Chapitre 3: Émeraude
Lorsque j'ai rencontré Jason pour la première fois, il chantait comme le grand Caruso, et était membre permanent du grand Opéra de Prague, son coeur était aussi grand que son porte monnaie, et le mien battait la chamade, mais je ne savais pas qui j'étais. Je m'étais retrouvée sur le pont Saint Charles, avec une grande malette de maquillage à la main, et des billets froissés plein les poches. J'étais habillée avec soin, mais je ne savais pas pourquoi. J'avais un passeport tchèque récent dans une petite pochette attachée à ma ceinture, mes mains étaient tachées de fond de teint, et je pouvais au moins en déduire, sans risquer de me tromper, que j'étais d'origine tchèque et maquilleuse. Je trouvais que la ville de Prague était magnifique, j'éprouvais une merveilleuse sensation de liberté, et j'avais envie d'en profiter, mais j'avais aussi envie de voir à quoi je ressemblais, car ce passeport n'était peut être pas le mien, et j'ai poussé la porte d'un bar situé à proximité de l'opéra.
Il y avait un monde fou dans ce bar, et je trouvais que c'était formidable, d'ailleurs tout me paraissait formidable. J'aimais la façon dont les gens étaient habillés, leur rires, leurs éclats de voix, et tout d'un coup j'ai réalisé que je ne connaissais pas le son de ma propre voix, et que je ne savais même pas si je parlais le tchèque. Et lorsque le serveur a pris ma commande, j'ai demandé un apfelstrudel, mais je ne comprenais pas pourquoi je lui avais demandé cela. Je trouvais extraordinaire d'avoir tant de choses à découvrir, j'étais heureuse, en pleine forme, et je ne m'inquiétais de rien. Et lorsque Jason a demandé s'il pouvait s'assoir à ma table, étant donné que le bar était bondé, je lui ai répondu qu'il prenait un gros risque, parce que je ne savais pas qui j'étais. Et je lui ai raconté ma drôle d'aventure. Et soudain j'ai réalisé que je n'avais pas encore pris le temps de regarder mon visage. Pourtant il y avait un miroir juste en face de moi. J'ai essayé de me lever pour voir mon image de plus près, mais ma malette de maquillage était accrochée à mon poignet, par une longue chaîne reliée à un bracelet, dans lequel étaient incrustées des pierres de différentes couleurs. Or, la chaîne était si longue, que jusqu'à présent je n'avais pas du tout prêté attention à ce détail. Je ne voyais pas d'autre solution que de briser la chaîne pour me libérer de la malette, car le bracelet était beaucoup trop résistant, pour être coupé à l'aide d'un simple couteau. J'ai dit à Jason que les gens allaient s'imaginer que j'étais en train de tourner un fim d'espionnage, et j'ai trouvé cette idée si drôle, que je me suis mise à rire sans pouvoir m'arrêter de rire. Je riais tellement que Jason s'est mis à rire à son tour, et son rire était si communicatif que tous les clients du bar ont attrapé le fou rire. Et moi j'avais tellement envie d'aller aux toilettes, que j'ai été obligée de garder la malette avec moi, en attendant de trouver une solution.
Arrivée devant la porte des toilettes, je me suis dit que les pierres du bracelet servaient peut être à former un code. Alors j'ai pensé à la date de naissance qui était inscrite sur mon passeport, mais cela n'avait pas de sens, puisque les pierres ne portaient aucune inscription. J'ai essayé de me fier à mon intuition en appuyant sur les pierres, en fonction de ce qui me semblait être le hasard, et le bracelet s'est ouvert comme par magie. Mais le plus drôle restait à venir, car si la malette était effectivement remplie de maquillages et d'accessoires de qualité professionnelle, des serviettes blanches maculées de fards de couleurs étaient soigneusement pliées sous le double fond de la malette, et je me suis aperçue que ces serviettes recouvraient plusieurs petits sacs de toile. Or ces petits sacs de toile ne contenaient pas des éponges, des pinceaux, ou autres accessoires de beauté, ils étaient remplis de bijoux. Certes, je ne savais pas encore qui j'étais, mais j'ai vite compris que je ferais mieux de garder cette découverte pour moi, car ces bijoux étaient bien trop beaux pour être des faux. Je me disais qu'après tout je n'avais pas besoin d'en savoir plus, car peu importe le passé ou le présent, puisque j'avais l'avenir devant moi, d'autant plus qu'une adresse était inscrite sur mon passeport, et que j'avais sans doute un appartement, peut être même une maison. J'avais aussi quelques billets, un métier, et j'avais pris le temps de m'observer suffisamment dans le miroir pour avoir confiance en mon apparence. Bien sûr, j'avais besoin d'un sacré coup de brosse, car j'avais de magnifiques cheveux auburn, mais si longs et si emmêlés, que je donnais l'impression d'avoir voyagé à califourchon sur le dos d'une fusée.
