Déraisons d'être
*
Le vent soufflait violemment dans les grottes enneigées, emportant avec lui les échos d’une bataille lointaine. A l’intérieur de l’une d’elles, de nombreuses torches illuminaient les souterrains d’une pâle lumière bleutée, signe qu’elles avaient été ensorcelées. À part cela, on aurait pu croire l’endroit inhabité, sauf si l’on prêtait une oreille vers les profondeurs ; on pouvait percevoir les pas réguliers que faisaient deux étranges silhouettes dont la tête était cachée par une capuche, et dont l’épée était parfaitement visible, prête à l’emploi si nécessaire. En dehors de ceci, tout paraissait calme.
Pourtant, une ombre se glissa furtivement, évoluant à l’abri des regards. Elle était encapuchonnée, elle aussi, et ne produisait absolument aucun bruit, pas même un murmure.
Elle avança rapidement vers les deux gardes. L’un d’eux perçut un mouvement ainsi qu’un léger chuchotement, mais il eut à peine le temps d’en avertir son compagnon qu’ils s’écroulèrent tous les deux, en proie à une douleur intense. Ils étaient déjà morts avant même d’avoir touché le sol.
Reprenant sa route, l’assassin s’arrêta quelques intersections plus loin et se plaça derrière une porte entrouverte qui laissait entendre une faible conversation. Parmi les voix, il reconnut l’une d’elles qu’il identifia comme étant celle de sa cible. Alors qu’il préparait sa lame, il fut soudainement happé par une force invisible qui le projeta à l’intérieur de la pièce. Les quelques secondes de silence qui suivirent furent aussitôt remplacées par une mélodie de lames s’entrechoquant.
Il jaugea son adversaire du regard. Sa morphologie et ses coups rudes l’avertissaient qu’il affrontait un bretteur puissant et particulièrement redoutable. Aussi, le jeune homme ne put résister plus longtemps que quelques échanges de coups et se retrouva à terre suite à une passe plus violente que les autres.
L’autre homme, qui était resté assis, affichait un sourire torve qui se transforma en rire sadique lorsque son protégé lacéra l’assassin, qui hurla de douleur. Alors que le coup fatal allait lui être donné, il se leva et stoppa le bretteur.
- Arrête! Je veux le faire moi-même !
Sur ces mots, l’acolyte laissa à contrecœur la place à son maître qui psalmodia dans un langage sifflant et nasillard. Le jeune homme, ne pouvant se relever, vit avec effroi le mage poser sa main glacée sur son front. Une douleur insoutenable pénétra son crâne et irradia tout son corps, lui donnant l’impression que chaque parcelle de sa chair et de sa conscience éclatait, s’éparpillait dans toutes les directions. Puis, plus rien.
C’était comme s’il n’existait plus.
*
Le jeune homme se réveilla en sursaut et regarda autour de lui. Son lit était toujours à la même place et les étagères aussi. Le ventilateur tournait à plein régime. Tout était normal, à part quelques feuilles et des stylos gisant à terre.
Il venait de faire un nouveau cauchemar.
Reprenant peu à peu conscience de la réalité, il poussa un juron et massa sa nuque endolorie. Tant pis pour l'écriture d’aujourd’hui. Le temps ne s’y prêtait pas mais, au moins, la journée s’annonçait tranquille. À propos de temps… Il regarda machinalement sa montre et, réalisant qu’il allait être en retard, prit à peine le temps de se passer un coup d’eau sur la figure avant de traverser en trombe son appartement et de débouler dans les escaliers.
À plusieurs égards, aujourd’hui était un jour assez spécial. Le temps était anormalement chaud depuis plusieurs semaines, mais dès ce matin la chaleur était déjà particulièrement étouffante. Les rues étaient désertes, les rares personnes qu’il croisa se contentant de raser l’ombre des murs ou de squatter les magasins climatisés. Tous semblaient prendre leur temps ou comptaient rester dans leur refuge improvisé jusqu’à ce qu’un miracle se produise, mais pas lui. Il s’arrêta cependant dans une boutique au hasard, visita quelques rayons frais et acheta une bouteille d’eau le temps de reprendre son souffle en dehors du magasin. Ne pas arriver en retard à son rendez-vous, d’accord, mais s’il se desséchait avant d’arriver à bon port cela ne servirait à rien.
Un aboiement le tira de sa rêverie. Puis un autre. Et encore un autre. Inquiet, Samuel tourna la tête vers le bruit, craignant le pire. Au loin, il vit un chien arriver vers lui puis s’arrêter, retenu par une laisse accrochée négligemment à un plot. Il souffla et décida de rester quelques dizaines de secondes pour reprendre son souffle et se préparer à reprendre sa route. A part ça, la journée d'aujourd'hui promettait au moins d'être tranquille...
Cependant, même le fait de le savoir attaché ne rassurait pas le jeune homme pour autant, vu qu’il n’aimait pas ces animaux-là. Il en avait si peur que son cœur palpitait, tambourinait dans sa poitrine à la vue de la gueule du canidé, comme s'il cherchait à s'évader.
Et puis crac.
Crac ?
La laisse avait cassé net. Sans se retourner, Samuel prit ses jambes à son cou sans demander son reste.
- Tu parles d’une journée tranquille ! hurla t-il pour lui-même.
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