A la poursuite des Ombres

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Une chambre. Un lit. Une silhouette sous la couette. Une oreille qui se tend. Le bruit d'une respiration. Un bruit sur le parquet. La respiration s'accélère. Cela recommence.

La silhouette d' Elodie commence à trembler, tout ses sens sont en éveil. Les yeux écarquillés par la peur, elle attend. Elle attend que le bruit recommence, plus proche de son lit. Se rapprochant de sa tête d'où quelques cheveux dépassent de sa cachette.

Un second bruit, tout près, retentit. Elodie retient un cri. Voilà plusieurs semaines que des ombres viennent la terrifier dans la nuit, durant son sommeil. Cela a commencé par des bruits près de la commode. Quant elle en a parlé à sa mère, celle-ci se voulant rassurante, lui dit qu'elle avait s'en doute rêvé. Pourtant les nuits suivantes cela se reproduisit avec des signes de présences plus nombreuses et plus proches que les nuits précédentes. Doucement les ombres sortaient de leur cachette, glissaient sur le sol pour signifier leur présence, rampaient sur les draps en murmurant des mots glacés, sombres et venimeux à souhait. Alors Elodie hurlait pour les faire fuir et pour appeler à l'aide. Toujours, comme un rituel, elle entendait sa mère sauter de son lit, ses pas préssés tapaient sur le parquet et elle ouvrait la porte de sa chambre en même temps que la lumière, faisant disparaitre les visiteurs nocturnes.

Mère et fille épuisées par les nuits courtes se prennent alors dans les bras et Elodie se laisse berçer par le son doux et rassurant de la voix de sa mère. Toutes deux s'endorment dans le petit lit jusqu'au lever du soleil, faisant disparaitre naturellement le noir de la nuit.

La jeune enfant, toutes péripéties de la nuit oubliées, compte bien profiter de cette journée ensoleillée. C'est une journée spéciale car sa marraine, Margarett, vient leur rendre visite, à son frère et elle. C'est la meilleure amie de sa mère et Elodie apprécie ses venues car à chaque visite, elle a l'impression que Margarett emporte le soleil partout où elle va. Sa présence illumine la maison et surtout le visage fatigué de sa mère.

Pendant que les deux amies boivent le café sur la terrasse, Elodie est en pleine bataille navale avec son grand frère, capitaine de toute une flotte de navire remplis chacun de pirates téméraires et prêt à en découdre. Le jardin se transforme en une mer sans horizon, faisant tanguer le toboggan devenu l'immense navire du Capitaine Simon. Un dernier coup de canon et voilà que le navire d'Elodie sombre et redevient balançoire.

"C'est pas juste" dit Elodie d'une voix boudeuse, "C'est toujours toi qui gagne."

"Je te rappelle que c'est toi qui voulais t'entrainer à la bataille pour vaincre les ombres. Ce n'est pas ma faute si tu ne sais pas te battre.

- Oui mais ça ne marche pas. Je n'y arriverai jamais. Elles sont trop fortes".

Voyant le visage triste de sa soeur, Simon sentit son coeur se serrer. Il souhaitait tellement aider sa cadette mais que pouvait-il faire du haut de ses sept ans ?

"Peut-être que ce dont tu as besoin c'est d'un vrai capitaine. Un capitaine spécialiste dans le combat contre les ombres!

- Et ça se trouve où ce genre de capitaine?

- Je ne sais pas mais peut-être que si tu l'appelles de toutes tes forces, il t'entendra de là où il est et viendra t'aider dans la bataille. Tu promets d'essayer?

Elodie, peu convaincue, hoche la tête.

"- Je suis fier de toi. Tu es courageuse petite soeur" lui dit-il en lui mettant son chapeau de capitaine sur la tête.

Les deux enfants se rendirent leurs sourires et continuèrent à jouer jusqu'à tard dans l'après-midi. La soirée venue, il fut temps pour Margarett de rentrer chez elle. Avant de partir, elle prit Elodie à part et lui offrit une veilleuse.