Mon enthousiasme avait tout de même baissé d'un cran, parce que j'étais consciente que je ne passais pas inaperçue, que j'étais peut être recherchée par la police, et que quelqu'un me reconnaîtrait. Mais Jason m'avait proposé de suivre sa répétition, et de m'accompagner ensuite à l'adresse indiquée sur mon passeport et j'ai passé un après midi merveilleux. La voix de Jason était si belle, que j'avais l'impression de me retrouver au milieu des anges. Quant à la découverte de mon appartement, c'était une toute autre histoire, car il n'existait tout simplement pas. J'étais propriétaire d'un institut de beauté de luxe et c'était une très belle surprise, mais je n'avais pas de logement. Je pensais que je trouverai quelques papiers à l'intérieur de la boutique, mais il n'y avait rien. Cet institut venait d'être refait à neuf, j'avais trouvé les clefs dans la pochette attachée à ma ceinture, et pourtant le mystère restait entier. Jason ne comprenais pas pourquoi je ne voulais pas m'adresser au commissariat, et j'avais prétexté vouloir remettre cette idée au lendemain, parce que j'avais besoin de me reposer un peu. Il m'a aidé à trouver une chambre d'hôtel et m'a invité au restaurant. Tout ce que je mangeais me paraissait fameux, car mon inquiétude s'était dissipée, et j'avais envie de profiter de la vie, de ne penser qu'à l'avenir. Je me sentais de plus en plus heureuse et remplie de gratitude, car je n'avais peut être pas encore de logement, mais j'avais la sensation d'être enfin de retour chez moi, après un long voyage. J'étais dans la plus belle ville du monde, en compagnie de l'homme le plus merveilleux qui soit, et j'étais libre comme l'air.
Le temps a passé, beaucoup trop vite hélas, car les journées étaient trop courtes, pour contenir tous les merveilleux moments que je passais avec Jason, et elle passaient d'autant plus vite que j'étais heureuse en pensant au lendemain, et plus j'étais heureuse, plus le temps passait vite. Et je me disais que les gens refusaient peut être d'être heureux, parce qu'ils avaient peur du temps qui passe. Jason m'avait appris qu'il avait des origines italiennes du côté de sa mère, qui avait été une grande Soprano, lorsqu'elle était jeune. Quant à son père, il était d'origine anglaise, mais je n'en savais pas plus . Jason avait passé son enfance et son adolescence en Italie, et par la suite sa carrière de Ténor lui avait permis de voyager dans le monde entier. Il était divorcé d'une choriste espagnole, qui avait préféré retourner vivre dans son pays natal. Il avait des yeux de chat, faisait partie d'un club de magie, et s'était installé à Prague, parce qu'il trouvait que c'était la plus belle ville du monde. Quant à moi, je ne savais toujours pas qui j'étais, je ne connaissais pas ma famille, ni mes origines, mais cela m'était complètement égal. J'étais très amoureuse, j'avais un travail fou, j'adorais mon métier, je faisais beaucoup de projets, et c'était très bien comme ça.
Et un jour Jason m'a offert une merveilleuse bague en or blanc, sertie d'une magnifique émeraude, et lorsqu'il a passé l'anneau à mon annulaire gauche, j'ai cru que mon coeur allait éclater. Mais la bonne surprise ne s'arrêtait pas là, car il avait prévu de me présenter à ses parents, qui venaient à peine de s'installer dans l'ouest de la France. Et j'étais folle de joie.
FIN DU CHAPITRE 3
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