Là où s'arrête (peut-être) l'ère des cons qui courent en rond.

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Si vaste, si sombre cette voûte cloutée de brillants vacillants. En dessous d'elle, l'écorce du Monde craque et brûle. Depuis le prime crépuscule de l'ancêtre bipède, il en est ainsi. D'abord feu vivant, ensuite feu de camp, puis feu de guerre, jusqu'en ces instants : feu d'Enfer.

Unique dénouement : s'échapper, survivre, ensuite mourir !

La horde décampe ; une éternelle dérobade, empêtrée dans l'air des temps. Les leaders toisent les lanternes rouges. Achevées la bonté et l'empathie en ces âges de fureur, d'airain et de malveillance ; la prédation domine.

Terreur : être contaminé par ce harassement !

"Surtout ne pas les regarder, les traîne-savates et autres écorche-misères ; continuons à avancer."

Les forts exigent des faibles leurs tributs et abandonnent l'offrande des pâles visages suppliant à l'empyrée grésillant. Quelle pitié que toutes ces prunelles purulentes ; Épinglées au firmament, elles cherchent une étoile annonciatrice.

Une seule suffit pour remettre un, deux voire maints rêves à Dieu.

"Permettez-moi de repartir, retourner en arrière, tout recommencer, qu'avec les autres, je puisse progresser !"

Mais le ciel est silence, car au-delà du monde règne l'austère. Les astres, ersatz d'hélianthes, depuis longtemps réduits en cendres. On ne voit d'eux que leurs fantômes depuis les écoumènes délétères.

Ainsi, trahis par leurs corps et leurs pairs, aveulis, vautrés dans de pestilentielles éluvions, attendent-ils l'ingérence d'un hypothétique créateur.

Hélas les songes de nuit se délitent emportés par l'aube suffocante. Les laisser-pour-compte rampent, s'ensevelissent sous d'obscures fondrières, à l'abri d'une canopée chétive et racornie. Le sentier brûle et se déroule sans eux ; adieu l'échappatoire vers d'autres horizons plus cléments.

?????

Mensonge !

Le salut au bout du chemin, quel que soit celui emprunté, mène-t-il seulement quelque part ? Ainsi ceux qui gisent là sous les arbres, recroquevillés, n'ont-ils pas le droit de garder l'idem espoir - infime - d'échapper à l'anéantissement redouté ?

Faire volte-face, examiner l'arrière des choses que l'on a quittées, peut-être ? La véracité frappe l'espérance, la met à terre, en un amoncellement de fumée, de méphitiques brasiers.

L'abîme se rapproche !

Non, décidément aucune bonne fortune à présager : la faune entière des enfers se déverse sur Gaïa. Pauvre Mère agonisante et souffrante qui tente de reprendre la main.

"Moi seule sait s'il demeure en mon sein, un refuge. (?)

Moi seule sait qui est déjà mort. (?)

Moi seule sait qui survivra. (?)

Moi seule sait qui le méritera. (?)"

????????? Vraiment ????????

Elle n'ignore pourtant pas que le troupeau, tel le dindon, sera le con d'une ultime farce par lui-même mise en place. Hélas, Terre Mère, brisée, salie, trahie par ses vains enfants se réfugie dans une naïveté poignante. Le futur fuit devant elle, comme devant les sprinters, d'ailleurs. Au moins ceux-ci peuvent-ils le reconnaître ?

Bien sûr que non !

Le plus sage ? Accepter l'hallali, l'agonie, puis le coup de grâce, s'étendre auprès des proscrits dans la fange figée de ses forêts fossilisées et exsangues. Une ultime étreinte aimante et se laisser aller. Gaïa, se sent-elle, parée à cette inéluctabilité ? Non ! Vidée de cette sagacité à abdiquer, elle lutte comme autrefois, espère l'étincelle qui renversera les démons du néant.

Creuses fantasmagories ! Ouvrez vos yeux !

Car les voilà, bardés de métal, armés de flammes, ils se ruent sur les sols appauvris, les excavent, aspirent les grains subsistants, ne négligent aucune parcelle de métaux raréfiant et écrase le tout-venant.

Fer,

Or et argent,

Lanthane, cérium

Branche aride ; crac !

Praséodyme, néodyme,

Peau assoiffée fendue,

Prométhium, samarium,

Sol pulvérulent s'envole

Europium, gadolinium,

Terbium,

Tibia ; Crac !

Paupières brûlées,

Dysprosium, holmium,

Jets d'humeurs et de sang,

Thulium, ytterbium, lutécium,

Crâne, Tibia, fémur, vertèbres,

Crac, crac, crac et recrac !

La peau de Gaïa ouverte, sa chair broyée. Sa chevelure sèche soulevée et débitée et les corps mourants de sa traînante progéniture pilés en une seule viande rougeâtre, par les ultimes belligérants : leur fatal ouvrage. Les derniers guerriers s'obstinent, galvanisés par des édiles hallucinés, en direction d'un triomphe, d'une victoire illusoire. En bref pour clore une guerre dont les racines se perdent dans un passé de vacuité.