" Ceci est une très puissante veilleuse, les détails ont été dessinés à l'encre de chine. Elle va illuminer toute ta chambre et t'aidera à faire fuir les ombres qui t'embêtent la nuit".

Elodie ne sachant pas si cela va fonctionner, accepte le cadeau et remercie sa marraine.

Le soir venu, il fut temps d'aller au lit. C'est avec la boule au ventre qu'Elodie alla se laver les dents, but son dernier verre d'eau, alla aux toilettes et écouta l'histoire du soir. Sa mère, avant d'éteindre la lumière, plaça la veilleuse sur sa table de chevet et souhaita une bonne nuit à sa fille.

Elodie eut du mal à s'endormir mais la fatigue de la journée et les émotions en perpétuelles mouvements dans son corps d'enfant eurent raison d'elle.

Dans la nuit, elle commençe à entendre des griffes cliqueter sur le parquet. La jeune fille ouvre les yeux, tétanisée, et les referme aussitôt. Elle pense avoir aperçut du mouvement près de sa porte. Tremblante, elle replie sa couverture sur la tête et tous ses sens aux aguets, elle attend. Elle sent l'ombre s'approcher, propageant le froid qui la constitue dans chaque recoin de la chambre. Elodie sent son courage geler sur place et la peur l'emporter. Son coeur commençe à battre de plus en plus vite, elle a pour crier auprès de sa mère lorsqu'une voix surpasse celle de l'ombre.

"Il te faut un capitaine fillette ?"

En rassemblant le peu de force et de courage qui lui reste, elle tente de tenir la promesse faite à son frère et appelle le capitaine.

"Capitaine, Capitaine des ombres. J'ai besoin d'aide!".

Alors soudain, un claquement sonne dans la pièce. L'ombre hurle et se retire. L'enfant, curieuse, jette un coup d'oeil et le spectacle qui se présente à elle, lui fait oublier toutes ses peurs. Un homme se tient sur le rebord de la fenêtre, jambes écartées et les mains sur les hanches, rigolant à gorge déployée face à une bête plus noire que la nuit elle-même. Un second claquement, un fouet à la main, l'homme fit fuir le monstre.

Elodie observe l'inconnu entrer dans la pièce. Il porte un magnifique couvre-chef, une barbe blanche bien taillée lui souligne le menton et il est habillé d'une magnifique veste bleue marine sertie de fil et de boutons d'or. Plus de doute, c'est bien un capitaine.

"Vous êtes le Capitaine des Ombres ? demande timidement la jeune fille.

- Affirmatif jeune demoiselle. Permettez-moi de me présenter. Je suis le Capitaine Orméus Brom, unique pourchasseur d'ombre et seul maître navigateur voguant sur la mer étoilée, se présenta t-il en effectuant une courbette distinguée, puis il ajouta :

- Bien maintenant que les présentations sont faites, ne perdons plus de temps. En route!

-Pour aller où ? demande Elodie, surprise, tout en s'avançant près de la fenêtre.

- A la chasse à l'ombre, bien sûr. Elle n'a pas dû fuir très loin, si nous voulons lui nuire, il faut partir.

-Mais je ne sais pas comment faire et elles me font si peur.

-Ne t'inquiète pas, je serai avec toi."

Elodie est subjuguée, non pas par les mots encourageants du capitaine mais par ce qu'elle apperçoit derrière lui. Un magnifique et gigantesque bateau est amarré à sa fenêtre. Ce n'est pas un bateau ordinaire, ça non, il semble former une constellation. Translucide et aux couleurs du ciel nocturne, ses courbes se rejoingnent en points brillants tels des étoiles. Ainsi se présente le navire du Capitaine Orméus au yeux d'Elodie.

"En avant moussaillon et bienvenue à bord du Téméraire" cria le Capitaine d'une voix tonitruante et enthousiaste.

Elodie emjambe sa fenêtre et pose prudemment les pieds sur la planche transparente menant sur le pont. Les voiles s'ouvrent et se gonflent au contact du vent, comme si le bateau avait sa propre conscience. Et ils s'envolent dans le ciel étoilé.

