment faire pour sortir sans que maman et Déborah ne s’aperçoivent de rien. Je t’aimais tellement que, lorsque Déborah recevait une lettre de toi, j’attendais qu’elle soit absente pour la lire. J’avais l’impression que ces mots tu les écrivais pour moi, et je me mettais à rêver de toi. Je t’aimais tellement que mon premier amoureux, qui s’appelait Marcel, te ressemblait comme deux gouttes d’eau, même s’il n’avait ni ton charme, ni ta douceur. Quand tu as cessé d’écrire, j’ai encore pleuré beaucoup et je priais chaque soir pour qu’un jour on se retrouve. » Elle m’a regardé intensément : « Je vais te raconter une belle histoire, mon amour. Une amie m’avait conseillé de lire le roman d’un auteur Italien, qui racontait la saga d’une famille du sud émigrée à New York : « La statue de la liberté »de Augusto Cannopio. Je pouvais le trouver à la médiathèque. A vrai dire, question lecture j’avais de quoi faire, je venais d’acheter les trois volumes de ‘’1Q84’’ de Murakami et je commençais à peine à entrer dans le premier… Tu les as lus ? »

J’ai plissé la bouche :

« En diagonale… Il faudra que je m’y mette.

— Je te le conseille.

— D’accord lui ai-je répondu en l’embrassant sur les lèvres et en nous resservant un verre de vin. Donc, ce roman…

— En prenant le livre j’ai fait tomber celui d’à côté. Je me suis penchée pour le ramasser. Dès que je l’ai pris dans les mains, j’ai ressenti comme un bien être. Une voix à l’intérieur de moi semblait me dire : ‘’Prends celui-ci à la place de l’autre.’’ Le nom de l’auteur m’était encore inconnu, mais j’ai adoré le titre. Après avoir lu la quatrième de couverture, j’ai été fascinée, et je me revois encore donner un baiser au bouquin ; puis, le pressant contre mon cœur, en faisant la queue pour l’enregistrement. Il dégageait une chaleur douce et une odeur raffinée que je ne pouvais décrire. J’avais hâte d’être chez moi et de me plonger dans sa lecture. Je me souviens m’être dit : ‘’Murakami peut attendre.’’ Je ne comprenais pas pourquoi cet auteur et ce livre m’attiraient tant. Au point qu’après l’avoir lu, je l’ai relu et relu encore en ressentant à chaque fois une grande joie. Je ne savais pas encore qu’Alex Cantié c’était toi, mon amour, mais tu es devenu mon écrivain préféré. » Elle a bu une gorgée de vin : « La suite tu la connais.

— C’est Rosy qui me l’a racontée, je lui ai lancé avec un petit rire.

— Oui, m’a-t-elle répondu en me le rendant au centuple. Le reste, Joséphine a dû te l’apprendre. Elle me charriait sur le fait que j’étais amoureuse de toi. Oui je l’étais. Je l’étais encore très fort, mais au lieu de ressentir la joie de mes douze ans, je me suis mise à pleurer : ‘’Aimer Anicet, c’est aimer Alex Cantié le séducteur, le Don Juan, le bourreau de cœurs, l’homme aux mille conquêtes. Ma pauvre Roxane, dans quelle galère tu vas encore t’embarquer. Quel numéro va-t-il t’attribuer ?’’ Je haussais les épaules, je me consolais en m’imaginant que j’aurais une légère importance de plus que les autres du fait de ce lien invisible et tenu qui nous avait unis durant l’été 97. Ces mots que tu ne me disais pas, sonnaient plus vrais à mes oreilles, que ceux que tu prononçais à ma sœur. Le goût des baisers que tu ne me donnais pas étaient plus sucrés à mes lèvres qu’à celles de ma sœur qui le recevait. Mais le bon sens me ramenait à la réalité. Alex avait enterré Anicet. Alors, je m’interdisais ce mot. Tu m’appelais et j’étais heureuse de t’entendre. Je te voyais sur mon écran et j’étais transie de joie, je lisais tes sms et mon cœur battait à tout rompre. ‘’Ne l’aime pas Roxane. Profite à fond de l’instant magique. N’en perds pas une miette, pas un atome. Quand il t’évincera, tu pleureras moins, car chaque seconde de souvenir, te mettra du baume au cœur.’’ Mais il suffisait d’un moment d’inattention, tes lèvres sur les miennes, tes yeux posés sur le miens, ta main caressant mes seins, ton odeur pénétrant mes narines, ton sexe dans le mien et mon plaisir se décuplant, pour que ce mot revienne me harceler : ‘’Tu l’aimes Roxane. Tu l’aimes et tu ne peux pas te le cacher.’’ Alors j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps et j’ai entendu une voix qui m’a dit : ‘’Il vaut mieux que tu souffres pour un homme qui ne t’aime pas, que de te prétendre heureuse avec un homme que tu n’aimes plus.’’ Et je me suis endormie apaisée, le cœur en paix. Je crois que j’ai dû faire un très beau rêve, car le matin je me suis réveillée en chantant. D’ailleurs tu l’as même remarqué. » J’ai fait ‘’oui’’ de la tête. « Dans le train, je n’ai cessé de me le répéter durant tout le trajet. ‘‘Je l’aime ! Je l’aime !’’ Et plus je me le ressassais et plus il s’inscrivait en lettres géantes dans ma tête et dans mon cœur et plus je ressentais une immense joie à me l’entendre dire. » Elle s’est tue, a bu une nouvelle gorgée de vin ; puis, sa bouche contre la mienne : « Tu es mon amour Anicet. Mon immense amour. »

Après cette déclaration, ses yeux se sont perdus dans les miens, ma bouche dans la sienne, et un désir encore plus fort, encore plus puissant est monté en nous, du plus profond de nos entrailles, du plus profond de nos cœurs. Nous nous sommes levés pour rejoindre le lit :

Roxane, je voulais te dire… »

Elle m’a fermé la bouche.

« Ne dis rien, pour le moment. Fais-moi l’amour ! Fais-moi l’amour »

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