Juchés sur leurs monstres d'aciers, ils charrient une glaise érubescente, le chemin ondule devant eux, et au loin repèrent les silhouettes brumeuses des rescapés. Vont-ils les rattraper ? Le veulent-ils ? Ou alors seule compte l'avancée ? Après tout ce qui est sur leur route, ne sont-ils pas qu'insectes à écraser ?

Que cherchent-ils ?

Peu importe leurs desseins, entre eux la distance se réduit. En parallèle le jour irradie sa chaleur et chemine vers la nuit. Pour tous, l'aspiration de glaner un peu de fraîcheur, de s'arrêter et de gagner quelques heures de vies.

À quoi bon ?

Le temps d'une autre chance ?

Ils en ont tellement usé, on ne saurait leur en accorder de supplémentaire.

Gaïa qui a tant enduré, ne le mérite-t-elle pas ?

Elle dormira longtemps, mais se relèvera. Pour eux pas de rebours, ils ont consumé leurs ultimes bougies. Ainsi, en a décidé l'Univers, ne reste plus qu'à se taire.

Voici le flamboiement crépusculaire, l'ombre descend sur Terre-Mère. Le matin encore les premiers couraient allègres, méprisant les derniers. À présent clôturés de guerriers, ils sont pitances en devenir.

Juste retour des choses ?

Rien de juste sur ce sol stérile.

Les ténèbres s'épaississent ; des morceaux de Lune apparaissent sur l'obscurité de l'Ether. L'occasion de quelques futiles prières, alors que des voix grondent, s'essoufflent, s'encouragent.

Tiens, qu'est-ce donc ?

Une créature d'acier et de lumière crue, hérissée de pointes, d'antennes et de filins.

Les soldats poussent, la tirent avec peine sous Séléné désunie. Les chefs vêtus de rutilance les suivent, poitrines bombées et médaillées. Les visages fendus de suffisance vainqueuse, ils la couvent de leurs ocelles béants.

Surprenante et inquiétante bête !?

Les combattants s'éloignent et laissent place à des silhouettes caparaçonnées de brillance, aux visages masqués de transparence, aux mains porteuses de cubes métalliques. Cercle parfait, ils se rapprochent de l'animal synthétique, sous l'attention impatiente des généraux hystériques.

Clic, clac, clic clac cccllliiicccllac.... Ici et là, là et ici… Clac !

Voilà le monstre orné d'inventifs appendices ; il irradie ! La nitescence gomme l'apparat des étoiles et Séléné dont les parcelles dans le ciel dansent. Le décor devient lactescent, une ambiance qui s'étend. Soldats, généraux, silhouettes et misérables survivants s'y fondent en un seul instant.

L'univers (le temps ?) semble se suspendre, puis reprendre sa place graduellement. Le dôme étoilé en premier. N'a-t-il pas changé ? Sur la tapisserie du cosmos, plus de morceaux de Séléné. Juste une face lumineuse éclairant une prairie calme, émaillée de tendres bosquets, où virevoltent quelques lucioles. Un hululement de chouette associé à la stridulation de grillons, une douce brise qui agite... des drapeaux et des fanions ?

Ils sont tous là ! Les généraux, les soldats, les misérables survivants et aussi l'animal-machine ! Il trône et pivote régulièrement sur lui-même, tel un moulin brassé par le vent. Il clignote aussi de tous ses yeux. Ceux qui l'entourent sont ébahis, incrédules et silencieux.

Cela a donc marché, cette évolution à l'envers ?

Alors qu'ils en reviennent à peine, s'arrête abruptement la bête, puis dans le sens inverse, elle répète sa girouette.

D'abord lentement…

Enfin un peu vite…

Et… Vite !

Si vite !

Trop vite !

Bientôt une allure défiant l'entendement…

Ce qui couvre le paysage à présent, ne serait être opalescent ; un voile d'ombre, de ténèbres. Une nuit épaisse où se noient tout objet, qu'il soit statique ou mouvant, de pierre ou de fer, végétal ou animal.

Et on entend des cris, des hurlements, des cuirs se déchirant ! des os se brisant !

Puis le silence… Assourdissant…

Le néant ! ?

Réapparaissent des contours, quelques lumières, des étoiles, les brisures de Lune dans un ciel d'encre. La toile stellaire éclaire le champ d'un désastre où s'empile pêle-mêle, polymère, acier, pierre et rose chair.

Sur ce monticule à profusion, coule le sang des trublions.

Ici fut défié l'Univers !

Ici fut défié le Temps !

Ah humains outrecuidants !

Qui restèrent à jamais malentendants !

Chère Gaïa, pleurez, puis reposez-vous.

Car c'est ainsi que se finit,

L'ère des cons qui couraient en rond.

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