Elodie, gardant tant bien que mal son équilibre alors que le navire vogue à travers les étoiles, se dirige maladroitement vers la proue afin d'admirer ce sublime paysage qui s'étire devant elle. Le bateau file à une allure incroyable, déviant chaque étoile, chaque constellation. Tout autour d'elle n'est que lumière apaisante. Elle ouvre les bras, offrant au vent la joie de balancer sa chevelure dans tout les sens. Elodie ferme les yeux et prend une grande inspiration. Il y a bien longtemps qu'elle n'a pas ressenti un bien être aussi intense pense t-elle.

Soudain les lumières se font plus ténues, moins douces, plus froides. Elodie ouvre les yeux et s'aperçoit que les étoiles s'éloignent des unes des autres, se dispersent loin de la noirceur sur lequel le bateau s'engouffre.

"Capitaine" appela craintivement l'enfant.

Celui-ci l'appelle à le rejoindre sur la poupe et lui explique qu'ils entrent à présent sur le territoire des Ombres. Tout semble plongé dans la pénombre, si bien qu'au bout de quelques minutes, seul le bateau est source de lumière éclairant faiblement leur route.

"Pourquoi fait-il si sombre ?" demande Elodie, inquiète

"Car les ombres ont dévoré toutes les étoiles qui se trouvaient ici. Elles sont attirées par la lumière tout en la craignant. Elles l'aspirent goulument et sont insatiables. Elles en demandent toujours plus, allant jusqu'à se dévorer entre elles.

- Mais si elles dévorent les étoiles, pourquoi viennent-elles me voir ?

- Parce que tu es aussi une lumière pour elle. A chaque fois que le jour se lève, tu reprends courage, tu absorbes la joie, le désir, l'amour et l'amitié. Tous ces sentiments rechargent ta lumière et les ombres le savent. Elles reviennent se nourrir en te chuchotant des mots gelés, susictant ta peur et absorbant ainsi ta chaleur, ta lumière.

- Alors il n'y a aucun moyen de s'en débarasser ?

- Bien sûr que si ! Il te faut te nourrir de Courage pour les affronter !

Alors qu'elle s'apprête à lui demander des explications supplémentaires, quelque chose frôle le navire et le fait tanguer. Elodie a juste le temps de voir un voile noir s'éloigner à grande vitesse. Un autre les frôle encore, puis un autre. Cependant aucun ne semble vouloir les attaquer.

"Bien, nous sommes à présent dans le labyrinthe que constituent les Ombres. A toi de trouver celle qui te poursuit" lui ordonna le Capitaine Orméus.

"Comment ?" demande Elodie, déboussolée par la drôle de demande.

"Sens la au fond de toi. Appâte-là. Tu en es capable, je crois en toi, mousaillon !" Lui affirme le Capitaine en lui tapotant le dos.

Prenant tout son courage, Elodie tend ses mains tremblantes vers le gouvernail que le Capitaine lui confie et ferme les yeux, se concentrant sur les sensations que l'ombre fait naître en elle chaque nuit. Instinctivement elle connait le chemin et guide le navire vers sa destination finale, slalommant à travers chaque Ombre qui n'est pas la sienne. Elle l'apperçoit soudain, tentant de s'échapper en se mêlant à ses congénaires. Trouvant la force dans la présence du Corsaire et de la confiance qu'il lui porte, Elodie se lance à sa poursuite.

Acculée et fatiguée, l'Ombre s'arrête et fait face à ses poursuivants. Elle aterrit sur le pont et Elodie commence à sentir sa présence gelée. L'ombre commence à entamer son murmure, sa mélodie du désespoir. La fillette sent ses forces la quitter, la peur s'engouffre en elle, son corps tremble, elle n'arrive plus à réfléchir.

Puis deux grosses mains viennent la soutenir, apporte de la chaleur à son petit corps gelé. Une voix grave lui murmure des conseils, de l'espoir : "Dis lui ce que tu as au plus profond de ton coeur. Ces mots qui se cachent derrière tout les encouragements que tu as eu de ton entourage. Leurs gestes, leurs paroles, leurs sentiments. Cette énergie qu'ils te transmettent et que tu tranformes en chaleur, en lumière. C'est cela le Courage, jeune fille. Utilise-le !

