Chapitre 40

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 Réveil en douceur. Pas de cauchemar. Sa place était vide. Je l’entendais s’affairer dans la cuisine. Je me suis étiré. Un rayon de soleil avait pénétré dans la chambre. Il s’amusait à faire danser les particules de poussière. Enfant, je croyais que c’étaient des angelots venus me dire bonjour. Je me suis assis. J’ai entendu ses pas sur les marches en bois. Elle a ouvert la porte, je me suis levé, je l’ai prise dans mes bras. Après le premier baiser matinal, (sa bouche était parfumée, la mienne…) elle m’a dit :

« Tu as dormi comme un petit bébé. »

J’ai ri :

« Tu connais l’histoire de l’homme d’affaire ruiné ?

— Non ! M’a-t-elle répondu intriguée en ouvrant ses yeux comme des soucoupes.

— Un homme d’affaire a tout perdu à la bourse. Il est ruiné, sur la paille. Plus un sou. Ses superbes villas, ses voitures, son yacht, son jet privé. Tout a été saisi. Sans parler de sa femme qui est partie avec son meilleur ami, sa maîtresse qui est retournée chez son mari, et ses enfants qui l’ignorent. Un ami lui demande : ‘’Comme ça doit être horrible pour toi. Tu dois faire des cauchemars.’’ L’autre lui répond : ‘’Je dors comme un bébé.’’ L’ami n’en croit pas ses oreilles. Il écarquille ses yeux ‘’Tu dors comme un bébé avec tout ce qui t’es arrivé ? Comment tu fais. Moi je me serais jeté par la fenêtre.’’ L’autre hausse les épaules et lui répond : ‘’Eh bien tu vois, je dors cinq minutes et je pleure une heure, je redors cinq minutes et repleure une heure. »

Nous nous sommes esclaffés ; puis elle m’a annoncé que le petit déjeuner était prêt.

« Je peux te poser une question ?

— Toutes les questions que tu voudras mon amour de sauterelle.

— A part Aurélie, y a-t-il d’autres femmes que tu as aimées ?

— Toi mise à part, aucune.

— Donc, tu as vécu avec des femmes que tu n’aimais pas.

— Je n’ai vécu avec aucune d’entre elles. C’était chacun chez soi. Nous passions quelques nuits ensemble chez l’un ou chez l’autre. Nous faisions des voyages.

— Jamais de projets ?

— Jamais. »

Elle a croqué un beau morceau de sa pomme, l’a mâché, l’a dégluti ; puis, elle a bu une gorgée de café :

« Tu avais peur de faire de nouveaux cauchemars ?

— Sans doute.

— En d’autres termes, si tu n’en avais jamais fait…

— … Je vivrais avec Aurélie… » J’ai failli ajouter ‘’Et nous aurions des enfants’’ Mais c’eût été trop cruel de remuer le couteau dans son ventre toujours stérile. Elle m’a regardé avec un fond de tristesse :

« Et ta petite sauterelle… »

Je lui ai pris les mains et l’ai fixée :

« Ma petite sauterelle, si je l’avais croisée dans la rue, je l’aurais suivie et j’aurais tout quitté pour elle. »

Elle m’a fait lâcher prise :

« Arrête de raconter n’importe quoi. »

J’ai élevé le ton :

« N’importe quoi ? C’est toi qui racontes n’importe quoi ! Tu me poses des questions pour ensuite les retourner contre moi, en échafaudant des hypothèses sans fondement. » J’ai laissé passer un ange furax. Je me suis radouci : « Nous sommes en train de vivre quelque chose de très beau toi et moi. Nous l’avons rêvé depuis dix-huit ans et voilà que nous le vivons, et que nous sommes heureux. N’est-ce pas que nous sommes heureux ? Lui ai-je demandé en dardant mon regard sur elle »

Elle a enfoui sa tête dans sa tasse de café.

« Je ne peux pas réécrire le passé, Roxane, ai-je poursuivi. Il est ce qu’il a été, avec celui que j’étais. Il n’y a que sur mon présent que je puisse agir. Et mon présent c’est toi. »

Elle a levé les yeux sur moi et, d’un ton de flic devant un gardé à vue :

« Si je ne t’avais pas fait ce cadeau, te serais tu demandé ce qu’était devenue ta sauterelle ? »

Je lui ai répondu sur le même ton :

« Et si Alex Cantié était le pseudonyme de Jean Dupont te serais tu demandée ce qu’était devenu Anicet ? » Puis, comme j’étais passablement énervé, je n’ai pu m’empêcher de lui envoyer cette vérité en forme de pique : « Et puis, je te ferais remarquer que de nous deux celle qui est mariée, c’est toi. »

J’ai vu sa main s’approcher de ma joue. Je l’ai retenue, je l’ai serrée. Je me suis approché d’elle et j’ai collé ma bouche contre la sienne. Elle a fait de la résistance, mais j’ai tenu.

« Tu pourras croire ce que tu voudras, Roxane, mais je t’aime. Et si tu décidais de retourner avec ton mari, je ferais tout pour t’en empêcher. Tout. Mais tu ne le ferais pas, parce que tu m’aimes. N’est-ce pas ? »

Elle a haussé les épaules :

« Je me demande pourquoi, d’ailleurs.

— Tu te demandes pourquoi ? Lui ai-je lancé d’un ton fulminant. Tu te demandes pourquoi ? Qu’en fais-tu de l’amour que j’ai pour toi ? Qu’en fais-tu ?? »

Elle est restée figée à me regarder. Deux larmes ont coulé de ses yeux. Elle m’a serré très fort et en pleurant :

« Tu m’aimes pour de vrai ? »

Elle s’agrippait à moi comme l’enfant que j’étais au cou de Maïa de peur qu’elle m’abandonne.