Alors Elodie sent la chaleur monter de son coeur à sa gorge, ouvre la bouche et hurle à son adversaire:

- "VAS T-EN !"

L'ombre est propulsée en arrière par un vent invisible, comme si elle avait reçu un coup de poing dans le ventre. Elle gémit et se redressa. Voyant que cela fonctionne, Elodie se sentit plus forte, plus confiante et laissa exploser son Courage.

- JE NE VEUX PLUS DE TOI !

- VAS T-EN ET NE REVIENS JAMAIS !

- LAISSE MOI TRANQUILLE !"

Cette dernière joute verbale a raison de l'ombre, qui hurle de douleur. Son voile noir se dissipe autour d'elle, s'évaporant dans le vent. Et à travers les trous de l'Ombre, une forme commence à apparaitre. D'abord sombre, puis reprenant de la couleur, passant du gris sale au gris souris, puis au blanc et enfin s'illuminant de mille feux.

Elodie regarde perplexe le Loup scintillant se tenant à la place de l'ombre qui se trouvait là quelques instants plus tôt. Bouche bée, elle ne peut s'empêcher de s'extasier devant sa majestueuse beauté. Le Loup est d'or et d'argent à la fois, ses yeux sont d'un gris de lune argentée et la regardent. Alors les deux s'approchent et il tend son museau sur le front de l'enfant. Elodie entend un murmure doux et paisible "Merci". Puis, après un hochement au Capitaine, le Loup prend son envol et se dirige vers le ciel étoilé.

Elodie, toujours sous l'emprise de cette mystérieuse rencontre, questionne silencieusement le Capitaine, souriant et les yeux pétillant de joie.

"- Je suis fier de toi navigatrice en herbe ! En combattant ta peur, tu as libéré une étoile dévorée et tu lui a redonné de sa splendeur. Grâce à toi, la voilà libre de retourner là d'où elle vient."

Elodie ne sut que répondre tant sa joie fut grande. Et c'est dans un silence solennel qu'ils reprirent le chemin de la maison.

Le Capitaine amarra son navire au dessus de la maison et lança l'ancre qui atterrit dans le jardin. Tous deux se laissèrent glisser jusqu'à la fenêtre de la chambre d'Elodie. Et il fut temps de se dire au revoir.

"-Tu connais à présent le secret pour chasser les Ombres, tu n'as plus besoin de moi, n'est ce pas ? Tu sauras te débrouiller si jamais elles reviennent te rendre visite?

- Oui Capitaine Orméus. J'ai compris comment faire grâce à vous.

- Non jeune navigatrice. Grâce à toi, ta force et ton Courage. N'oublie jamais et ainsi tu pourras perdre une bataille mais pas la guerre" lui dit-il en lui enfonçant son couvre-chef sur la tête et riant à gorge déployée. Elodie l'entendit durant un long moment après son départ sur la mer étoilée.

Elodie ouvre les yeux. Elle est dans son lit. Cherchant à se repérer, elle se relève et voit le visage de sa mère passer l'entrebaillement de la porte.

"-Tu as bien dormi, ma puce ? Je ne t'ai pas entendue cette nuit. Tu n'as pas été dérangée?

Elodie regarde par la fenêtre, le soleil filtré par son rideau lui annonce que la nuit est passée. Puis ses mains rencontrent un tissu épais. Baissant les yeux, elle aperçoit un chapeau de pirate. Pas n'importe lequel, un couvre-chef de capitaine. Alors elle se surprend à sourire et répond joyeusement à mère:

"- J'ai passé une bonne nuit maman et les ombres n'ont qu'à bien se tenir si elles revienent ! J'ai faim, on va petit déjeuner?" dit -elle en sautant dans son lit et poussant sa mère éberluée dans le couloir.

Une petite fille regarde en arrière. Une chambre. Une table de chevet. Une veilleuse constellée d'étoile. Un bateau parmi ces constellations. Un loup qui file autour ou bien un rayon de soleil fugace. Un sourire espiègle. Une porte qui se ferme.

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