« Je t’aime, Roxane. Je t’aime.

— Et si un jour tu ne m’aimais plus ? »

J’ai éclaté de rire :

« C’est là que j’irais voir un psy. Je serais gravement atteint. »

Nous avons ri comme des bossus.

Après le petit déjeuner, l’amour, la douche, l’amour de nouveau, je lui ai proposé d’aller visiter la cité médiévale d’Entrevaux à sept kilomètres de Puget. Nous avons tout d’abord visité la Citadelle et ses innombrables marches, où à chaque pallier, nous nous arrêtions pour prendre des photos et nous embrasser. Excepté nous deux et un couple de Japonais en voyage de noces, les autres visiteurs ne semblaient pas manifester la moindre joie, ni le plus faible enthousiasme. On aurait dit qu’ils étaient là, parce qu’ils avaient lu dans un guide qu’il fallait absolument la voir, d’autant qu’elle est classé au titre des monuments historiques ; alors ils se pliaient à cette corvée, histoire d’avoir quelque chose à raconter et à montrer à leur retour. Mais sans doute que leur expression était en rapport avec leur existence et que moi, si au lieu de tenir par la taille la plus ravissante des institutrices de France et de Navarre qui, à douze ans à peine m’avait déjà charmé, je tenais la main d’une violoncelliste se prenant pour Caton l’ancien, je ferais probablement la même tête qu’eux.

« A quoi tu penses, mon amour ?

— Au bonheur que j’ai d’être avec toi.

— Tu es vraiment heureux ?

— En douterais-tu ? »

Elle a secoué la tête, puis l’a posée sur mon épaule.

Après la Citadelle, nous avons parcouru le village fortifié et ses rues piétonnes aux noms pittoresques, que nous montions ou descendions selon leur inclinaison.

Pour le déjeuner, nous avons piqueniqué sur le bord du lac de Castillon, et bu notre café à Castellane ; puis, comme nous avions envie de faire l’amour et de nous reposer, j’ai pris une chambre dans un des plus beaux hôtels de la ville (en échange d’un généreux pourboire, le réceptionniste nous a donné la plus belle.)

Il était dix heures trente passé, lorsque je lui ai proposé de rester dîner en ville. Elle a préféré que nous rentrions.

Sur le trajet elle m’a demandé :

« Pourquoi je suis si heureuse, Anicet ? (Elle avait mis son bras gauche autour de mon cou et sa tête posée sur mon épaule)

— Parce que tu m’aimes et que je t’aime aussi, et que nous sommes en harmonie avec la beauté du monde.

— Oui. » Puis après un instant : « C’est vrai que si je t’aimais et que tu ne m’aimais pas, je serais très malheureuse.

— Tout comme moi si je t’aimais et que tu ne m’aimais pas. »

Elle m’a embrassé le cou :

« Lorsque tu m’as regardée si intensément dans ce couloir du métro, à quoi tu as pensé en premier lieu ?

— Comme l’éclair qui vient avant le tonnerre, ta beauté m’a marqué bien avant que je me demande où je t’avais déjà vue.

— C’est vrai ?

— Je te le jure.

— Et si on s’était jamais rencontrés et qu’en plus, je n’étais pas venue au ‘’Cadra-tin’’, qu’est-ce que tu aurais fait ?

— J’aurais été très embêté. Avoir ce si beau visage en tête et ne pas pouvoir y mettre un nom dessus… Mais, j’aurais fait confiance au destin.

— C’est-à-dire ?

— Ce regard que nous nous sommes échangé, n’était pas un simple coup d’œil passager, mais quelque chose de profond qui n’aurait pas pu rester sans suite.

— Et qu’aurait fait le destin ?

— Par exemple, j’aurais pu recevoir une lettre d’une de mes lectrices qui me dirait qu’elle m’a aperçu dans un couloir du métro. Elle m’aurait laissé ses coordonnées et je l’aurais contactée immédiatement.

— Et si cette lectrice avait voulu rester anonyme ?

— Dans ce cas, notre ami le destin aurait fait en sorte de nous remettre en contact.

— Dans ce même couloir de métro ?

— Pourquoi pas.

— Et ?

— J’aurais laissé tomber le wagon et je t’aurais suivie.

— Mais tu ne l’as pas fait.

— Sans doute que le destin m’a fait comprendre que nous nous serions revus quatre jours après ?

— Tu crois ?

— Oui. »

Elle a pris ma main droite, l’a promenée sur ses seins, puis l’a descendue jusqu’à son sexe et l’y a maintenue.

« Tu sais, je crois que cette lectrice ne serait pas restée anonyme bien longtemps. Elle l’aurait écrite cette lettre à son auteur préféré.

— Comme celle que son romancier aurait dû recevoir avec le cadeau. »

Du coin de l’œil j’ai vu qu’elle a baissé la tête :

« Quand Jo, m’a avoué qu’elle avait oublié de la remettre à ta voisine, j’étais furieuse ; puis je me suis dit que, si elle avait commis cet acte manqué réussi, c’est qu’il devait y avoir une raison.

— Celle de ne jamais me la remettre.

— J’avais trop honte de t’avoir fait ce cadeau. Qu’est-ce que tu aurais pensé de moi ?

— Que ma sauterelle qui, à douze ans, était plate comme une limande, possédait dix-huit ans plus tard la plus divine des florescences, et que j’étais impatient de voir en vrai. »

Elle s’est tue quelques instants puis, d’une voix hésitante, elle m’a demandé :

« Si j’étais restée plate comme une planche à repasser… est ce que tu m’aimerais »

J’ai hoché la tête de haut en bas, puis :

« Je t’aimerais même avec un bec. »

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